17 juin 2007

Le pêcheur de plâtre

Il était peut-être dans la boîte d’un vieux camion Ford, bleu ciel et rouille. Le conducteur, un ancien gars de l’usine à l’arrière de la ville, que ton père connaissait peut-être, un Georges ou un Normand, aurait plissé les yeux parce que le soleil aurait trop fait sécher les nuages.

Venait-il de l’acheter? Était-ce le petit roi du balcon de sa sœur, une veuve éplorée qui déménageait au foyer? L’avait-il cueilli dans les poubelles du nouveau propriétaire, en diagonale de chez lui? Allait-il l’amener dans son parterre, entre un nain de jardin et une brouette renversée où s’éparpillaient des géraniums bien dorlotés?

Le conducteur aurait accéléré un peu en arrivant au pont, le soleil dans les yeux, et le vent dans le toupet d’albâtre du pêcheur.

Et là, aurait-ce été à cause de la vue du ruisseau avec ses gros bouillons pleins de poissons ou à cause de l’ornière dans la chaussée?

Le pêcheur se serait renversé, aurait culbuté par-dessus bord pour s’écraser au milieu des voies. Georges ou Normand aurait poursuivi sa route vers le soleil, les yeux plissés.

Lorsque tu passas dans l’autre sens, sa tête était déjà émiettée et ses bras arrachés. Il ballottait sur son séant entre les voitures, brave Vénus de Milo de patio qui n’arriverait jamais au bout du voyage. Et qui ne pourrait plus pêcher.

2 commentaires:

Megane a dit...

Une histoire qui commence joliment et qui chute... douloureusement. J'aime bien l'imprévisible.

François a dit...

Merci bien, Mégane. Je m'applique pourtant ailleurs pour faire en sorte que ma vie ne soit pas (trop) une histoire qui commence joliment et qui chute douloureusement!
Bienvenue au Groenland.