31 décembre 2007

Propagande du temps des Fêtes

Lecteurs amicaux, expatriés et réfugiés politiques, pingouins, jardiniers, chauffeurs, majordomes, ministres du culte, maître du loft et pourfendeurs de Josélito Michaud (mais oui, tu peux être dans deux catégories), bon après-midi,

Sentez-vous cette apaisante chaleur que la douce flamme de la période des Fêtes fait naître dans vos cœurs (surtout dans le ventricule gauche, oui, ça doit y être maintenant, il serait grandement temps)? Voyez-vous comme elle illumine et égaie vos jours (surtout les impairs, mais pas le 33)? Bon, si j’étais vous, j’y verrais, car elle embrase présentement votre nappe en papier avec des pères Noël (mais Noël est passé, tu peux laisser brûler à moins que tu comptes utiliser la même pour le jour de l'An)...

Donc, dans le cadre de cette période si propice à faire renaître joie, Jésus, et ange déchu qui dodeline de la tête pour un p’tit trente sous (jeune depuis 1947), c’est avec allégresse que je vous offre ma tournée de bons vœux tout droit sortis du four (alors sois pas surpris si tu trouves un peu d’épinards gratinés dessus).

Enduisez-vous donc de bonheur, roulez-vous dans la félicité, et enfournez-vous dans l’extase jusqu’à ce que jubilation s’ensuive (ou jusqu’à ce que ça devienne un peu croustillant et doré). Jouez hautbois et résonnez musette (ou gazou), si ça vous chante. Empiffrez-vous de faste nourriture, savourez un bon jeu de mots (comme celui précédemment énoncé) avec votre beau-père, dansez avec votre secrétaire préférée, c’est le début d’un temps nouveau.

Alors oui, joyeuses Fêtes inclusives à vous, à nous, aux autres qui sont nous aussi, et à ceux qui se sentent mieux incarnés par l’utilisation d’autres pronoms personnels (toi que je tutoie entre parenthèses, supposons). Et passez donc une belle année 2008, car les années sont plus plaisantes lorsqu’elles sont belles. Ce n’est pas de la discrimination, c’est ainsi.

12 décembre 2007

10 – Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain

Quiconque a tenté de s’expliquer le conflit armé israélo-palestinien est probablement parvenu à la même conclusion: tout puise sa source dans le dixième commandement.

(20.17) Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain […], ni aucune chose qui appartienne à ton prochain.

Car enfin, à la base, c’est une histoire classique de convoitise de la maison d’autrui.
– Tu as pris mon chalet, sur la band’ de Gaza
Ah! Je te maudirai toi et ta descendance.
– Quoi? Holà du chameau, ce chalet est à moi
Ah! Je te maudirai toi et ta descendance.
– Là, rends-moi mon chalet! (Bon, histoire classique, mais ça suffit pour les alexandrins.)
– Voyons, réglons ça à l’amiable, tu es sûr qu’on ne peut pas s’entendre pour 70 vierges?
– Infidèle! Tu ne mérites mêmes pas un chameau.
– Convoiteur de la maison de ton prochain! Tu ne mériteras que 70 raisins secs.
– Celui qui le dit, celui qui l’est. Je vais le dire à ton Dieu…

Comme tout conflit s’envenimant à la maternelle, la légère brouille qui a cours au Moyen-Orient se réglerait assurément en appliquant la méthode traditionnelle avec discipline: les amis, on partage la maison, sinon tous les deux dans un coin à réfléchir et on confisque la maison.

Penses-y. En épilogue, les hommes se serrent dans leur bras, se sourient, se complimentent sur la nouvelle décoration de la salle à manger du chalet, organisent un méchoui (bon, peut-être pas un méchoui), ou un déjeuner, tiens, avec des croissants de soleil à saveur de miel et de rosée (bon, peut-être pas de rosée). Un peu plus et ils écouteraient du Lara Fabian, mais on les empêche, on ne veut quand même pas que le conflit reprenne tout de suite.

Ah! quoi? Il y a une autre solution? On tue l’autre ami et on garde la maison? Pardi, c’est bien trop simple. Oh! attends: le commandement de Dieu sur l’assassinat? Pardon? Légitime défense, c’est lui qui a commencé?

Le Moyen-Orient est un peu une maternelle, mais les ciseaux n’ont pas de bouts ronds en plastique.

Donc voilà, il faudra faire attention la prochaine fois que tu te promèneras dans le quartier et que tu penseras, oh! comme cette maison a une jolie galerie, et quels volets merveilleux, je parie que les divisions intérieures sont superbes et que la lumière entre bien, non, mais regarde ce pignon... C’est très dangereux, ces pensées-là.

04 décembre 2007

9b (Apocryphe) – Tu répondras à ceux qui convoitent des incipit de Romain Gary

Chère classe venue de loin en recherchant activement l’incipit de Chien Blanc,

Oui, je vous ai vus arriver comme ça, individuellement d’abord puis en importante délégation, pendant que je salais le morse et fumais l’ours polaire sur la banquise. Je vous jure, je n’invente rien. J’ai donc décidé de satisfaire votre curiosité en la matière.

Romain Gary, ce cher Rom’ plein d’audace, a effectivement choisi de placer son incipit au début de son livre. On devine facilement que c’est le début du livre, car il y a plusieurs pages après, les phrases sont écrites à l’endroit (le livre est donc tenu dans le bon sens) et il y a même un truc supplémentaire pour les plus forts en mathématiques: des petits numéros en ordre croissant ont été rigoureusement placés dans le coin des pages, il suffit donc de regarder si les chiffres augmentent ou diminuent. Je me suis assuré que tous ces critères étaient bien respectés, je peux donc vous livrer la première phrase:

«C’était un chien gris avec une verrue comme un grain de beauté sur le côté droit du museau et du poil roussi autour de la truffe, ce qui le faisait ressembler au fumeur invétéré sur l’enseigne du Chien-qui-fume, un bar-tabac à Nice, non loin du lycée de mon enfance.»

Alors voilà, ne vous laissez pas berner la prochaine fois qu’on vous demandera de quelle couleur est le chien blanc de Romain Gary. C’est une question piège.

21 novembre 2007

9 – Tu ne désireras pas la femme de ton prochain

Tout le monde le constate rapidement, il semble y avoir un délicat problème de rédaction épicène pour ce commandement. Enfin, disons prosaïquement que si ta copine et toi-même devez ne pas désirer n’importe quelle femme de quelque prochain que ce soit, il est possible que ce soit usuellement plus facile pour elle, bien que vous puissiez assurément être du même avis pour certaines dont le caractère indésirable est singulièrement souligné.

En fait, dans les conditions actuelles, si Dieu suivait mieux la Charte des droits et libertés, Il devrait évidemment récrire: Tu ne désireras pas la conjointe ou le conjoint de ton prochain ou de ta prochaine.

Mais alors, les serviteurs, le bœuf et l’âne? Ah, non, ça tu vois, Dieu l’avait prévu:

(20.17) […] tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne […]

Mais, mais… était-il vraiment nécessaire d’ajouter ce commandement, alors que l’adultère était déjà condamné au sixième point? En fait, Dieu semble ainsi considérer l’humain comme une paroi de réservoir industriel de mazout prêt à fuir; il faut utiliser un principe de double protection. Non seulement tu n’as pas le droit de manger cette pomme, mais tu n’as pas le droit de penser à manger cette pomme. Il ne faut évidemment pas déduire ici que les réservoirs industriels de mazout n’ont pas le droit de manger de pommes; mais oui, ils le peuvent, bien sûr. L’humain aussi le peut, d’ailleurs. C’est même recommandé par Ricardo et bon pour la santé, les Anglais s’en servent pour éloigner les docteurs, alors t’inquiète. Allez, croque, qu’est-ce qui te prend? Vas-y, Ève, fais-le pour toi. T’es pas game. Ssssssss (Onomatopée si célèbre du serpent qui siffle sur nos têtes, se prononçant comme ça s’écrit, en insistant suavement sur le sixième s, mais sans staccato). Bon, c’est le supplice de Tantale, mais le fruit ne s’éloigne pas, il reste là, tentant et sucré, et il y a Dieu sur ton épaule, la voix grave en arrière-plan avec de l’écho: «Non, touche pas, t’as pas le droit, t’es pas supposé. J’ai dit non.» Et sur l’autre épaule, le concurrent: «Allez, juste une petite bouchée…» Et malgré la pénurie d’épaule dans cette situation, tu ajoutes Victor Hugo (pas le petit voisin Victor-Hugo Desmarais-Tremblay), pour son judicieux: «Dieu est l’auteur de la pièce; Satan est le directeur du théâtre.»

L’adultère mental est donc sur la même liste d’interdits que l’autre proprement dit avec joutes physiques capiteuses et autres exercices de gymnastique corporelle synchronisée en milieu plus ou moins aquatique. Dieu veut alors contrôler les esprits et formater les pensées pour y chasser jambes, postérieur, galbe et autres sous-ensembles de membres et d’organes féminins appartenant à ton prochain.

Orwell n’a rien inventé: Dieu est Big Brother.


Ou un canal brouillé, c’est selon…

14 novembre 2007

8 – Tu ne feras pas de faux témoignages

Il importe encore plus particulièrement pour ce point-ci de citer exactement, donc:

(20.16) Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.

Tu avoues aimer tout spécialement la version allongée, qui ne décourage pas les faux témoignages globaux. C’est évidemment une chance d’avoir l’assentiment partiel de Dieu lorsque vient le temps de faire un faux témoignage bénin, mais tu conviens aussi qu’il devient parfois difficile de valider si ton faux témoignage possède quelque aspect rédhibitoire pour ton prochain (que tu dois aimer, s’il faut le rappeler, même si c’est arrivé beaucoup plus tard dans le récit).

Mais comme tu te rends rarement en cour afin d’accuser des gens de crimes qu’ils n’ont pas commis, tu trouves que c’est plus communément le vrai témoignage qui joue contre ton prochain. Dire toute la vérité tout le temps à tout le monde en toutes occasions pour que tout aille bien est une lubie utopique en laquelle les gens cessent normalement de croire en même temps qu’ils réalisent lors d’un réveillon que le père Noël a les mêmes yeux, la même voix, les mêmes chaussures que leur père et qu’il boit aussi la même bière. Et que si tout va bien dans leur famille, c’est en effet sur la hanche de leur mère qu’il a posé sa main tantôt dans le corridor. Et si tout coïncide bien pour eux, ça survient avant la puberté.

Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas de dire systématiquement le contraire de ce que la vérité commanderait d’énoncer, et ce, avec pour seul objectif celui de semer du bonheur factice dans les cœurs crédules. Du moins, pas selon ta vision des choses. Mais bien sûr, il est parfois plus facile de dire à tante Yvette que tu rencontres aux trois ans que, ça va, ses cheveux sont bien (sans mentionner leur teinte violacée probablement non désirée, mais c’est bon, on ne le remarquera jamais avec quelques cataractes), que sa tarte est bonne (qui n’aime pas les tartes brûlées? et quelle quantité de bicarbonate il y a là-dedans, au fait?) et que son oiseau piailleur est ravissant (bien qu’une recette de ragoût vienne discrètement de traverser ton esprit). Par contre, il faut évidemment faire attention à la portée du commentaire en prenant garde de ne pas dénaturer ses propos.

Autrement dit, ça prend énormément de doigté et de courage pour dire à ta copine que, finalement, tu préférais ses cheveux comme ils étaient avant (exemple fictif, souligneras-tu, au cas où, enfin…).

Bref, en osant dire une telle chose, malgré tout ce à quoi tu t’exposes en agissant de la sorte, tu peux toujours te réconforter en songeant que tu ne fais pas de faux témoignage contre ton prochain. Non, il n’y a pas de minces consolations.

08 novembre 2007

7 – Tu ne voleras pas

En fait, selon le procès-verbal, Dieu avait initialement dit:

(20.15) Tu ne déroberas point.

Tu considères que c’était plutôt clair, mais tu conçois que la formulation ait été changée, car quelqu’un aurait toujours pu croire que le commandement spécifiait qu’il était interdit d’enlever des robes, ce qui, tu l’avoues d’emblée, aurait été bien dommage. Mais tu admets bien qu’il ne faut jamais rien tenir pour acquis lorsqu’il est question de compréhension, et tu te le répètes encore plus depuis que tu as entendu un jour un commentateur à la radio ou à la télévision affirmer: «La police recherche toujours le ou la sassin

Bien sûr, il s’en trouvera toujours pour dire que le commandement fait peut-être référence au mode de locomotion par voie aérienne, et que Dieu prend tout le monde pour de stupides Icare potentiels. Dans ce cas, ce commandement démontrerait plutôt un interventionnisme protectionniste visant à éviter que le peuple élu se casse la gueule inutilement: l’équivalent du «Ne pas repasser le linge sur soi» de l’Ancien Testament. Alors, lorsque Moïse fut redescendu, les parents soulagés ont pu commencer à dire à leur rejeton turbulent: «Non, n’essaie pas de voler avec ta doudou, ça va à l’encontre du septième commandement» au lieu de: «Non, si tu te casses la gueule, c’est pas couvert par l’assurance-maladie. Et écoute-moi chenapan, sinon pas de Terre Promise.» Mais bon, Dieu n’avait pas compté sur l’intérêt des hommes pour les lois de la thermodynamique, la mécanique des fluides aériens et la convection en tout genre; intérêt qui a mené non seulement à l’invention de la vertisserie 2000 qui permet de faire cuire un poulet entier empalé verticalement en gardant toute la saveur à l’intérieur du poulet et le gras dans un joli tiroir facilement lavable, mais qui a mené également (pour ceux qui se rappellent du sujet: intérêt) à la naissance de l’aviation.

Mais bon, tu peux bien retomber sur terre, c’est de l’emprunt non autorisé et à trop long terme du bien d’autrui qu’il est question ici. Et ça tombe bien, car tu n’as volé ni bonbons, ni vertisseries, ni bons d’épargne du Canada, ni opinions politiques de bulletins de nouvelles. En fait, pour les quelques élastiques et trombones que tu n’aurais peut-être pas remis, il faudra que tu continues de chercher une clause dérogatoire, mais il est vrai que tu n’as pas épluché tout le Pentateuque.

Nonobstant tout cela, il peut arriver qu’un non croyant vienne exercer la violation de ce commandement dans le confort de ta salle de séjour (où il ne trouvera pas grand-chose de plus intéressant que dans la cuisine, sauf pour qui cherche un pilon à patates ou du concentré de bouillon de poulet, mais celui qui cherche une vertisserie sera amèrement déçu) et il faut espérer ardemment que cet ouvrage ne se fasse pas durant le jour du repos. L’aspect contrariant est indéniable, puis à cela s’ajoute la pénible tâche d’appeler l’assureur ou saint Antoine de Padoue, bien que d’après les dernières nouvelles, ce dernier soit encore accaparé par madame Dupuis à propos de son chat répondant (parfois) au doux nom de Timine, aimant le bœuf braisé sans échalotes et ayant la particularité, non seulement d’être gris la nuit, mais aussi de courir incessamment sur les parquets vernis avec une préférence marquée pour les longs corridors.

Et entre l’assureur et saint Antoine, il paraît que saint Antoine est plus conciliant, mais qu’il n’a pas de boîte vocale.

01 novembre 2007

6 – Tu ne commettras pas d’adultère

Cette fois encore, Dieu va droit au but et ne s’enfarge pas dans les fleurs du grand tapis des relations humaines.

(20.14) Tu ne commettras point d’adultère.

C’est tout simple. Et tu es même le genre d’adulte rétrograde et borné qui croit que ça revêt un certain sens, et qui concède assurément que c’est rationnellement une façon très efficace d’éviter un tas d’emmerdes. En fait, pas au point d’inclure à ce commandement cette vague théorie qui annexe à la notion d’adultère celle exigeant la pureté de tout organe circonvoisin du pancréas avant le mariage. Pas au point d’inclure le besoin de mariage d’ailleurs.

Bon, cela étant dit, maintenant que tu es moralement blindé (mais juste un peu, disons blindé comme une armée canadienne) contre les attaques du clergé, de la commère du coin de la rue et du futur avocat que tu espères que ta copine n’envisage pas d’engager pour vérifier que tu ne jases pas trop et de trop près avec la charmante voisine, tu affirmes qu’il est tout de même bon que certains aient défié et défient encore ce commandement. Car enfin, de la littérature classique au théâtre d’été aliénant, du film d’auteur franco-austro-paraguayen au feuilleton télévisé scénarisé en série, en supposant que ce commandement ait été ou devienne strictement suivi à la lettre, c’est avec une certaine tristesse que tu imagines l’huile même des multiples couches de la culture actuelle désagrégée dans la térébenthine de l’obédience morale. Qui est prêt à vivre dans un monde où les liaisons dangereuses ne l’auraient pas été? Où madame Bovary aurait fait des tartes à la rhubarbe pour passer le temps? Où les personnages d’un soap n’auraient pas la possibilité d’avoir une aventure avec chacun des autres personnages? Où plus une femme n’aurait de raison de dire: «Ciel, mon mari!» lorsqu’un homme chauve cravaté arrive à l’improviste côté jardin? Où les secrétaires dans les films seraient simplement des secrétaires? Où presque toutes les tragédies grecques auraient eu pour cause une mésentente sur la salaison de la féta?

Non, tu n’es pas prêt à ça. Tu revendiques le droit à l’adultère des autres pour une saine éthique du divertissement.

29 octobre 2007

5 – Tu ne commettras pas d’assassinat

De prime abord, tu ne peux pas vraiment dire que Dieu a beaucoup tergiversé sur celui-là:

(20.13) Tu ne commettras point d’assassinat.

Mais tu vois la main levée, là, à la première rangée. «La traduction classique ne dit-elle pas plutôt que tu ne tueras point? – Oui, bien sûr, tiens, prends un biscuit, tu l’as mérité.» Voilà, ça semble vraiment très clair, et c’est pourtant juridiquement et linguistiquement un commandement très complexe. Donc, tiens, en feuilletant au hasard comme ça dans ta bible originelle non traduite écrite à la main, tu réalises facilement qu’il n’est pas écrit «Tu ne tueras pas» comme dans l’affriolante et guillerette histoire où Caïn tue Abel (lo taharog, ainsi qu’aime à le préciser l’amateur de citations obscures et de sources primaires). En fait, c’est bien «Tu n’assassineras pas», soit lo tirtza’h. Et le beau dans tout ça, c’est donc que Dieu permet de procéder à l’homicide d’origine contrôlée en cas de légitime défense.

À vrai dire, ça te rend particulièrement heureux, parce que tu as quand même tué une quantité condamnable de bibittes ailées zézayant dans la brunante et tu aurais pu subir le divin courroux devant l’Éternel. Mais tout va maintenant beaucoup mieux: c’est évidemment les bibittes qui avaient cherché le trouble.

Oui, Dieu a donc un peu changé d’avis sur le principe de la joue droite et de la joue gauche successives. Dieu merci, Il est maintenant pour la légitime défense.*

Corollaire 1: Dieu est conscient qu’Il a créé des parasites.

Corollaire 2: Dieu apprécie bien Bruce Willis.

* À la suite d'une plainte reçue par ici, l’ombudsman groenlandais convient de noter qu’il s’agit ici d’un anachronisme biblique arrangé avec le gars des vues, en l’occurrence l’auteur de ce blogue. En effet, l’auteur ne voulait pas changer sa conclusion. Il l’assume et compte sur la mansuétude du plaignant pour éviter la pendaison. En effet, la pendaison, ce n'est pas trop dans ses cordes...

22 octobre 2007

4 – Honore ton père et ta mère

Tu n’es pas un garçon ingrat. Tu sais te conduire en société. Tu essuies tes pieds et enlèves tes souliers en entrant chez les gens. Tu dis s’il vous plaît lorsque tu demandes qu’on te passe le pain. Tu dis merci lorsqu’on te le passe. Tu ne dis pas de gros mots indécents ou vulgaires (tu n’invoques pas Dieu en vain non plus) si on ne te le passe pas. Tu sors la récupération le mardi et les poubelles le mercredi. Tu n’oublies pas d’appeler ta mère à sa fête. Tu t’es même acheté des nouveaux souliers propres. Bref, bibliquement parlant, tu honores ton père et ta mère. Un peu comme Rodrigue qui a bien du cœur (mais on est rendus à trèfle atout, dommage).

(20.12) Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne.

L’Éternel, ton Dieu, donne ici un indice particulièrement éclairant sur ce qui se passe après la mort. Une étrange légende urbaine prétend qu’à la mort d’un homme ou d’une femme de bonne volonté, après avoir monté le grand escalier céleste (mais ils ont aussi un ascenseur, juste à droite, la Régie du logement a un peu insisté), l’homme ou la femme décédé ou décédée arrive d’une façon qu’on jugera épicène devant saint Pierre. Ce dernier est alors habillé en tunique blanche avec une grande barbe blanche, et on constate tout de suite que c’est une légende urbaine, car saint Pierre a un peu plus de décorum que ça et porte sûrement un complet-cravate, sauf peut-être le samedi matin. Mais bon, calembredaines que tout cela, car c’est écrit entre les lignes, juste pour toi qui veux que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne: c’est probablement ton père et ta mère qui sont en haut de l’escalier. Ils vont probablement t’attendre, ta mère va dire à ton père qu’il aurait pu mettre autre chose que ce t-shirt-là, elle va peut-être même avoir apporté du sucre à la crème. Ce sera donc eux qui auront rédigé ou rapatrié sans toi la Constitution du dominion qui t’attend là-haut ou plus bas à gauche, bref, où que soit le pays qu’on te donnera. Mais il ne faudra pas rechigner, car à pays divin donné on ne regarde pas la stratigraphie. C’est vrai enfin, dans une autre religion, pour une question de karma ou pour un autre truc récupéré en ésotérisme spririto-hystérique, tu aurais pu te réincarner en brin d’herbe et finir dans un estomac de vache, dans une sauce bolognaise ou brûler vif avec ou sans papier filtre.

Bref, honorer ton père et ta mère, vraiment, ce n’est pas trop demander. Il existe à coup sûr des moyens plus difficiles d’obtenir un pays.

16 octobre 2007

3 – Tu te souviendras de sanctifier les jours festifs

S’il est évident que les bonnes gens se reposent généralement bien le dimanche (certains vont même jusqu’à écouter la Semaine verte), il y a quand même un petit bout de temps déjà que tu n’as pas organisé un grand événement rassembleur pour célébrer la Fête-Dieu. Et quand as-tu entendu le Kyrie eleison à la radio pour la dernière fois? Non, tu n’as pas dit Kelly Clarkson.

Ainsi, la version incluant les scènes coupées au montage final va comme suit (en tapant dans les mains, sur l’air d’Une colombe):

(20.8) Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. (Bon, on peut arrêter de taper dans les mains quelques secondes ici, il faut clarifier une chose. Plusieurs ont probablement froncé les sourcils en voyant «Souviens-toi» (Zakhor). Bien sûr, ce sont ceux qui préfèrent le Deutéronome à l’Exode, et qui s’attendaient à lire «Observe» ou «Garde» (Chamor). On prétend traditionnellement que les deux mots auraient été prononcés simultanément. Tu prétends plutôt que Moïse avait des problèmes d’audition ou que Dieu avait un rhume ce jour-là.)
(20.9) Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage.
(20.10) Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes.
(20.11) Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour; C’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié.


Enfin, tu trouves surtout dommage de ce point de vue-là que l’Éternel n’ait pas fait les cieux, la terre et la mer, et tous les accessoires et produits dérivés, en quatre jours pour se reposer pendant trois jours. Mais bon, à chacun son rythme.

Par contre, tu te méfies un peu de l’article 20.10, non pas que tu aies à te reprocher d’avoir fait travailler dernièrement ton bétail, un étranger qui est dans tes portes ou tes serviteurs un dimanche, mais tu n’es pas certain que de fermer les urgences le dimanche soit la meilleure des décisions à prendre. Et empêcher une vache de donner du lait un dimanche semble, mais tu es un profane, une tâche sensiblement ardue surtout si tu ne peux pas non plus faire l’ouvrage qui consiste à l’en empêcher.

La solution est pourtant simple, et la Commission Bouchard-Taylor arrivera vraisemblablement à la même conclusion: il suffit de demander à l’étranger de ne pas rester dans les portes, mais d’avancer de deux pas. «Ah! ben Survenant, c’est-y pas une bonne idée, ça? – Neveurmagne.»

Pendant ce temps, ce sera un moment génial pour appeler tes amis et sanctifier la Fête-Dieu ou quelque autre Épiphanie.

09 octobre 2007

2 – Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain

Avec un Dieu qui s’appelle YHWH, te dis-tu, c’est sûr que c’est un peu en vain que tu tenterais de prononcer Son nom. Mais enfin, comme tu aimes bien citer exactement, voici le deuxième commandement biblique dans toute sa splendeur, arborant un point-virgule des plus élégants:

(20.7) Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain.

Cet ordre qui semble avoir été rédigé dans un certain état de courroux est malheureusement un peu vague. L’explication qui te semble la plus logique, tu l’avoues, est parfaitement compréhensible: Dieu, à l’instar de bien des gens créés à Son image, est un type occupé. Et comme Il a créé une confrérie et une sainte Trinité, ça fait beaucoup de gens pouvant être interpellés pendant les réunions de coordination de projets. Ainsi, Il S’est dit que ça serait franchement embêtant si tous commençaient à L'apostropher tout le temps pour n’importe quoi, pas grand-chose et ah! finalement j’ai oublié, je rappellerai. Il fallait donc instaurer un système avec une bonne force coercitive, pas qu’un simple ONU avec recommandations suggestives à suivre pour ceux à qui ça tente, si ça leur adonne. Ce fut donc écrit: l’Éternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain.

En fait, tu médites parfois sur un tel commandement onusien: Tu n’auras pas d’armes nucléaires; car l’ONU ne laissera point impuni celui qui en aura.

Mais bon, de cette façon, Dieu est peut-être à l’abri de ceux qui L’invoque pour lui parler de la pluie et du beau temps: «Christ qu’il fait beau» et autres «Ostie, il pleut». Punition divine: paf! une tache de jus de raisin sur la chemise blanche, une maille dans le bas résille, un gouvernement conservateur. Toutefois, sa manière de déléguer est parfois un peu injuste. Tu considèreras ici l’exemple éloquent de saint Antoine de Padoue, qui se tape seul toutes les demandes relatives aux objets perdus. En fait, puisque c’est toujours intéressant de le souligner dans un souper, tu rappelleras que saint Antoine est invoqué pour retrouver les objets perdus à cause de l’anecdote classique concernant les commentaires qu’il avait écrits à propos des Psaumes. Un voleur les lui déroba un jour, mais se sentit par la suite divinement obligé de les lui rendre. Tous peuvent maintenant le dire à leur beau-frère, c’est vrai. Du moins, c’est la version officielle. Il y a aussi l’hypothèse farfelue selon laquelle ses commentaires étaient très ennuyeux et n’intéressaient pas du tout le voleur, qui préférait des choses insignifiantes comme des bijoux, de l’argent, du sucre à la crème ou même des cartes de hockey de Wayne Gretsky, bien qu’il conçût dans ce dernier cas que c’était temporellement impossible. Mais bon, toujours est-il que saint Antoine passe ses journées à entendre des «Saint Antoine, où sont mes clés? Où sont mes lunettes? Où est passé mon boa constrictor? Mais où est donc Carnior?» Et lui de son côté doit faire un suivi de dossiers, rappeler: «À côté de tes lunettes. T’as jamais eu de lunettes; de mémoire non plus d’ailleurs, je vais finir par bloquer ton numéro. Ce n’est pas ma spécialité, mais regarde dans la cage du canari, mais ne cherche plus le canari. Sûrement avec Carmen Sandiego, mais ne t’y arrête pas trop, ce n’est qu’un truc mnémotechnique.»

Il apparaît donc clairement que Dieu se moque un peu de saint Antoine de Padoue et que ce dernier n’est pas le genre de type qui lit bien ses contrats.

«Ah, au fait saint Antoine, où sont passés mes commentaires des Psaumes

30 septembre 2007

1 – Je suis le Seigneur ton Dieu

Ce point était particulièrement cher à Dieu et ça Le rendait particulièrement loquace. Tiens, tu vas reprendre les versets ici bien que ce soit accessible dans n’importe quel Exode ou même Deutéronome quand tu as une bible sous la main, sauf que, te voilà désolé, tu n’as pas eu le temps de terminer les enluminures dorées et les latrines (bon, on siffle comme si on n’avait rien vu) lettrines surdimensionnées. Mais enfin, tu ne fais pas trop dans le scrapbooking… Par ailleurs, ô joie, c’est spécifié à l’article 20.4: Dieu aussi est contre le scrapbooking.

(20.2) Je suis l'Éternel (YHWH), ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.
(20.3) Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face.
(20.4) Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre.
(20.5) Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent.
(20.6) et qui fais miséricorde jusqu'en mille générations à ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.


Bon, alors sans vouloir être mécréant, juste par souci de rigueur mathématique, tu aimerais démontrer un petit accroc dans la logique divine. Supposons que ton arrière-multiple-bisaïeul ait été un gentil bon gars: il avait un emploi stable, pas d’alcool, pas de tabac, s’occupait des enfants, écoutait peut-être chanter l’arrière-multiple-bisaïeul de Michel Rivard, faisait rôtir le mammouth (juste rosé à point avec du romarin, c’était délicieux), allait au besoin chercher des tampons dans la forêt pour sa concubine, discutait aimablement avec ses voisins de hutte, et il aimait Dieu et gardait ses commandements. Donc, pour ses enfants, c’est la joie pendant 897 générations tranquilles. Et là, paf! un petit coquin survient dans la lignée. Et le coquin est méchant avec Dieu, ou inique comme Dieu le dit. Bon, alors en théorie, ça se calcule bien, la descendance avait encore droit à 103 générations de miséricorde en souvenir du bon gars. Mais là, que se passe-t-il? Ton Dieu, l’Éternel, Lui, est jaloux et punira l’iniquité des pères sur les enfants, et Il ne sait même pas si ce sera pour trois ou quatre générations, ce qui est quand même un peu dommage. Enfin, tu auras au moins souligné clairement la contradiction.

D’ailleurs, avant qu’on te frappe avec un objet contondant, tu peux bien dire que tu es un peu de Son côté parfois. Un veau d’or, ce n’est clairement pas très joli, légèrement ringard et ça jure particulièrement avec la décoration du salon en plus d’accumuler la poussière. Et ne va pas l’épousseter, ça pourrait être pris pour de l’adulation. Oui, Il a raison d’interdire ça.

Mais quand même: Dieu est parfois un peu diva.

24 septembre 2007

Les dix commandements

L’agente de voyage fut d’abord un peu interloquée quand tu lui demandas ce qu’elle avait comme forfaits pour le Mont Sinaï. Elle tenta d’abord férocement de te convaincre qu’à Cuba, avec un forfait tout compris, tu serais beaucoup mieux, et oh! tiens, on offre présentement de gros rabais pour Cayo Largo. Puis, avant qu’elle ne se mette à ronger ses ongles opalins, tu t’éclipsas en douce et pesas le pour et le contre, qui étaient plutôt légers ce jour-là. Peut-être qu’au lieu d’aller faire ouvrir la mer Rouge avec un bâton, tu serais mieux de considérer la possibilité de substituer Rigaud à Sinaï; ça rappellerait même de bons souvenirs à Dieu, avec son fameux coup du champ de patates transformées en roches, car enfin, saint Pierre se tape encore sur les cuisses à chaque fois que c’est évoqué au party de bureau du Club social en haut.

Puis soudain tu t’inquiètas. Et si en rencontrant Dieu comme ça, Il en profitait pour t’en ajouter une dizaine, subrepticement? Il faut dire que dans le judaïsme, les 10 commandements font partie de 613 commandements (mitzvot, si on te le demande dans un quiz) prescrits aux Juifs, et que bon, si entre autres choses tu n’es pas chaud à l’idée de porter le même couvre-chef en tout temps, tu tiens surtout à préserver le couvre-chef naturel de chacun de tes organes. Et puis, d’un autre côté, tu aurais peur aussi d’avoir à vivre avec une sorte de code de vie hérouxvillois mal rédigé et particulièrement difficile à défendre. Dans ces circonstances, aussi bien garder l’ancien décalogue. Surtout que Dieu l’a fait écrire deux fois dans le Pentateuque, Il devait y tenir un peu; tu sais bien qu’on n’écrit pas un Pentateuque pour le simple plaisir de la chose. Qui a déjà écrit un Pentateuque juste pour le plaisir? Qui?

Donc, sur les tablettes granitaires (ou marmoréennes, au diable les dépenses divines), le doigt de Dieu inscrivit les règles du jeu. Puis, comme Il utilisait parfois des hébraïsmes sémantiques et une rhétorique alambiquée, saint Augustin d’Hippone ramena le tout à ceci:

1 – Je suis le Seigneur ton Dieu;
2 – Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain;
3 – Tu te souviendras de sanctifier les jours festifs;
4 – Honore ton père et ta mère;
5 – Tu ne commettras pas d’assassinat;
6 – Tu ne commettras pas d’adultère;
7 – Tu ne voleras pas;
8 – Tu ne feras pas de faux témoignages;
9 – Tu ne désireras pas la femme de ton prochain;
10 – Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain.

Dieu tenait particulièrement au ton paternaliste, à ses «Fais pas ci! Fais pas ça!», ce qui démontre évidemment un blocage freudien à la phase du non, un attachement aux théories cognitivistes rétrogrades, une soif irascible d’autorité, mais une bonne maîtrise de la négation dans les phrases de base en utilisant un langage soutenu, ce qui en fait un Dieu transversalement compétent.

Par ailleurs, tu considères probable que Moïse a contribué à ramener les paroles à une dizaine bien nette sur deux tablettes par endossement hâtif du système international. Mais bon, peut-être aussi est-ce parce que Dieu avait créé des hommes à deux bras et que 613 commandements gravés, ça aurait fait lourd à transporter (et les sandales de Moïse étaient usées, c’eût été dommage qu’il se fracture le tibia). Mais surtout, avec 613 commandement, les médias en bas de la colline auraient seulement sauté sur les trois commandements un peu plus baroques pour tout décrier et occulter le débat.

Tu t’en doutais, en fait: Dieu écoutait parfois TVA.

Enfin, tu as entendu dire que c’est toujours comme ça aux Saisons de Clodine.

19 septembre 2007

Quatre-vingt-dix-neuf ans de solitude (Les Grands Dossiers historiques)

Il faut le dire tout de suite: la Citadelle de Kowloon est une saga. En fait, Kowloon est clairement le Macondo de Márquez. Mais par considération pour les normes établies, tu résumeras quand même en moins de 437 pages.

Bien avant le début d’American Idol, pendant la dynastie Song, fut fondée une bourgade sympathiquement appelée Kowloon (Brossard, en mandarin) où il faisait bon surveiller les pirates. Mais entre deux abordages, il faisait bon également gérer la production de sel; ce que tout observateur de pirates aime bien faire dans ses temps libres. Et entre deux salaisons, ils en profitaient pour fortifier la place.

Malgré ton intérêt vorace et inassouvi pour la gestion du sel en territoire chinois, il est temps de passer aux choses sérieuses. Passons donc à ce jour ensoleillé avec passages nuageux de 1842 où fut brandi le Traité de Nankin, qui avait peut-être principalement pour but de légiférer sur la composition de la sauce soya, mais qui entre autres détails cédait l’île de Hong Kong à la Grande-Bretagne. Cela n’est évidemment pas un cadeau à dédaigner pour qui aime bien les îles, et la Grande-Bretagne se sentait un peu comme Sancho qui aurait finalement reçu l’archipel promis par Don Quichotte. Les autorités chinoises se dirent alors que la Citadelle de Kowloon serait une bonne place pour caser un poste militaire et administratif et contrebalancer l’influence des Britanniques dans la région. Tu le comprends, la principale crainte floue des Chinois, c’était effectivement les Spice Girls.

Après un plaisant souper, en 1898, la Convention pour l’extension du territoire de Hong Kong est signée: Hong Kong est donc remis avec tout le flafla, pour un bail de 99 ans, à la Grande-Bretagne, toujours à l’exception de la cité enclavée de Kowloon. Tout le monde était heureux, tellement que quelqu’un finit par dire: «Ah! et puis c’est juste officieux, mais vous pouvez même garder des troupes à l’intérieur de la citadelle, tant qu’il n’y a pas d’interférence.»

Mais comme ce flegmatique et au demeurant charmant Britannique avait beaucoup trop bu, il oublia et la Citadelle de Kowloon fut attaquée en 1899. Ce fut alors une bonne blague parce que la citadelle avait pratiquement été abandonnée, alors les Britanniques purent se remettre à jouer au polo sans soucis et la petite enclave se développa tranquillement.

Les Britanniques jouèrent longtemps au polo, puis un jour de Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise attaqua Kowloon Harbor, chassa les résidents et démolit les forteresses pour construire un aéroport à proximité.

En épilogue, après que le Japon eut capitulé, Kowloon devint une sorte de ghetto labyrinthique monolithe où les masses humaines et pierreuses s’accumulaient les unes sur les autres dans une décadence toute babylonienne. Mais à la fin, au lieu de la colère linguistique de Dieu en bonne et due forme, le gouvernement en place transforma plutôt la cité en parc. Autres temps, autres moeurs.

C’était évidemment une bonne chose pour le polo, mais les Britanniques arrivaient à la fin de leur bail et devaient quand même se trouver un autre quatre et demi.

Le lecteur incrédule peut maintenant se diriger vers Wikipédia, mais il n’y a pas de garantie sur le plaisir qu’il pourra en tirer.

04 septembre 2007

Persona dans le trafic* (Les Grands Dossiers historiques)

1967. La grande épluchette universelle de blé d’Inde aligne ses derniers mois en douce sur la néo-créée île Sainte-Hélène. Montréal vit alors un somptueux rêve orange, jaune, brun et turquoise. Un rêve qui aura passé comme une minijupe; c’est-à-dire parfois avec émoi, parfois avec un petit haut-le-cœur. Quelques-unes de celles qui seront plus tard tes vieilles tantes (pas nécessairement haïssables, mais ça arrive parfois) décident alors de décorer leur maison. Elles achètent rideaux et sofas assortis (selon le principe de la parité du laid), et bien que le mariage soit douloureux, aucun divorce ne sera accordé; quelques adultères décoratifs qui ne lénifieront rien seront tolérés dans les années 1980.

Mais bon, restons en 1967, car en ce suédois début de septembre, le peuple du meuble à assembler soi-même ne cherche pas ses vis manquantes, mais s’apprête à vivre son dagen H (et non pas son Häagen-Dazs, car si ici on vit parfois sa vinaigrette, les Scandinaves eux ne vivent pas leur crème glacée). Donc, en ce jour H (traduction pour éviter le déboussolant suédoisisme), au lieu de changer les rideaux, les Suédois changent le sens de la circulation routière. Rien de moins. Car à une question du type «Hé, bon peuple, désires-tu que nous roulions à droite au lieu d’à gauche?», le bon peuple répond à 85%: «Euh! non, pas question… Ça fait près de quarante ans qu’on refuse, vous êtes pas bien?». Un peu après, le parlement suédois décide donc que oui, ça va se faire, et que tiens, le 3 septembre 1967, à 5 heures du matin, on change le sens des voies. À 4h50, on roule à gauche puis on se gare. À 5h, on roule à droite.

Un plan est ainsi mis en branle. Il faut préparer les gens, et les intersections un peu aussi. Des psychologues sont lâchés dans la foule et dans le trafic. «Parlez-moi de votre enfance dans les voies de gauche... – Dans mon jeune temps, Peupa nous emmenait souvent à la campagne et snif! je m’en rappelle encore, après la courbe chez ma tante Olga, snif! on devait tourner à droite, et il y avait souvent une moissonneuse-batteuse, et peupa avait écrasé un écureuil**…»

Tiens, tu fournis même un épilogue: c’est une histoire qui finit bien. Le nombre d’accidents mortel décroît presque instantanément. Conclusion ouverte et étonnante corrélation à approfondir: nombre de personnes âgées, déroutées (ah!), délaissent la conduite automobile pour s’épargner la nouvelle logistique routière. Plusieurs, on s’en doute bien que cela reste tabou à l’époque, trouvent un salut dans le bingo et le jus de cassis.

* Désolé pour le jeu de mots, mais tu avais quand même trouvé pire encore: Suède(s)-tu conduire à droite?
** Ou l’équivalent suédois, tu étais supposé valider avec Bergman, mais il ne répond pas à ses messages, le coquin.

Note au lecteur incrédule: Tu fais bien de l’être un peu. N’empêche, pour le reste, il y a Wikipédia…

29 août 2007

Pourquoi être à ça de quelque chose ne veut-il rien dire

Dans un grand dîner de plénipotentiaires, supposons que tu es assis entre l’ambassadeur russe et sa femme et sa maîtresse (mais la roulette n’est pas venue, elle doit flâner quelque part avec Tchaïkovski sur le bord d’un lac, sûrement avec des cygnes), ce qui est donc à la fois moralement et géographiquement difficile à concevoir. Voilà donc que tout le monde s’amuse en mangeant des petits sushi au beurre d’érable, car c’est un plaisir de dignitaires que de manger des aliments qui ne vont de prime abord pas ensemble. Et là, c’est toujours un bon moment après le deuxième hors-d’œuvre (ou les compliments d’usage sur la trempette à légumes, «Elle est russe, cette trempette? – Non. – Ah! Enfin, je croyais…»), il faut trouver un sujet de conversation de société qui fera le bonheur de tous. Mais diantre, on finit par se lasser d’échanger sur la pérennité des contraintes de tension induites dans le béton précontraint des viaducs et sur les dangers d’accueillir trop d’immigrants qui ont des points de vue divergents, sur le beurre d’érable notamment.

«Alors, Frédéricovitch, tu te rappelles les amours de nos vingt ans. Ou la mer, le long des golfes clairs? – Celle qui a des reflets d’argent? – Oui, celle-là. – Mais j’ai oublié les amours de nos vingt ans par contre. – Je m’en doutais, tout s’en va à vau-l’eau. – Oui, c’est à cause de la Guerre Froide et de la Conquête de l’espace. On était à ça de gagner…»

Heureusement, à ce moment-là, tu penseras peut-être à ce sujet, ce qui sera très bien puisque c’était aussi le titre du billet et que le sujet amené devenait très long: pourquoi être à ça de quelque chose ne veut-il rien dire, sans point d'interrogation, car c'est évidemment une réponse que tu as. La prémisse de ton raisonnement consiste évidemment à imposer l’évidente abstraction du concept et surtout le manque total d’échelle de référence, et ce, de façon très ferme, dès le départ. Entre ça et ça, sans légende, on s’y perd un peu en effet. Qui dirait à un aveugle: «Voilà, c’est là-bas»? Tu notes alors que l’utilisation du ça à des fins exactement représentatives est effectivement en déclin. Le ça mesure donc le plus souvent a posteriori la distance qui sépare l’occasion ratée du bon coup, d’où l’imposture probable et le flou gaussien général. Juste après, comme c’est maintenant la meilleure place pour placer les arguments plus boiteux, il te faut affirmer que c’est le résultat qui compte en bout de ligne. Et prendre un air convaincu, inébranlable, sûr, voire arrogant, on ne t'en voudra plus, rendu là.

Enfin, tiens, tu étais à ça d’écrire un texte qui l’illustrait parfaitement.

«Hé, mais ça finit en queue de poisson. – Oui, j’étais à ça de te le dire. Tout s’en va à vau-l’eau.»

24 juillet 2007

6 – De l’orgueil

Tu écris dans un blogue, alors foncièrement, en quelque part, tu n’étonneras personne en admettant que tu es un peu orgueilleux. Mais enfin, pas de cet orgueil vain qui fait que les gens veulent des souliers qui s’agencent à leurs bobettes griffées ou qui en poussent d’autres à acheter à fort prix les plus grotesques lunettes de soleil en raison d’une mode californienne décidée à la va-vite par deux starlettes ivres. Non, disons plutôt le genre d’orgueil qui te pousse à te relever tout de suite lorsque tu tombes, comme c’est probablement écrit dans n’importe quel livre de croissance personnelle sauf peut-être dans Les hommes aussi ont le droit de pleurer. En fait, la dernière fois que tu ne t’es pas relevé tout de suite, tu étais en deuxième année, tu venais de choir dans la neige tapée après avoir fait quelques fortuites roues latérales en ski alpin, et tu avais accessoirement un tibia fracturé. Mais la douleur, tu t’en rappelles encore très bien, était cuisante: à la fois un déchirement, une entorse, et une luxation ô combien aiguë de l’orgueil. Et ce dans l’allée juste sous la remontée mécanique, alors, non merci, tu ne t’es pas donné le droit de pleurer, aussi.

Donc, tu avances dans la vie avec ce regard assuré, celui qui est de mise dans les réunions au bureau et dans les catalogues Sears, celui qui fait en sorte que même si tout semble vouloir partir en morceaux, tu ne bronches pas et tu passes à travers. Mais d’autre part, il ne faut pas s’inquiéter non plus, tu as avec ton ça et ton moi un surmoi qui fait généralement très bien l’affaire, dans un format pratique qui se trimballe partout et qui a l’avantage de ne pas être en métal pour ne pas faire sonner les détecteurs dans les magasins et les aéroports, alors ça diminue beaucoup tes risques d’inflammation de l’ego.

Ton costume de Superman ne comporte ni cape magique volante ni slip bleu royal moulant, il est fait d’un peu d’orgueil de bonne trempe bien placé, et ça fait des miracles.

En fait, en y pensant un peu, c’est même probablement par orgueil que ton costume ne comporte pas de slip bleu royal moulant.

En fait, le bleu royal, ça ne te va pas si bien.

12 juillet 2007

5 – De la luxure

«Du pain et du stupre!» aurait lancé Juvénal si la passion des Romains pour le cirque avait été un peu moindre et que Rome eût été un bordel moins cachottier. Mais il a parlé de jeux, parce que Rome était sanglante mais assez chaste; on y mangeait candidement des pâtes al dente en discutant d'huile d’olive pendant que des gladiateurs s’entretuaient gentiment au soleil sous le ciel de mai, entre amis, en faisant quelques parades de char entre les lions, et certains gardaient parfois leur montre pendant la course, alors c’était très rigolo, on s’y amusait tout le temps. Las Vegas, bien plus tard, ayant déjà les néons criards de tout sex-shop qui se respecte et l’ensemble des autres vices (et éprouvant quelques difficultés à comprendre la satire de Juvénal), décida donc de remplir ce rôle lascif. Curieusement, l'érection d’un immense hôtel phalloïde de béton armé et de verre trempé semble encore en phase préliminaire.

La luxure: voici donc le péché qui attirera les visiteurs uniques en manque de Pamela Anderson, de frotti-frotta oniriques, de va-et-vient suggestifs, de turgescences zoomées et de Pamela Anderson encore, mais sans habit de motoneige cette fois-ci et la * à l’air avec ses gros *, si possible *, en supposant des requêtes polies et étrangement censurées par des astérisques. Enfin, les gens sont prêts à faire des bassesses pour un peu d’horizontalité.

Bon, alors disons que si Dieu commence à avoir peut-être l’intention de mettre éventuellement ta chasteté en doute, certes, il aura bien raison de le faire. Mais bon, tu ne le lui as pas vraiment caché; tu as même poussé l’audace jusqu’à aller cueillir la pomme du péché originel dans le couvent où pensionnait ta copine, alors si ce n’est pas de la franche et loyale compétition… Ah? de l’effronterie?

Et le mariage qui absout les péchés du monde? C’est dans les plans? Pour toi, le mariage à l’église relève de la tartuferie, celui au palais de justice frise la condamnation et celui dans le Sud sur un grand bateau blanc baignant dans une mer turquoise renvoie à une scénologie ridicule de feuilleton américain. Il est hors de question que tu partages le même phantasme qu’une ménagère texane ou qu’un personnage nommé Kelly. Il s’agit donc clairement d’une impasse.

Mais tu décrètes que la continence est un bien plus grand cul-de-sac encore.

10 juillet 2007

4 – De la gourmandise

La gourmandise est un péché grave. Il convient de punir sévèrement ceux qui osent se servir une deuxième ration de patates pilées, ceux qui prennent une grosse pointe de tarte aux fraises ou qui mettent trop de sauce forestière sur leur rôti (et même sur les patates parfois, c’est tout dire). Ces gens sont dangereux et contribuent à précipiter les sociétés dans la déchéance la plus totale, un monde fou où la morale se diluerait infiniment comme un bouillon de soupe de buffet chinois. Et qu’on laisse enfin les fraudeurs et les mafieux tranquilles.

En fait, la gourmandise occidentale reçoit un mélange d’oppression et de grand encouragement, ce qui ne garantit pas des résultats probants. Oui, les messages sont parfois contradictoires; tu le sais, tu as déjà vu à l’épicerie une couverture de magazine (était-ce Le Monde diplomatique ou Les Affaires?) avec une photo de gâteau fondant au chocolat avec de la crème fouettée, des petits copeaux de cacao, des cerises givrées, du sirop d’érable et du coulis de fraise avec du caramel au beurre par-dessus, et une accroche d’article qui disait sensiblement: «Mon régime de tofu et de carottes me rend folle de joie!»

Alors, les manges-tu, donc, tes émotions? Tu prends une deuxième assiette même lorsque tu n’as plus faim, parce que, enfin, c’est la recette de ta tante Lucienne? Sérieusement, te concoctes-tu des mets par trop caloriques (pas trop catholiques)?

Alors, tant que les inspecteurs du Guide alimentaire canadien ne viennent pas analyser ton menu, tu peux considérer ton alimentation comme respectable. Tu aimes même les épinards et le brocoli, alors c’est difficile de s’autoflageller en prenant un deuxième bol de salade. Mais bon, il ne faut pas croire que tu es raisonnable tout le temps (ah! ce qu’il faudrait être dupe). Sauf qu’encore là, des signes extérieurs (appelons ça Dieu, le dos est large quand on est partout) viennent périodiquement calmer tes envies de glucides et de lipides poly-insaturées: ton pop-corn explose au micro-onde, tes nachos prennent en feu dans le four et d’autres interventions divines sont offertes sur appel. Mais parfois, Dieu doit s’égarer un peu trop ailleurs (c’est-à-dire Dieu sait où, selon la sacrée expression consacrée), parce qu’il fait flétrir tes épinards et brûler tes pâtes dans le fond du chaudron, et ça, ce ne sont pas des tours à jouer… ce sont des gaffes de dieux amateurs.

05 juillet 2007

3 – De l’envie

L’envie mérite-t-elle vraiment sa place dans le palmarès des péchés? Car si un quidam envie un autre quidam, où est le mal? Supposons que tu envies avec fougue et péché le quatre-roues du deuxième voisin (ouf! cet exemple est bien tordu), qui trouvera à y redire, sauf peut-être ta conjointe si tu lui en parles tout le temps? Ainsi, causer l’ennui devrait être un bien plus grand péché que l’envie. Mais bon, ce n’est pas toi qui as listé les péchés du monde, ni madame Bovary. Par ailleurs, évidemment, il est bien concevable que si tu convoites tant ce quatre-roues (quelle imagination débridée), tu ne sauras te retenir et garder ça pour toi et que là, le péché peut rejaillir dans toute sa splendeur si tu commets l’indélicatesse d’aller le flatter la nuit ou pendant le barbecue dominical. Ainsi, l’envie est l’intention possible d’un péché, et Dieu, prudent et minutieux (entre autres facettes), interdit cela à la base. C’est du moins ce que Ses scribes ont compris.

La polysémie du mot invite également à la prolifération du péché. Envie d’une crème glacée molle, d’une scie sauteuse Black&Decker (si possible en solde), d’un frigo en inox, d’un k qui se placerait bien dans ta prochaine partie de Scrabble, d’une petite fontaine en forme de chérubin qui fait pipi dans ton jardin (qu’il faut bien cultiver)? Voilà, le péché te guette.

Es-tu envieux, donc? Bah, non, oui, peut-être, un peu, ça dépend, parfois, c’est dur à dire. L’envie a pour toi la bonté de se présenter sous forme de pensées fugaces. Bien sûr, parfois, tu te dis en regardant certaines situations que, tiens, ça semble intéressant d’être riche et en santé et influent et heureux et d’avoir tout ce que tu veux tout le temps, mais la sagesse populaire (encore elle) te souffle alors à l’oreille que l’herbe est toujours plus verte chez les voisins (ce que tu savais déjà, tu la vois tous les jours), mais que quand on se compare, on se console. Alors dans ces moments, tu te fais une toge dans une nappe de lin, tu vas t’asseoir sur une grosse roche au soleil, déposes ton menton dans le creux de ta main et te dis: «Ah! Heureux soit l’homme qui réalise que le mieux est l’ennemi du bien.»

Mais parfois tu te dis que, toi aussi, enfin, tu aimerais bien… Et alors, c’est à recommencer.

02 juillet 2007

2 - De la colère

Bon, tu n’es pas trop colérique. Ou plutôt: tu maîtrises très bien la petite veine battante qui pousse parfois dans le cou de certaines personnes devenant rouges ou bleues lorsqu’un véhicule les dépasse par la droite, dans l’accotement, juste avant leur sortie en pleine heure de pointe, et qui peut les porter à lever un des doigts, tiens, disons celui du milieu, vers leur prochain qui a un peu forcé les choses pour ne plus être le prochain justement, mais le précédent. Tu as donc su trouver le cran d’arrêt qui t’empêche de te transformer en Hulk surdimensionné et de casser, en furie, les assiettes de porcelaine fleurie de ta belle-mère partout dans la cuisine. Bien sûr, tu n’as pas franchi le cap ridicule de commencer chaque phrase par «Je trouve que…» ou «Je comprends tes appréhensions, chérie, tu sens bon et ta nouvelle blouse est très jolie, mais il me semble que…» en rampant pour passer le moindre commentaire, fût-ce l’insinuation légère que la sauce à spaghetti pourrait peut-être, enfin pas nécessairement, ce n’est pas si flagrant… manquer un peu d’épice? Guy Corneau, Oprah, Docteur Phil et tout autre objecteur de conscience qui vit dans la plénitude de la communication sans jamais hausser le ton ne saurait être le bienvenu dans ta chaumière où il fait parfois bon mettre les points sur les i et les barres sur les t, comme le dit la sagesse populaire lorsqu’on lui jase au coin de la rue. Et comme tu ne fais les choses ni à moitié ni dans la dentelle, tu mets aussi les points sur les j et les queues sur les Q (et les s au pluriel en tenant compte des exceptions, mais on s’égare et tu ne feras quand même pas une colère pour des pataquès).

Mais bon, ne viens pas dire que ta coche tu ne pètes point. Non, tu n’oserais pas, mais n’empêche que tu as une façon de te fâcher qui relève un peu de l’abnégation et surtout de la bombe à retardement, et tu as appris qu’il est souvent bon d’user de la politesse et de l’ironie, ce qui travestit ta colère sous des traits presque belliqueux pour quiconque perçoit mal l’ironie. Et tu ne saurais prétendre que cette incapacité est rare.

Et les mots d’église, eux? Ah! ce charmant bagage qui fait les joies des chantiers de construction! Faut-il s’appuyer sur eux, les éviter absolument ou en faire un usage modéré? Jolie question épineuse, mais tu crois qu’un usage personnel restreint et privé, dans le confort de ton salon, puisse être toléré puisqu’il se substitue bien au «Par la présente, j’aimerais bien énoncer que des limites qui m’appartiennent en propre viennent d’être outrepassées et il m’appert important que tu en aies connaissance.» Mais il est vrai que parfois, un pot de yogourt qui tombe par terre et éclabousse tout le plafond, un orteil qui embrasse avec vitesse une patte de lit dans le noir, un caillou qui décide de venir fendre ton pare-brise en plein milieu à la hauteur des yeux, côté conducteur, ça peut occasionner une espèce d’impulsion sur le graphique des stimuli extérieurs et faire en sorte que le cerveau perçoive un certain dépassement de limite. Il est par contre essentiel de contrôler les limites pour éviter une conversation où le sacre agit comme synonyme de tout, de n’importe quoi et surtout de rien: une sorte d’application du langage de Peyo où le verbe schtroumpfer aurait triomphé de toute structure langagière.

Comment schtroumpfes-tu aujourd’hui? Ah! Crissement bien.

26 juin 2007

1 - De l'avarice

Jeune Nord-américain de bonne famille typique (mais sans chien), la personnification la plus facilement identifiable de l’avarice que tu as connue fut Picsou, à moins d’avoir eu une grand-mère particulièrement détestable.

Pour ce premier péché, tu t’en sors bien: tu es loin d’avoir une pièce remplie d’or, jalousement gardée, dans laquelle tu plongerais avec une baudruche et un justaucorps rayé blanc et rouge. Car enfin, des pièces de monnaie comme ça, tout le monde le sait, ça bouche le filtre et ça donne un pH trop acide. Et essaie de passer l’aspirateur dans le fond, après ça!

Mais sans être le Séraphin du village, ordinaire fesse-mathieu parmi les pingres, tu n’es pas toujours un exemple de don de soi, pécuniairement parlant. Le mois passé, lorsque tu vis dans la boîte postale la lettre paroissiale qui quémande la dîme, tu la mis à la récupération sans trop attendre (l’évêque devra garder son calice usagé un an de plus). Ton réfrigérateur est vierge des enfants que tu pourrais parrainer en Afrique. Et quand les enfants de la troisième année primaire passent vendre du chocolat et du café pour leur voyage éducatif à Las Vegas, tu vas même jusqu’à dire un «non merci» poli mais ferme.

Par contre, la rationalité des uns est toutefois l’avarice des autres. Ainsi, tu admettras choisir souvent des produits génériques à la pharmacie et aussi à l’épicerie, puis tu paies dettes et cartes de crédit au lieu d’acheter 72 paires de chaussures, du Beaujolais millésimé de l'entre-deux-guerres, deux Borduas et deux manoirs pour les y accrocher. Et parfois, tu pratiques l’avarice à petite dose, celle qui pousse les gens à manger la dernière pointe de pizza sans la partager en deux.

Mais bon, la morale est que l’avarice, ce n’est pas beau. (La varice non plus, mais ce n’est pas vraiment considéré comme un péché.)

20 juin 2007

Des péchés capitaux

Par une étrange pensée qui traversa furtivement ton esprit, tu réalisas que si tu peux retrouver chaque ligne du Notre Père correctement (soit sans trop trébucher), tu ne saurais réciter le Je vous salue Marie avec exactitude, puis que pour Le credo, c’est peine perdue, les bribes sont bien pâles et tout emmêlées (mais furent-elles déjà claires et ordonnées?).

Tu les appris jadis sans trop y penser, sinon tu aurais été bien embêté de dire si Dieu était finalement aux cieux ou à la boulangerie. Puis bon, la plupart du temps, tu prenais des céréales, alors le pain quotidien, ce ne sera pas nécessaire, merci. Quant au fruit des entrailles, tu te rappelles avec flou les efforts du professeur pour s’en sortir élégamment devant une classe incompréhensive. Enfin, tu trouves encore qu’il y avait quelque chose de curieux pour un bonhomme de sept ans de demander à un étranger qui a un condominium infini dans les nuages, des cathédrales dorées partout sur la planète, et qui en plus s’offre le don d’ubiquité, de ne pas le soumettre à la tentation, et pas seulement ça, mais de le délivrer du mal par-dessus le marché… Disons simplement que tu te questionnais alors bien peu sur le modus operandi du Seigneur et de Ses trésoriers terrestres.

Puis un jour, toute la classe traversa la grande cour de récréation jusqu’à l’église de stuc qui arborait l’affreux style presque moderne des années 1960. Ton opinion sur Dieu n’était peut-être pas très précise, mais sur sa maison, elle était particulièrement tranchée: tu la trouvais bien laide. Et les vitraux dans le plus pur style Dollarama n’aidaient en rien (sans vouloir minorer le talent des artisans chinois). Tu allais pourtant négliger ces détails quelques instants plus tard, après que l’enseignante eut annoncé que le moment était venu de penser à ses péchés, d’écouter monsieur le curé, d’écrire ses péchés sur une petite feuille et d’aller en parler à monsieur le curé tour à tour. L’euphorie, bien sûr. Péché? Et toi qui n’aimais même pas le poisson.

Puis le curé, fin pédagogue, enchaîna possiblement avec deux paraboles et une petite explication digne de l’Évangile en papier sans les lions de carton. Tu te rappelles pourtant l’effroi qui te prit en fixant le petit papier blanc pur sans péché. Il te fallait le souiller d’un péché d’enfant, ridicule par définition bien sûr, mais tu n’avais pas tout à fait le goût de jouer à Vérité ou Conséquence avec le curé et son patron d’en haut. T’étais-tu chicané avec ta sœur pour avoir le verre bleu? Avais-tu mangé un morceau de chocolat en cachette? Avais-tu dit un gros mot à table? Tu regrettas presque de ne pas t’être battu plus tôt, ça t’aurait évité de chercher ainsi.

Tu misas sur la chicane avec ta sœur, possiblement à l’instar de vingt-cinq autres élèves, en plaignant le plus sérieusement du monde les quatre ou cinq qui avaient eu le malheur de naître sans prédécesseurs ou successeurs.

En vieillissant, tu réalisas que les péchés d’adultes ont l’avantage d’être beaucoup plus intéressants et diversifiés, et qu’ils viennent en plusieurs belles catégories avec de délicieuses possibilités d’agencement.

Avarice. Colère. Envie. Gourmandise. Luxure. Orgueil. Paresse.

Le compte des péchés usuels réunis en un forfait sept services; tu as goûté à tout. (Et parfois plusieurs en même temps, sale pécheur.)

17 juin 2007

Le pêcheur de plâtre

Il était peut-être dans la boîte d’un vieux camion Ford, bleu ciel et rouille. Le conducteur, un ancien gars de l’usine à l’arrière de la ville, que ton père connaissait peut-être, un Georges ou un Normand, aurait plissé les yeux parce que le soleil aurait trop fait sécher les nuages.

Venait-il de l’acheter? Était-ce le petit roi du balcon de sa sœur, une veuve éplorée qui déménageait au foyer? L’avait-il cueilli dans les poubelles du nouveau propriétaire, en diagonale de chez lui? Allait-il l’amener dans son parterre, entre un nain de jardin et une brouette renversée où s’éparpillaient des géraniums bien dorlotés?

Le conducteur aurait accéléré un peu en arrivant au pont, le soleil dans les yeux, et le vent dans le toupet d’albâtre du pêcheur.

Et là, aurait-ce été à cause de la vue du ruisseau avec ses gros bouillons pleins de poissons ou à cause de l’ornière dans la chaussée?

Le pêcheur se serait renversé, aurait culbuté par-dessus bord pour s’écraser au milieu des voies. Georges ou Normand aurait poursuivi sa route vers le soleil, les yeux plissés.

Lorsque tu passas dans l’autre sens, sa tête était déjà émiettée et ses bras arrachés. Il ballottait sur son séant entre les voitures, brave Vénus de Milo de patio qui n’arriverait jamais au bout du voyage. Et qui ne pourrait plus pêcher.

31 mai 2007

Les Bourgeois

Il y a, relativement près du bureau où tu vends ton corps ou ton esprit, à une distance qui serait indécente si elle était moindre, une vieille maison aux allures victoriennes qui fait office de taverne attitrée les soirs où le désir de libation (et on fait aussi dans la légèreté, il le faut) devient besoin, qui lui devient parfois nécessité.

À vrai dire, chaque fois, tu t’y sens un peu comme dans une chanson de Brel. La grosse Adrienne de Montalan s’appelle Lynda et connaît de toi l’essentiel: ton nom et ce que tu bois (ce qu’elle appelle une belle grande rousse et ce qu’elle était jadis, probablement). D’autre part, le lieu est également le repaire, entre autres, de maître Jojo et de maître Pierre, une sorte d’hôtel des Trois Faisans. Une armoire antique traîne dans le coin, Verdi et Puccini sont embossés au mur, le Titanic est laqué sur une toile ennuagée, et un vieil écran niché sous les moulures du plafond projette une partie de hockey ou de golf au gré de la programmation. Si tu y parles parfois de toi, les discours sur Voltaire se font rares et tu évites de te prendre pour Casanova (car bon, il y a une femme de la maison à la maison).
Puis, plus ou moins tardivement, en poussant la porte de sortie et en saluant Lynda, tu ne peux t’empêcher de te demander si tu seras celui qui montrera son cul et ses bonnes manières ou celui qui s’en plaindra au commissaire, en sifflotant presque:

Les bourgeois, c’est comme les cochons
Plus ça vieillit, et plus ça devient bête.

18 mai 2007

Corde à linge en folie

Depuis deux semaines, la joie et la couleur sont de retour à Banlieueville. La joie sent le barbecue, et la couleur, ne le cachons pas, c’est le vert gazon (et ton terrain ajoute une touche massive et euphorisante de jaune pissenlit).

Depuis deux semaines donc, après le travail et le souper, tu t’attendrissais presque devant le spectacle des bourgeons qui verdissaient le boisée derrière chez toi, dans la clarté tamisée du crépuscule, avec le chant des oiseaux, et, dusses-tu passer pour un parfait naïf sentimental, tu trouvais que la nature était impressionnante, que c’était apaisant et vivifiant. Un exemple de force tranquille et autres banalités éculées. Vivaldi entamait le mouvement de son concerto le plus susceptible de faire vendre des saucisses à hot dogs.

«Quelle belle invention, la nature», te persuadais-tu. Eh bien, non, c’est une sale hypocrite!

Te voilà donc dans une scène fortement éclairée, à l’extérieur. Tu viens de finir de tondre tes pissenlits (les voisins cesseront alors de t’envoyer des têtes de cheval mort), et tu ne prends même pas le temps de siroter un jus de betterave et de rhubarbe sans saccharine, tu étends les draps fraîchement lavés sur la corde à linge (nous, on est-è dans le vent-ent-ent…). Le ciel est bleu, les draps se gonflent, la brise est bonne; tu te payerais presque une scène de bonheur simplet, mais voilà, tu décides d’aller voir ailleurs si tu y es, et tu n’y vas pas seul, car si tu y es, aussi bien que quelqu’un soit là aussi pour voir ça. Donc, tu prends ta liste de commissions et pars en cavale. À ton retour, tu constates avec stupéfaction que tout ce que tu avais mis sur la corde à linge avait jugé bon de faire ce que la gravité incite toute chose à faire ardemment, et ce vers le bas (c’est ainsi sur ta planète). Tout ce qui était sur la corde à linge, la corde y comprise… et le vieil arbre qui servait de poteau également, avec une triple fracture du tronc. Étrangement, dans ton for intérieur sommairement et subitement extériorisé pour les besoins de la cause, tu blâmes un peu l’ancien propriétaire d’avoir ancré une corde à linge sur un arbre mort.

Mais quelle chance! tu gares rarement ta Porsche en forêt sous la corde à linge.

07 mai 2007

Des potins d’épicerie

L’épicerie est un de tes champs (à défaut de chevaux) de bataille hebdomadaires. La femme de la maison croit qu’il vaut mieux que l’épicerie se fasse à deux, utilisant presque la périlleuse expression temps de qualité, en vantant les mystérieux mérites de la double présence pour choisir le pain tranché du quotidien. Pour peu, elle te ferait penser à Marie-Josée Taillefer, en plus brune et en moins béate (tout de même… – Je suis si heureuse. Devine pourquoi! – Je l’ignore, Marie-Josée. – Eh bien! C’est le retour de la carambole du Maroc* cette semaine! Yahoo! Je vais pouvoir faire des confitures!). Ta pensée, elle, virevolte dans le coin opposé. L’alternance t’apparaît comme une idée pleine de sens et de vertus.

Par contre, tu fais preuve d’une adaptation singulière avec la nourriture et tu modifierais volontiers n’importe quelle recette plutôt que de retourner chercher un ingrédient manquant à l’épicerie. Tu as jadis adopté culinairement le principe de Lavoisier, «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» (En fait, tu dis Lavoisier parce que c’est plus facile à retenir qu’Anaxagore de Clazomènes.) Ce jour-là marqua l’heureuse mort du pâté chinois traditionnel, et ce furent de joyeuses funérailles. Tu es donc disqualifié d’emblée au sein du couple quand vient le temps de proposer l’épicerie à garde partagée. Il y a peu d’équité dans ce domaine; il te faudra un matin trouver un pont à bloquer et des panneaux à escalader.

L’épicerie se fait donc à deux. La technique s’est affinée, les conflits se sont un peu amenuisés. Le lait 1% célèbre ta victoire, et elle se réjouit devant ses poivrons orange. Tout n’est pas encore parfait, il reste toujours les grands litiges «avec ou sans pulpes», «fromage léger ou traditionnel», «jus de canneberge ou jus de raisin», et tu entends clairement le petit soupir improbateur si tu tentes d’acheter une cinquième sorte de vinaigrette… Mais tu as ton lait 1%, rappelons-le.

Et après une joute plus parlementaire qu’alimentaire, vous échouez à la caisse en voyant la lumière au bout du tapis de caoutchouc roulant. Et c'est allors que, dans l’attente, les couvertures de magazines entrent en jeu...

- Mince récolte, cette semaine.
- Seulement cette actrice qui a perdu 20 livres. Voilà, ça mérite un frontispice pour le 7 Jours.
- Actrice? Attends… absence de nom de famille, air niais… je parierais plutôt pour une fille télé-réaliste. Hé! Regarde ici (coin supérieur droit de La Semaine). Elle aurait plutôt perdu 15 livres.
- Oui, c’est la même fille! Quel scandale…

Alors, 15 ou 20? Où s’en est donc la rigueur journalistique allée?

Rigueur, rigueur, rigueur.

*Oh! en parlant de rigueur, il est possible qu’il n’y ait pas de caramboles au Maroc, et qu’elles ne soient pas de retour cette semaine.

24 avril 2007

Honte et chats sauvages

Tu restas quelques instants, dépité, à regarder la relique dans le fond de la chambre du fond du sous-sol, juste derrière le meuble aux soixante tournevis. Tu l’avais bien cachée, presque oubliée. Or, une délégation s’en venait envahir la place. Tu ne pouvais pas courir le risque de les laisser découvrir cette obscure source de déshonneur. Il fallait rapidement t’en débarrasser, et tu ne pouvais vraisemblablement pas la rouler dans un tapis et l’enterrer dans le sous-bois. Voilà, c’est que tu as une conscience environnementale. Et la récupération ne passe que le mardi; et encore là, la honte n’est pas écartée, bien que moins directe.

Il te fallut quelques instants pour te convaincre qu’il fallait la ramener là d’où elle venait. En fait, il te fallut rassembler courage et détermination afin de mener la tâche à terme. Tu devais t’en occuper. Toute la manipulation du monde serait insuffisante pour convaincre ta copine d’y aller à ta place. Tu étais seul maître de la destinée de cette chose infâme qu’un ami (à toi) avait amené chez toi.

Tu t’imaginais cet ami en train de rire à l’heure qu’il était. Il l’avait probablement fait exprès, en plus. Tu tentas de te convaincre que le maudire ne mènerait à rien. «Il faut apprendre à pardonner», qu’il disait, l’autre…

Quelques instants plus tard, tu claquas ta portière et sortis avec l’objet honteux. Tu pressentais le regard de tous, sournois, moqueur, hautain, mesquin, vis-à-vis de ce qui composait une extension de fort mauvais goût au bout de ta main droite. Puis là, vis-tu une mère cacher les yeux de son bambin?

Arrivé à l’intérieur, tu posas la caisse vide de Wildcat sur le comptoir de l’épicerie.

La caissière te tendit un dollar et vingt cents d’humiliation.

16 avril 2007

Intermède, travail, élections et tartuferies pascales

Jeune enfant, tu étais rarement aussi attentif devant le téléviseur qu’au moment où l’émission en cours était remplacée par une image figée avec un dessin en camaïeu peu inspirant et une musique d’ascenseur au mieux sirupeuse, sinon insipide. Il y avait là quelque chose de bien frappant pour ton jeune imaginaire réceptif.

Depuis, les intermèdes font partie de ta vie. Tu aimes les intermèdes (et qui sait, peut-être les intermèdes t’aiment-ils).

Ces temps-ci, il t’a semblé que la vie était un intermède. Ou encore une rame de métro que tu n’arrivais pas à rattraper. Non pas seulement que tu es en banlieue et que métro ici ne rime qu’avec tournedos (et rattraper des rames de tournedos, alors ça, on n’en parlera pas…), mais parce que parfois la vie, elle te fait faire plein de projets qui t’occupent tard le soir dans ton bureau dont les cloisons en vogue ces années-ci se portent aux trois-quarts de la hauteur du plafond.

Comme si ce n’était pas suffisant, tes paris électoraux n’ont pas tenu la route et tu fus forcé de céder trois dollars et quarante misérables cents au vainqueur, au troisième étage du bureau. Tu fus donc en mesure de comptabiliser ta défaite électorale. Un résultat d’élection qui a tout l’air d’un intermède lui aussi, avec ou sans la voix en arrière-plan des barres verticales pour annoncer «nous éprouvons présentement des difficultés».

Puis, épuisé, tu arrivas à Pâques, passas le vendredi à ramasser la poussière qui flânait en groupe derrière les sofas et sous les objets qui manquent toujours de mobilité, entre les va-et-vient à l’épicerie. Puis en attendant le Messie, tu t’évertuas à transformer ton estomac en laboratoire de lixiviation pour jambon, chocolat, sirop d’érable et pommes de terre.

Un intermède, disais-tu…

06 avril 2007

Petite revue livresque presque sans chichis, mais égoïste (partie 2)

Le temps groenlandais était figé. Alors, bien que l’expression ne tienne plus la route, disons que tu continues sur ton erre d’aller (si tant est que la vitesse résiduelle de ton navire n’est pas trop nulle).

Arturo Perez-Reverte, Le Tableau du Maître flamand
Tu espéras puis fus fort déçu. C’est un roman d’enquête un peu pompeux. Le début est somptueux et intelligent, puis on se lasse de tous ces dialogues entrecoupés d’incises aberrantes de futilité. On stagne pendant la moitié du récit à attendre qu’un expert des échecs découvre ce que n’importe quel lecteur ayant déjà touché quelques pièces a déjà compris, cependant que l’auteur nous décrit à chaque instant l’effet des volutes de la fumée de cigarette du personnage principal et la manière dont son verre est tenu. Il ne s’agit donc pas d’un livre sur un tableau et sur les échecs; c’est un livre sur les volutes de fumée de cigarette.

Paul Auster, Trilogie new-yorkaise (Cité de verre, Revenants, La chambre dérobée)
Ton plaisir crût en trois parties. Certains passages du premier livre t’assommèrent un peu mais tu y pris goût, le deuxième t’intéressa, et tu fus littéralement conquis par le dernier.

Kafka, Le Procès
Tu apprécias. La juxtaposition de la froideur du ton et de l’absurdité du fond, ça te plut bien.

Woody Allen, Dieu, Shakespeare et moi
Tu t’amusas. C’est un petit livre d’histoires brèves et de pensées, amalgamées. Un peu de cynisme, un peu d’absurdité, du vrai Woody Allen donc, et tu y trouvas ton intérêt.

Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être
Tu plongeas avec délectation. Tu t’en voulus sur le coup d’avoir trop longtemps cru que c’était un livre pour jeunes demoiselles timorées; il n’en est (évidemment) rien. C’est une histoire riche et marquante, avec une foule d’annexes réfléchies.

Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes
Tu fus subjugué. Tu adoras les liens, les ficelles, la trame narrative, l’étude comportementale. Tu conservas dans ton vocabulaire cette façon d’interpeller Ford, l’usage du terme pneumatique (en parlant des filles), et «Ciel! Prendrais-tu un petit soma?»

Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires
Tu trouvas parfois le temps long. Toutes les histoires sont bien écrites, tu aimas la polyvalence de l’homme. Mais, c’est un peu ignoble de l’avouer, Poe t’ennuya parfois. Toutefois, peut-être est-ce dû à ton flagrant manque d’intérêt pour les histoire de montgolfières?

Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Tu t’épris de la marquise. Tu l’as déjà dit, ça s’est passé comme ça, cette lecture. Maintenant, n’importe quelle séduisante jeune femme peut te parler des Liaisons dangereuses, tu t’en sortiras comme un dieu. Et même citer, si tu y tiens. Vite, un exemple: «On peut citer de mauvais vers s’ils sont d’un grand poète.» (Mais il ne faut pas abuser du «Comme disait Voltaire: "C’est ça qui est ça."»)

Groucho Marx, Les Mémoires de Groucho Marx
Tu satisfis ta curiosité. Alléché par le statut que tu octroyais à l’homme et par les œufs frits sur la couverture, tu achetas impulsivement. Mais bon, les pensées se sont faites un peu plus rares que prévues, et tu réalisas que si le titre était ainsi choisi, c’est qu’il pouvait peut-être réellement s’agir de mémoires. N’empêche, Groucho demeure quelqu’un dont tu apprécies bien le doigté en humour.

Stéphane Dompierre, Un petit pas pour l’homme
Tu apprécias. Lucie Laurier t’avait prévenu que c’était typiquement Plateau, un peu vide et à la limite du misogyne. Il faut dire que Lucie a joué dans Virginie, alors elle a des standards élevés… On parlera d’autre chose, la prochaine fois Lucie, d’accord.

Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe
Tu t’instruisis. Pour faire plaisir à Lucie Laurier, tu décidas de plonger ensuite dans quelque chose de grave, alors rien de mieux qu’un essai sur le sens de la vie, l’absurdité et le suicide avec Kierkegaard cité un peu partout. Ça te plut bien. On pourra en parler la prochaine fois, Lucie.

Jean-Paul Sartre, Huis clos (suivi de Les mouches)
Tu affectionnas l’un, l’autre t’indifféra. L’enfer par les autres, tout le monde l’expérimente un peu, et tu as bien aimé. Par contre, comme tu ne vends pas tous tes avoirs pour acheter du Jean-Sol Partre, quand bien même aurais-tu mal viré, Les mouches, avec ou sans vinaigre, elles ne t’ont pas attiré particulièrement.

Miguel de Cervantès, L’Ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche (tome 1)
Tu fus captivé, sans trop t’y attendre. Honnêtement, tu en avais douté lorsqu’on t’en avait parlé tout d’abord. Il fallut donc plonger. C’est un classique plein de dérision, un pastiche délicieusement ironique des romans de chevaliers qui faisaient la pluie et le beau temps à l’époque. Dans un autre ordre d’idées, la préface d’Aline Schulman sur la traduction est très intéressante (parce que oui, tu pousses la chose jusqu’à lire toutes les préfaces).

Georges Dor, Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré)
Tu y songeas fort, à tout le moins. C’est un essai sur le langage parlé des Québécois, écrit à la fin des années 1990. Pour peu qu’on s’intéresse à la question, l’essai touche sa cible. Par contre, tu trouvas à maintes reprises qu’on ne ciblait pas les plus graves lacunes en se consternant ainsi de la mauvaise prononciation des pronoms et de la négation. Tu passas au moins une semaine à t’observer parler, guettant les pronoms, hésitant à toute les fois entre la diction de Daniel Pinard et celle plus naturelle où la négation fout le camp. Tout ça pendant le temps des Fêtes, ce qui occupa bien tes pensées pendant les réveillons.

Alors, voilà, comme disait Voltaire: «C’est ça qui est ça.»*

* Désolé, il n’y a aucune preuve dans Wikipedia que Voltaire disait une telle chose, mais ma grand-mère le disait si vous voulez accepter la substitution.

21 mars 2007

Petite revue livresque presque égoïste, mais sans chichis (2006, partie 1)

Tu le sais bien, c’est le genre de billets que les gens peuvent facilement abhorrer, mais tu ne t’arrêteras pas pour des considérations aussi altruistes. En plus, joli prétexte, c’était la journée internationale de la Francophonie mardi… et on permet aussi à Vincent Vallières d’écrire une dictée sur les impôts, les accises et les plus-values... Voici donc, en avance en considérant cette perspective-ci, ta déclaration d'impôts livresques 2006.

Donc, en 2006, entre les sagas de Cent ans de solitude et de Don Quichotte (rassemblant à elles seules la majorité des personnages croisés en un an de lecture), tu feras un bref (hum…) tour de piste en essayant de ne dire que quelques mots sur chacun des livres lus, certains excellents, d’autres décevants, intéressants ou casse-pieds. Parfois, voudrais-tu dire, lorsque les livres sont simplement bons, il ne faut pas non plus les lire en tentant de trouver à chaque phrase des traits de génie, à l’affût de ce que ceux qui te les ont conseillés ont jugé excellent ou à la recherche des raisons qui ont fait qu’une œuvre a passé à la postérité. Était-ce cette phrase-ci? A-t-il aimé ce passage? A-t-elle trouvé cette métaphore inventive? Mais enfin, c’est ce que tu fais tout le temps et tu aimes bien ça ainsi; alors pour les grands conseils de sagesse, on repassera…

Gabriel Garcìa Màrquez, Cent ans de solitude
Tu aimas. C’est dense et volumineux, avec plusieurs couches et un arbre généalogique de personnages sublimement touffu. Ça tient plus du roman fleuve qu’à l’idée que tu t’en étais forgée, mais l’atmosphère t’a charmé.

Martin Page, Comment je suis devenu stupide
Tu souris. L’idée de départ t’a attiré: devenir heureux en découvrant les vertus de la stupidité. C’est humoristique, très court, ça passe très vite et fait sourire. C’est l’objectif et il est atteint.

Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans
Tu dois admettre avoir aimé. Le titre le dit: thèse selon laquelle l’amour dure trois ans. Beigbeder est parfois exaspérant, mais il a le sens de la formule, de la concision et de la tape sur la gueule.

Dennis Lehage, Mystic River
Tu aimas bien. C’est un bon roman policier efficace. Les personnages sont très bien décrits, l’histoire est fluide, le ton est juste.

Hubert Aquin, Prochain épisode
Tu tiquas. L’incipit est célèbre, la forme travaillée et le message dense, mais ce ne sera pas un de tes livres phares. Une veilleuse tout au plus.

Massoud Al-Rachid, Noir destin que le mien
Tu soupesas longtemps. Tu passas beaucoup de temps à tracer des parallèles avec le Candide de Voltaire, ce qui a constitué l’essentiel du plaisir que tu en as tiré étant donné que tu n’es pas vendu à Jean Leloup, corps et âme et jugement. «Un peu mince», dis-tu en tentant d’éviter les lapidations.

Hubert Aquin, L’Invention de la mort
Tu embarquas. Il y a là l’annonce de quelques thèmes de Prochain épisode, puis la solitude, l’amour distancié avec Madeleine, et enfin le chemin tortueux (dans tous les sens) qui mène au barrage de Beauharnois par la route 132.

Nicolas Dickner, Nikolski
Tu aimas bien. Tu avais accroché en lisant le début ici, en raison des images et de la souplesse de l’écriture. Tu ne fus pas déçu. Attention, peut donner le goût de boire du rhum.

Michael Connelly, Le Poète
Tu eus ce que tu attendais. Roman policier énergique, avec la course contre le méchant en bonne et due forme, le doute qui pèse sur tout le monde et l’intrigue bien ficelée; dans le genre, ça répond tout à fait aux attentes. Curiosité technologique avec le recul de quelques années: dans certains passage, l’auteur explique ce qu’est une caméra numérique.

Matthieu Simard, Ça sent la coupe
Tu essuyas ta déception. L’histoire est simple, le style n’est pas désagréable; c’est bien mais tu avais mis la barre au-dessus de ce que ça atteignit, ce qui laisse toujours un goût fade. Il faut dire aussi que tu n’aimes pas vraiment le hockey, mais tu persistes et signes: ça n’y change rien.

Boris Vian, L’Écume des jours
Tu le savais déjà, mais tu aimas d’un amour sectaire. C’est un vrai bonheur de lecture, une histoire à la fois légère et dense dans une atmosphère où tout participe à l’action; les personnages principaux et secondaires autant que les murs de l’appartement, le climat extérieur autant que les animaux domestiques. De plus, la fin de ce roman, tu la considères toujours comme une des mieux écrites et des plus marquantes que tu aies lues.

Eric-Emmanuel Schmitt, La Part de l’autre
Tu fus intrigué, parfois agacé, mais satisfait. L’idée de départ est tentante: la comparaison des vies d’Hitler, telle que vécue et telle qu’imaginée s’il avait été accepté aux Beaux-Arts. Schmitt martèle parfois un peu trop, se permet des improbabilités qui font sourciller, mais c’est une histoire somme toute captivante.

À suivre.

13 mars 2007

La mort d’Onan

Onan est décédé.

Le souffle un peu court, il inclina sa carène au fond du gouffre, immuable bocal à l’eau un peu trouble. Onan, celui des derniers jours, lors de son chemin de croix, avait l’œil globuleux et comminatoire devant les livres bien alignés sur la tablette et devant la télévision où ne jouait pas assez de National Geographic à son goût.

L’amour et la nourriture sèche malodorante que tu as saupoudrés au-dessus du bocal n’y ont rien changé. Il n’était plus heureux comme un poisson dans l’eau, ce qui lui fut plutôt fatal, parce que, enfin, c’est bien difficile pour un poisson rouge d’en faire abnégation.

Il s’est donc laissé choir, en gonflant ses branchies devenues bistres. Tu l’accompagnas dans son calvaire, avec ce qu’il fallait d’empathie.

Puis tu regardas autour de toi: les plantes vertes jaunissaient devant la porte vitrée; les meilleures jours de la violette africaine semblaient derrière elle; même le bambou, en général si résistant et si peu sensible aux aléas du froid et de l’ensoleillement, avait interrompu sa croissance et pâlissait journellement.

Désolé, Onan. J’ai fait de mon mieux.

Tu disposas d’Onan, arrosas les plantes, approchas les pots des calorifères et des fenêtres. Mais sur le soleil et la température, tu as bien peu d’emprise.

01 mars 2007

Les abandonnés (lauréats)

Didascalie: Pendant qu’une blonde sulfureuse dans une robe à paillettes se tient à tes côtés avec une statuette polie dans les mains, tu ouvres l’enveloppe, retiens ton souffle, puis déclares: «Voici les lauréats. Puis je sais, vous les avez déjà trouvés.»

J.K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers
(Oui, bon, ça ne marche plus pour le jeu de lettres: qu’on te pardonne cette mauvaise préparation qui bousille un peu les choses pour ce titre-ci. Cette idée de traduire n’importe comment, aussi! Et puis, ce sont des livres abandonnés, alors tu as droit à l’erreur; ce n’est pas comme se tromper en cherchant le nom de sa mère.)
Tu as lu la moitié du premier tome, que ta sœur en pâmoison recommandait depuis quelques mois déjà. Peu réjoui, tu le mis de côté sans jamais y revenir. Tu en voulus même un peu à ta sœur. Tu serais (ou aurais) un enfant de dix ans, ton intérêt pour le livre pourrait être différent (dans le sens d’existant). Ce n’est pas le cas, tu peux donc opter pour l’abstinence, mais peut-être tenteras-tu de finir ce tome pour soulager ta conscience gnostique (pour ne pas dire ta gnostique de conscience), et pour ne pas risquer de perdre une partie de n’importe quel jeu qui demanderait d’expliquer comment finit (bien, sans doute) le premier tome d’Harry Potter (alors que simplement te remémorer le titre en français a été ardu). Mais, (tu sors le surligneur) hors de question d’embarquer dans la croisière pour sept tomes d’aventures que tu juges déjà fort similaires.

Marc Fisher, Le Millionnaire
Horreur et damnation! Tu l’as pris (et non pas acheté) par hasard, il y eut une robuste méprise, et tu ne t’aventuras pas bien loin. Ce que tu retins de ce livre fut l’histoire d’un auteur qui cherchait trop un style à tout prix, pour appuyer sa belle morale bien grasse. Un style vif, rapide, qui force le lecteur à lire très vite afin de transformer la vacuité du roman en pseudo-révélation sur les choses de la vie. Un style qui permettrait à son auteur de déclarer qu’il sait comment écrire des livres accrocheurs et que tous peuvent l’écouter pour qu’il délie sa sage langue et leur donne la bonne recette du succès. Un jour, peut-être te fouailleras-tu pour le lire au complet, mais ce sera avec toute la mauvaise foi que tu seras capable de contenir, comme certains s’adonnent à l’automutilation ou s’affligent en écoutant Stéphane Gendron à la radio. Ah! non, tu ne peux pas croire que tu feras ça.

Stendhal, Le rouge et le noir
Objectivement, tu te convainquis que cet abandon était temporaire. Entamé lors d’un creux de lecture, tu savais que ce n’était pas le genre de livre que tu avais le goût de lire à ce moment-là. Ce qui devait arriver arriva: Julien de Sorel eut seulement le temps de traverser une quarantaine de pages avant que tu ne fisses de lui un laissé-pour-compte, dans un endroit décrit avec moult détails (tu as encore les pierres du mur de soutènement en tête), au moment où un autre livre te fut prêté. Tu replias donc ton vieil exemplaire jauni aux encoignures usées, lecture forcée de ton père pensionnaire pendant son cours classique. À l’intérieur de la page de garde, sa signature adolescente y est inscrite, toutes lettres bien calligraphiées (graphologie que tu n’aurais pas cru possible de sa part avant de tomber sur le livre dans le sous-sol parental). Ne serait-ce que pour cette raison, un jour tu permettras à Julien de continuer son existence à présent figée au haut de ta bibliothèque, juste au nord d’À l’est d’Éden de Steinbeck.

La blonde sulfureuse fit alors un faux pas, son talon cassa, et le trophée poli alla s’effondrer sur le plancher.

27 février 2007

Les abandonnés (prémices)

Depuis le premier minimaliste livre Le chat sale lu au primaire (Le chat est sale. Le chat est dans le bain. Le chat est propre. – Le dénouement étonnant a maintenant été dévoilé.), rares ont été les livres qui sont passés dans tes mains sans avoir été lus d’un bout à l’autre. Tu te souviens bien des affiches qui trônaient dans les classes de français de ton école secondaire et qui servaient à la fois à cacher les trous des murs de carton et à clamer les Droits imprescriptibles du lecteur, sortis tout droit du livre de Daniel Pennac.

Il y était écrit bien clairement que le lecteur avait 3. Le droit de ne pas finir un livre.

Chevaleresque, tu as toujours été réticent à abandonner un livre entrepris, comme si un contrat devait être respecté, la punition pour les lecteurs récalcitrants atteignant des niveaux de cruauté plus grands encore que le châtiment de l’ennui ou de l’exaspération entraîné par la lecture affligeante. Ainsi, quand tu ouvres une boîte de Pandore, tu ne la refermes pas avant que tout l’espoir n’y ait été aspiré. Tel un Petit Poucet, tu as parsemé ta vie de plein de boîtes livresques de Pandore, vidées, toutes siphonnées de l’espoir itératif que les prochaines dix pages soient plus intéressantes que les cinquante dernières.

Un de ces premiers engagement de la conscience pour poursuivre une lecture bon gré mal gré, une de ces premières déceptions, est survenu au primaire. En troisième ou cinquième année, chaque étudiant devait piger un numéro qui correspondait à un livre pour ensuite effectuer le travail demandé. Petit gaillard jusque là heureux, tu pigeas sans crainte. Horreur! tu as eu droit à un livre mettant en scène Joséphine, jeune fille romantique en robes à jupons sur fond de guerre de Sécession; Autant en emporte le vent pour jeunes filles en fleur, Anne et sa maison aux pignons verts en Alabama.

Les séquelles auraient pu être terribles; tu aurais pu devenir misogyne ou coiffeur styliste. Or, ta force de caractère t’a permis de surmonter l’épreuve et d’en sortir grandi. Douloureusement, tu avais appris l’injustice et la contrition (à cause de l’imposition du livre, pas grâce à sa narration poisseuse).

Depuis cette juvénile traversée du Styx, tu abandonnas trois livres en cours de lecture.

J. K. R. – H. P. et la P. P.

M. F. – Le M.

S. – Le R. et le N.

Les lauréats seront annoncés sous peu, avec de vibrants témoignages. Et d’ici-là, ça fait un génial jeu de devinettes pour divertir la galerie.

25 février 2007

Du lien saugrenu entre randonnées et salutations

Tu descends au fond des choses et sur le flanc de la montagne (possiblement pendant que Cuba coule en flamme au fond du lac Léman), et tu te dis qu’il est curieux tout de même que tout le monde se sourie et se salue ainsi en randonnée. À quelque trois cents kilomètres de l’endroit où tu fais normalement tourner ta clé dans une serrure de porte, tu échanges en un après-midi plus de salutations qu’en un an parmi tes voisins. (Hormis la fois où ta tondeuse a craché un peu d’herbe sur l’asphalte lisse d’à côté, mais il s’agissait alors bien peu de sourires et de salutations.)

Alors, pourquoi se salue-t-on à tout venant en randonnée?

Tes pieds sont bien enchâssés dans des raquettes (empruntées) en aluminium, le soleil gazouille et les oiseaux rougeoient. Si ta fenêtre est un jardin de givre, il ne faut pas chercher aujourd’hui la douleur que tu as! que tu as! Le climat aide donc. Néanmoins, le même climat sur un trottoir bondé de Montréal ou sur le bord d’un fossé rural n’a pas le même effet. Que signifie ce salut? Que vous fraternisez entre gens possédant des pieds? Que vous vénérez l’instinct presque grégaire qui vous unit sur la route des coureurs des bois? Que ce partage du grand air vous fait partisans du «Vas-y, fais-le pour toi!»?

Il y a là un bien grand mystère. Mais le charme, de retour au bercail, n’opère plus que difficilement. Fort de ton expérience montagnarde, tu le vois lorsque tu salues ton grincheux voisin d’en face. L’incompréhension dans son regard vide marque son désintérêt total pour les salutations, ce code si complexe du civisme moderne.

Dans son cas, tu ne recommenceras plus, promis.

19 février 2007

Discussion de bureau

Tu courais dans le couloir lorsque vous vous êtes croisés.

- Hé! J’ai trouvé pourquoi le nom m’était familier, commenças-tu.
- Ah oui?
- C’est la femme de Paul Auster!
- Wow! Un potin littéraire.
- Je sais… on ne rit plus.

En quelques phrases, tu avais eu le temps de te déplacer devant le bureau de la réceptionniste qui, se sentant un peu dans la conversation attrapée au vol, éprouva un impérieux besoin de parler littérature aussi (probablement interpellée par le son en ter et la mention du potin).

- Harry Potter? demanda-t-elle.

13 février 2007

Nostalgie en direct

Dans une salle trop éloignée, une mariée trop belle embrassait un ami pas vu depuis trop longtemps.

Des parents fiers prononçaient des discours trop vite, nerveusement, avec des mots trop filants mais bien sentis. Tu lorgnas un peu les voisines de table, inconnues lippues au buste trop serré.

Des filles en robe de charleston échancrée dansaient, genoux fléchis, sur une musique trop forte, sur des talons aiguilles trop fins. Des gars les accompagnaient avec un sens du rythme bien déficient. Des souliers cirés s'embrouillaient sur le plancher verni.

Tu mesuras à l’auge l’espace-temps qui séparait tes souvenirs d’étudiants et ce moment pour voir combien le temps ne chômait jamais. Il passe et il change les grands enfants, aussi responsables soient-ils, en adultes. Si on le laisse faire, il crée plein de vieillards aussi.

Tu avanças vers l’homme en smoking gris fumée. Tu tapas sur son épaule, fis l’accolade, souris. Tu le félicitas. Et simultanément, tu songeais un peu malgré toi que c’était peut-être une de ces dernières rencontres qui parsèment une vie.

Un jour, te dis-tu, c’est le souvenir que tu auras gardé d’un vieil ami d’université.

Une salle trop éloignée, une mariée trop belle, et un ami pas vu depuis bien trop longtemps.

06 février 2007

Acharnement raisonnable

Trois gars et une fille réunis autour d’une table où trônèrent successivement deux pichets de bière reçoivent leur facture. Le décor est celui du East Side Mario’s.

Le serveur attitré, bien inconscient des risques encourus en agissant de la sorte, laisse alors sur la table un stylo et une fiche qui annonce que les commentaires sont les bienvenus.

Budda boom budda bing.

Les initiés parmi vous comprendront que ce proverbe d’une sagesse légendaire orne le dessus de la feuille des commentaires. Les commentaires s’en sont donc allés sur ce bijou de slogan envoûtant. Tant pis pour ceux qui préfèrent indiquer qu’il y a trop de sarriette dans les tortellinis.

Budda. Serait-il possible de remplacer ce nom évoquant un dieu étranger pour une icône qui représente plus les valeurs et les spécificités québécoises et canadiennes? Une divinité plus catholique nous eût semblé préférable. Or, étant donné le cours de la foi à la bourse religieuse de ce pays, le nom d’une personne adulée de la masse serait encore mieux. Nous proposons Céline Dion ou le petit Jérémy.

Boom. Ce terme semble très violent. Il y aurait lieu de le remplacer par un élément plus paisible.

Bing. Nous aimerions que vous vous assuriez que ce vocable n’est pas un anglicisme.

Le côté à l’est de Mario saura où adresser ses remerciements lorsqu’il tentera d’ouvrir une franchise à Hérouxville (là où les Musulmans prient sans doute Bouddha entre deux excisions). Vous savez, si on peut éviter quelques lapidations…