24 novembre 2010

Appartement 6

Au-dessus de nous, il y avait beaucoup de va-et-vient, une jeune femme blanche, une dizaine d’individus que Claude Poirier n’hésiterait pas à qualifier de louches et de race noire, de la musique forte qui ne passerait jamais à Cité Rock-Détente… et notre plafond qui vibrait régulièrement sous des impulsions rythmiques qui lui faisaient frôler la résonance, lui donnant des airs du Tacoma Narrow Bridge juste avant qu’il s’écroule. On aurait pu croire à du basket-ball, n’eussent été les cris et gémissements qu’on réserve habituellement à une autre sorte d’activité (non, pas le bowling, vous avez une deuxième chance).

La fille aux yeux pochés (sûrement à cause des heures supplémentaires) s’astreignait à une mode très minimaliste qui exigeait en tout temps que le moins de peau possible soit couverte. Ses tenues de prédilection se résumaient à deux bandeaux de tissus portés aux endroits qu’on pourrait qualifier de stratégiques.

Mme Robitaille, qui heureusement n’était pas une adepte de cette mode, avait peur que la fille attrape un rhume (personnellement, j’aurais plutôt misé sur une gonorrhée ou un fœtus alcoolisé). Elle a attendu de la croiser dans l’escalier et lui a offert ses vieux t-shirts, pour ne pas prendre froid. La fille, étonnamment, a refusé.

Un jour, un fourgon cellulaire s’est garé devant le bloc, puis les policiers ont entrepris de le remplir vite fait. Deux, quatre, sept, neuf… Il devait y avoir du monde dans le moindre recoin. Tout le monde les mains dans le dos, et hop! dans le panier à salade.

Un peu après, le vieux monsieur engagé pour nettoyer l’appartement 6 pestait, racontait à qui voulait l’entendre, et inutile de mentionner que Mme Robitaille voulait l’entendre, qu’il avait déjà vu des fosses septiques plus propres. Je ne sais plus trop comment il est venu à bout de la tâche, il a peut-être fait bouillir l’appartement dans le Purell pendant dix minutes.

10-4.

02 novembre 2010

Appartement 5

On a peu connu les voisins de l’appartement 5. Toutefois, on les a beaucoup sentis.

Et ils sentaient souvent et fort. La même odeur que la marijuana, curieusement.

Un jour qu’on passait à côté de la petite fille qui jouait dehors, elle nous dit: «Regarde, elle est belle ma belle robe que papa m’a acheté avec l’argent qu’il a reçu hier, hein?». Oui, oui, très belle, bon, on doit y aller nous autres je crois. Esquiver est un art: on savait grâce à Mme Robitaille que le père était revenu de prison la veille ou l’avant-veille.

Mme Robitaille nous a aussi confié un jour sur le palier qu’elle trouvait que les voisins d’en haut utilisait des drôles d’épices dans leur cuisine, puis que parfois ça sentait drôle. On ne trouvait pas? Une fois, ajouta-t-elle, elle est allée leur porter de l’encens, mais ils n’en avaient pas voulu.

Par la suite, c’est ce qu’on se disait aussi. Bon, les voisins qui font encore de la sauce à spaghetti. Quels cuisiniers zélés, ça sent déjà depuis deux jours.

26 octobre 2010

Appartement 4

Notre appartement était comme les autres. Même tapis gris sale, mêmes murs blanchâtres. En prime, nous avions eu droit à un mur avec petits amas de stuc baveux et fausses demi-briques blanches dans le salon et à un peu de moisissures dans la salle de bains. Quand nous parlions de la moisissure au propriétaire, il lui arrivait de passer, quelques semaines plus tard, après avoir ronchonné; il donnait alors une petite couche de peinture blanche par-dessus.

Puis il y eut la fois où j’ai senti la céramique du mur céder derrière moi dans le bain-douche. Mon poids n’a certainement pas l’habitude d’être une menace pour le carrelage, mais là, après un petit moment de surprise, je sentais bien le petit courant d’air sur ma fesse nue et les quelques morceaux de céramique entre mes orteils.

On a appelé le propriétaire, il a grognonné puis est finalement venu réparer. Réparer signifiait bien sûr réinstaller les carreaux cassés sur le mur. On n’a plus jamais touché aucun mur de l’appartement.

Mais je me dis que ça aurait pu être pire; j’aurais pu traversé une cloison et aboutir dans l’appartement de Mme Robitaille, cheveux épars, chair nue.

En surprime, on a appris qu’il y avait eu un meurtre dans l’appartement. On avait évité le sujet, on s’était dit que c’était peut-être arrivé dans le salon, à cause de la petite tache plus foncée que j’avais remarquée sur le tapis, à l’endroit qu’on évitait de regarder. Mais un jour, Mme Robitaille entreprit de raconter à ma blonde où c’était arrivé, très exactement dans la chambre à coucher, dans le coin, et de dire comment et avec quoi la femme… Ma blonde l’a interrompue. Bon, merci Mme Robitaille, ça va aller comme ça.

Ainsi, on ne sait presque pas que nous avons dormi toutes ces nuits exactement sur les lieux d’un drame conjugal.

19 octobre 2010

Appartement 3

Mme Robitaille était notre voisine de palier. Elle arborait la jaquette fleurie colorée en tout temps, les lunettes épaisses qui lui donnaient un air perpétuellement étonné, les cheveux courts et gris qui subissaient l’abus de bigoudis. Elle gardait le phare, une cigarette jamais loin, l’œil sur le judas de sa porte, avec vue directe sur la porte principale et sur toute activité susceptible de s’y produire, vraiment toute activité, n’importe laquelle: ah, le facteur qui passe, de l’action! Elle nous avait pris en amitié, ce qui avait possiblement fait doubler l’étendue de son réseau social.

Elle avait une vieille voiture dont on pouvait deviner qu’elle avait un jour été bleue. Penser qu’elle avait un jour été récente demandait un trop grand effort d’imagination. Le fait que, régulièrement, cette voiture démarre, que Mme Robitaille puisse aller faire quelques emplettes, et que toutes deux en reviennent ensemble dans leur état initial, usagé mais fonctionnel, toussotant en harmonie, l’une ses caillots dans le carburateur et l’autre la suie qui lui tapissait les poumons, ça forçait à croire aux miracles de la mécanique. Celle de la tôle comme celle de l’humain.

Elle disait toujours le nom de ma blonde en version anglaise, et je devais me retenir pour ne pas sourire. Elle nous avait même préparé de la soupe une fois. Je ne me rappelle plus trop pour quelle raison (un rabais sur les rutabagas, va savoir), mais probablement pour jaser un brin le temps qu’elle nous la donnait. En comptant aussi sur la jasette à venir quand on allait lui redonner son pot.

13 octobre 2010

Appartement 2

Sous notre appartement, les locataires changeaient régulièrement. Deux filles-mères sont restées un certains temps. On craignait souvent pour les enfants; les bruits qui traversaient le plancher n’étaient pas des plus rassurants. Beaucoup trop de claquements et de cris dans toutes les tonalités. On marchait alors en appuyant fort sur les talons: vous entendez, on entend aussi, vous pourriez pas réviser vos méthodes d’éducation?

La journée où on est finalement déménagés de là, une nouvelle tribu s’installait dans l’appartement 2, le sang déjà bien alcoolisé dès le milieu de l’avant-midi. En fin d’après-midi, on entend gueuler quelque part: «Heille tabarnac, quand je tourne le piton du four, ça dimme la lumière du plafond.» Avec un rire appuyé, le gars qui avait le tabarnac joyeux ce jour-là apostrophe ma mère dans la cage d’escalier en tapis vert usé: «Awoueille madame, viens voir ça.» Probablement avec un air de «mais oui, me semble» dans le front et le sentiment qu’il ne faut pas froisser la jovialité du bonhomme, elle zyeute rapidement. Hé bien, c’est vrai. Tu mets le four à bake, tu montes le tout à 450 Fahrenheit, gros éclairage au-dessus de la table; tu baisses le four à 250, tu obtiens un joli effet tamisé.

Comme quoi les fours ont parfois leurs raisons que l’électricité ne connaît point.

12 octobre 2010

Appartement 1



Elle venait d’Afrique du Nord, quelque part dans l’Ouest. Le Maroc, je crois. Peut-être l’Algérie.

Elle avait l’appartement le plus petit, au sous-sol, et vivait seule avec son petit bonhomme. Le père? Il n’a jamais été évoqué.

Je me souviens seulement qu’elle donnait son nom pour faire de la suppléance dans les écoles, mais se frottait à la bureaucratie conjuguée du Québec et du Maroc (bah, peut-être celle de l’Algérie). Elle avait son diplôme de là-bas, mais on lui demandait les relevés de notes, ou je ne sais trop quoi, va savoir, les radiographies dentaires ou la pointure de souliers de son professeur de maths du premier cycle, peut-être avec un petit mot explicatif du roi pour en attester l’authenticité.

Elle appelait, rappelait, rappelait. C’est déjà envoyé, je vous dis. Ah, on n’a plus ça, désolé. Je vous passe mon collègue, il est nouveau, expliquez-lui donc votre cas. Mais madame, avez-vous bien rempli le formulaire A-4 rose?

Bref, débrouillez-vous.

C’est ce qu’elle faisait. Elle passait sa vie à se débrouiller.

Les gens qui passent leur vie à se débrouiller font des voisins très tranquilles.

06 octobre 2010

Le bloc (ou La bohème, ce n’est plus ce que c’était)

J’ai jadis logé à Hull dans un vieux bloc laid, appartement 4 de 6.

Je sais qu’on devrait éviter de dire un bloc à appartements: ce serait un immeuble. Dans ce cas-ci, l’Office de la langue française devra me passer sur le corps, je maintiens que c’était un bloc; une vraie masse lourde et compacte. Même les balcons semblaient tout faire pour se corroder au plus vite, se détacher enfin de la bâtisse et lui laisser son aspect de bloc. D’ailleurs, la mission secondaire des balcons était probablement de transmettre le tétanos à quiconque eût osé s’en approcher.

C’était un vieux bloc laid, harmonisé au quartier, situé à l’endroit exact où l’urbanisme rencontrait le chaos; l’urbanisme finissant grosso modo dans la cour du dépanneur, du McDonald’s et de la station-service, de l’autre côté de la rue, ce qui constituait la vue si l’idée nous prenait de laisser ouverts les stores de la porte patio déglinguée.

À quelques coins de rue, un grand talus fortement pentu avait nécessité un peu de stabilisation: du béton y avait été giclé sans cérémonie sur la base. Ça allait, ça tenait. C’était un quartier noyé dans le vieil asphalte craquelé. Même les fleurs en plastique n’y survivaient pas. Un arbre de temps en temps faisait ce qu’il pouvait, mais ne pouvait pas grand-chose. Surtout l’hiver. Coup de chance, nous en avions pourtant deux sur le terrain; un feuillu en avant du salon, un conifère sur le côté de la cuisine. Hiver, été, toujours, même au plein soleil: il faisait toujours gris.

C’était le royaume du char monté, du néon bleuté sous la jupette de polymère, de l’aileron qui donne l’illusion de soulever le devant de l’auto, du hoquet des basses qui se répandent pour camoufler de temps à autre le bruit de l’autoroute voisine.

Un jour on ouvre la télé. Hé, c’est le bloc voisin, qu’on se dit mutuellement. Le reporter résume: un type a tué sa femme et commençait à la découper à la scie circulaire quand les policiers sont arrivés. En regardant par la fenêtre de la cuisine, on voyait encore le ruban jaune.

C’était un quartier laid où les voisins avaient des passe-temps non recommandables.

Dire que j’aurais pu être le voisin revenu de tout interrogé par le journaliste: «Ah, vous savez monsieur, moi je l’ai toujours trouvé louche, me suis toujours douté de quelque chose; tenez, je parie qu’il ne mangeait pas de légumes verts et qu’en plus c’est un type qui disait toujours si j’aurais…»

23 septembre 2010

La Tague littéraire (3/3)

Monsieur le psy, si vous essayiez de vous défenestrer sans que je m’en aperçoive, je voulais juste vous dire que je vois vos pieds sous le rideau… Bon…

15. Télé, jeux vidéo ou livre?
Bah, peu de jeux vidéo (je ne me suis ridiculisé à voler comme un poulet sur une planche Wii qu’à quelques reprises et seulement en visite), j’ai une télé basse définition que jamais je ne prétendrai garder constamment fermée (c’est pratique pour éclairer, le soir et c’est joli, y’a tout plein de couleurs), et oui, je fais bon usage des livres. Pas avec cette question qu’on énervera Freud.

16. Lire et manger?
Tout est possible s’il n’y a pas trop de sauce et qu’on ne doive pas trop user du couteau. S’il y a quelqu’un d’autre à table, je m’oblige à la bienséance, le livre écope. (Parfois à regret, mais passons.)

17. Lecture en musique, en silence, peu importe?
Je n’ajoute pas de musique sciemment. Je ne l’écouterais pas de toute façon, ou tâcherais de ne pas l’écouter, ce qui est un travail exigeant. Le silence, le bruit, ça va.

18. Lire un livre électronique?
Bah, non merci. Un peu dangereux pour le bain, non? Et puis, c’est un peu con, mais j’aime savoir où j’en suis dans un livre, notion que j’aime calculer en épaisseur de papier, pour pouvoir me dire ah, c’est fou ce que tel personnage a fait en 12 mm de pages. Il faut aussi dire que j’aime beaucoup trop regarder où le chapitre se termine et savoir où la page arrête. C’est vrai, on arrête de lire où sinon? Quoi, n’importe où? Vous êtes vraiment cinglés…

19. Le livre vous tombe des mains: aller jusqu’au bout ou pas?
Si le livre tombe, je tombe aussi, je le suivrai, hormis pour quelques rares occasions. J’irai où il ira, tant pis, je persiste, et si les dix pages de la fin sont bonnes, hein, hein? Je ne dis pas que c’est sain, et parfois ça m’enrage, mais j’y vais. Si c’est séparé en tomes, c’est différent, on peut bien sûr arrêter à n’importe quel tome (et je sais, on peut marcher sur les joints de trottoirs, ça va, ça va).

20. Qu’arrive t-il à la page 100?
Je n'aime pas vraiment lire de ces livres où il arrive quelque chose de spécial à la page 100.

21. Un livre que tu donnerais à ton pire ennemi?
Bon, il est temps que ça se termine; j’ai un pire ennemi maintenant? Et mon pire ennemi, dis donc, il sait lire ou ce n’est pas nécessaire pour ce qu’il a coutume de faire dans la vie, je ne sais pas, peut-être est-il juste chef politique d'un quelconque pays...

21 septembre 2010

La Tague littéraire (2/3)

Et là, monsieur le psy, comme je disais avant que vous vous assoupissiez en émettant des bruits avec votre bouche…

8. Rencontrer ou ne pas rencontrer les auteurs de livres qu’on a aimés?
Je ne crois pas qu’on ait fréquemment croisé Agatha Christie dernièrement. Mais sinon, rencontrer ou ne pas rencontrer l’éleveur du cochon qui a fini dans ton sandwich au jambon? Rencontrer ou pas le gars qui a fabriqué le sofa sur lequel tu aimes t’étendre le soir dans ton salon? Je l’admets, c’est une échappée pour faire diversion.
Je ne sais pas finalement, je ne suis pas contre, sauf que ça n’arrive pas vraiment, et c’est correct comme ça aussi. J’ai déjà croisé Stéphane Bourguignon sur le trottoir, rue Saint-Denis, et je ne me suis pas dépêché de changer de côté, mais je ne me suis pas arrêté pour le féliciter pour le ragoût de bœuf qui porte son nom et tout… J’ai aussi rencontré Georges Perec dans une station-service de Sept-Îles, mais bon, je me suis dit qu’il ne savait probablement pas qui il était.
Ça, et le fait que je suis un peu sauvage de nature. Vous refermerez la porte en sortant, d’accord?

9. Aimes-tu parler de tes lectures?
Bah, pas tout le temps, pas avec n’importe qui, mais j’y prends souvent plaisir, peut-être parce que ce n’est pas si fréquent après tout; on trouve autour de la machine à café beaucoup moins de gens qui ont lu un même livre que de gens qui ont regardé un même match ou une même émission de télé. Et comme souvent lorsqu’ils ont lu un même livre, ce n’est pas nécessairement un livre que je tiens à lire, on ne s’en sort pas (bon…et quand je serai mort, j’veux un suaire de chez Dior).
J’aime être en désaccord, j’aime quand ça s’enflamme, comme d’autres s’invectivent pour déclamer que le but d’Alain Côté était bon ou non. Je tolère les énormités, j’en ai entendu, j’en ai souvent proféré, c’est le jeu; c’est un des seuls moments où je tolère et même apprécie la mauvaise foi, je veux que ça revole.
J’admets aussi que j’ai le spectre mince; je déteste autant les joviales chroniqueuses qui suggèrent des livres remplis d’émotions dans lesquels on se reconnaît que les pointues entrevues à la radio où des animateurs et des auteurs parlent du constructivisme (s’ils prononcent -iiizzzmmmeeuh, ça m’accable encore plus) cognitif liminaire sous-jacent à… et comme je change de poste à ce moment, je ne sais pas sous-jacent à quoi. Et comme je tombe alors sur une annonce ridicule de magasin de meubles, c’est d’autant plus énervant.

10. Comment choisis-tu tes livres?
Étonnamment, en bout de ligne, souvent à la couleur et à l’odeur.
Tant pis pour les prochains patients, je serai exhaustif.
J’ai un fichier plus ou moins ordonnancé des livres que j’aimerais lire, que j’essaie d’entretenir au fur et à mesure que se pointent critiques, suggestions d’amis, références d’un livre dans un autre. Le système est bien huilé. Les livres que je veux le plus ardemment sont listés en gras; il y a même du surligneur jaune pour ceux que je veux le plus-plus ardemment; et il y a du gris pâle pour ceux que je veux encore, mais moins que je les ai auparavant voulus. Je n’ai pas peur de remanier, d’exclure, de recruter. Le taux de roulement est majeur.
J’enchaîne avec ma stochastique maison: je me calcule mentalement une sorte d’indice de probabilité de trouver chaque titre dans les boutiques de livres usagés que je fréquente le plus. Indice élevé, je n’achèterai pas le livre neuf, j’attendrai de le croiser. Indice faible, je n’hésiterai pas à sortir la carte de plastique pour du frais relié.
Dans la boutique de livres usagés, je ne sors pas ma liste, ce serait d’un mauvais goût. Je vais aux A et je prospecte chaque rangée. Dans l’algorithme général, je m’arrête si je trouve quelque chose qui brille dans le sable, je prends l’oripeau et je jauge. Au début, j’étais inexpérimenté, indiscipliné: ah, ce n’est pas ce livre-là de cet auteur que je voulais, ce livre est tout jaune, la couverture est laide, la reliure craque, il pue l’humidité et la cigarette… d’accord, je le prends. C’était avant. Maintenant, je suis un modèle critique de la raison sereine (non disséquée par Kant). Je fais davantage confiance aux futures occasions, je me permets d’attendre. À l’heure des choix difficiles, je peux donc aller jusqu’à inspirer un peu pour savoir si un livre convoité est propre de son objet; je choisirai préférablement un livre sans champignons, qui ne donne pas le cancer du poumon. Et je continue jusqu’à Z, puis analyse la récolte.
Dans les librairies de livres neufs, autre stratégie, ça dépend du temps disponible, et de la patience d’autrui si je ne suis pas seul. Je négocie avec ma copine: je suis entré tantôt dans tel et tel magasins, j’ai droit à 15 minutes ici (le ton affirmatif, assuré, est de mise). Quand je sens que mes revendications passeraient mal, je joue prudemment: je vais juste regarder s’ils ont (j’insère un titre, pas un trop facile, pas un livre avec lequel on fait des pyramides visibles à trois magasins de distance), c’est tout, s’ils l’ont je le prends, sinon basta!
Mais je sais qu’à tout moment un livre peut court-circuiter la liste, un titre peut me faire de l’œil. Je me laisse séduire par la quatrième de couverture, je regarde un peu sous la jaquette, zyeute l’incipit, et pourquoi pas, une page en plein milieu (elle ne se déplie pas); j’ose à peine l’avouer, mais je peux alors être un gars très facile.

11. Une lecture inavouable?
Un peu, oui. Prise individuellement, ça peut arriver. En bloc, non, j’assume très bien, ça va. Ma bibliothèque ne cache rien, pas de double-fond ou de pan de mur qui pivote. Mais bon, il y a des milieux où il semble que la lecture elle-même soit une petite tare. Enfin, c’est ce que je déduis quand on me demande pourquoi je ne fais pas juste attendre que ça sorte en film.

12. Des endroits préférés pour lire?
Quoi, il y a des endroits autour quand on lit? Généralement: dans les salles d’attente, dans les parcs, sur le bord de l’eau, dans toutes les positions assises et couchées des fauteuils et des lits, sur le patio, dans la salle de bains, au restaurant si j’y suis seul, en auto et dans n’importe quel mode de transport que je ne conduis pas, puis parfois en marchant si le parcours ne comporte pas trop d’obstacles (je m’abstiendrais par exemple dans le Grand Canyon, pour éviter notamment de me faire foncer dessus par Thelma et Louise, ou dans quelque autre endroit périlleux, comme sur un passage piéton à Montréal).

13. Un livre idéal pour toi serait ?
Un livre avec des mots, des pages, le truc habituel, mais qui sache éviter le moule. Le livre générique québécois de la femme forte québécoise d’antan, jolie sans le crier, avec un charme tranquille, qui a la force et la détermination et les opinions de la modernité, qui a soif de liberté, d’émancipation et de justice sociale, qui est responsable de famille depuis qu’elle a neuf ans et demi, qui contrôle tout, mais dans l’ombre un peu, dans l’humilité à tout le moins, ou qui tombe en amour de façon immensément lyrique avec un type d’une classe différente de la sienne, que tout sépare et que l’amouuuur réunira, aaaääähhh… eh bien non, ce n’est pas le livre idéal pour moi.

14. Lire par-dessus l’épaule ?
Lire par-dessus mon épaule, non jamais, ça me fait beaucoup trop mal au cou. Question piège, tout le monde sait que tout le monde déteste qu’on lise par-dessus son épaule.
Donc, quand je lis par-dessus l’épaule des gens... car bon, on ne résiste pas toujours, ne pas lire est difficile quand il y a du texte devant soi, la moindre des attentions est de se faire le plus discret possible. Je réussis à bien me tenir, je me concentre ailleurs.
Mais ce que j’aime plus que lire par-dessus l’épaule des gens, c’est tenter de deviner ce qu’ils sont en train de lire et tenter de corroborer. La fille dans le coin, pariez sur un Paulo Coehlo; un Harry Potter par là; lui c’est un Sénécal; et ça sent le Marie Laberge à plein nez pour la madame à droite. Et je juge un peu, j’extrapole, comme si un livre voulait tout dire. Je me congratule: bien vu, Dan Brown dans le coin droit, un autre point. Je me désole parfois: bon, un livre sucré avec un cow-boy et une ingénue en frontispice sur le bureau d’une jolie réceptionniste. Quoi encore? Je l’ai bien stipulé que je pratiquais la mauvaise foi.

15 septembre 2010

La Tague littéraire (1/3)

Quoi, comment ça, cette tague correspond à un virus dont la souche a été décimée il y a deux ans et demi? Et il faut faire ça court en plus? Tant pis, c’est ça qui est ça, et mangez de la boue si ça vous dérange.

1. Plutôt corne ou marque-page?
Tout jeune, endoctriné, j’entourais les livres de soins qui confinaient à la muséologie.
Jamais un livre ne devait être déposé ouvert à l’envers: en aplatissant les pages, c’eût endommagé la reliure. Si la reliure ridait, j’avais été trop loin, je m’accusais de profanation. Écrire dans un livre eût relevé de l’impiété livresque; forcément, ça me scandalisait.
Je marque donc la page avec un signet, mais je déteste les signets attitrés avec une reproduction zoomée étirée d’un Monet, des chats, ou pire, ceux qui disent: «François: Les François sont des amis fidèles, des êtres sensibles, etc. Leur couleur: le bleu. Leur nombre chanceux: le 12…» J’opte pour le signet élu au gré du mystérieux destin des bouts de papier laissés-pour-compte, l’échantillon de couleurs pour la peinture du salon ou le billet de cinéma promu marque-page.
Aveu: je suis maintenant un libertin, il m’arrive même, quand j’aime une phrase ou un passage, de corner le coin inférieur de la page en le rabattant du côté où un passage me plaît. Dans une dizaine d’années, si la tendance se maintient, j’irai peut-être jusqu’à mettre une ligne au crayon de plomb dans la marge (et ce, ouf, sans même utiliser une règle).

2. Un livre en cadeau?
En théorie, oui, bien sûr, super, c’est merveilleux un livre en cadeau.
En pratique, c’est très complexe, je parviens très difficilement à déjouer les pièges de base: qui a déjà lu quoi, possède déjà tel livre, aimera vraiment tel livre? J’ai reçu trois livres que je n’ai pas encore lus cinq ans après réception (Tolkien, je l’avoue, par crainte d’ennui; et puisque j’ai déjà traversé deux Henning Mankell, pourquoi en lire deux de plus?), et ça m’attriste un peu de penser que je pourrais prendre part à perpétuer cette situation, à tenter vainement de court-circuiter la liste de lecture d’autrui en offrant en cadeau un livre qui n’est pas un vrai cadeau pour la personne qui le reçoit. Je sais combien une liste de lecture est déjà assez difficile à gérer.
Et n’abordons pas le sujet du livre-objet-avec-des-belles-photos pour table à café dont personne n’a jamais réussi à me persuader du bien-fondé, mis à part celui de servir d’appui pour inscrire les cartes reçues et les cacher à son voisin lorsqu’on joue à Clue.

3. Lis-tu dans ton bain?
C’est en effet le genre de choses que je fais parfois. Faisais du moins, à l’époque où les deux activités combinées se plaçaient bien ensemble dans l’horaire d’une soirée. J’atteignais d’ailleurs régulièrement le moment critique où l’eau devenait inconfortablement froide. C’est bon, je savais assumer les risques. Un seul livre a déjà été estropié dans l’expérience.

4. As-tu déjà pensé à écrire un livre?
Personne n’est à l’abri d’une telle pensée. Ça s’ébauche un peu, j’ai une sorte de trame, quelques idées, des phrases orphelines, un format concept dons j’use les coins à force de le faire rebondir dans mon arrière-cerveau (logique, si ça cogne contre la dure-mère…), une sorte de début dans un fichier que j’ouvre de temps à autre, dans lequel je change quelques virgules de place quand le cœur m’en dit. J’ai des idées brillantes la nuit, qui m’apparaissent un peu nulles lorsqu’elles me reviennent le matin; bien sûr; celles oubliées me semblent a posteriori plus géniales encore.

5. Que penses-tu des séries de plusieurs tomes?
Ce qui m’embête, ce n’est pas tant le côté recette ou mercantilisme, c’est purement le coût d’opportunité trop élevé: tous ces livres que je ne suis pas en train de lire pour suivre les mêmes personnages qui vivront sensiblement les mêmes aventures dans une trame narrative très similaire, ça m’énerve vaguement. Et pourtant, c’est là le principe de l’engrenage, je sais fort bien combien il est merveilleux lorsqu’on embarque dans une série qu’on aime de savoir qu’il reste encore quatre tomes avant que ça se parachève. Je garde néanmoins la plupart du temps mes distances.

6. As-tu un livre culte?
Pas exactement, mais j’essaie régulièrement de dresser une liste de mes cinq romans préférés. Peine perdue, ça me fâche (je sais que je prends ce genre de listes beaucoup trop au sérieux). Mais, s’il faut tenter un semblant de réponse, je dirais que peu de livres ont réussi à approcher l’impression percutante suscitée par La vie devant soi sur mes juvéniles 17 ans.

7. Aimes-tu relire?
Pas particulièrement, je devine trop ce qui s’en vient.
Mais j’aime feuilleter à nouveau un livre aimé pour en décortiquer un peu la structure, en déconstruire les chapitres, voir comment ça a fonctionné quand je le lisais, comment les dialogues sont amenés, comment les temps de verbe sont choisis (ah tiens, ça revient au passé simple ici, fa-sci-nant), regarder toute l’architectonique, les poutres apparentes et les boulons du roman. Plus jeune, je m’amusais comme ça à décoder la très structurée Agatha Christie: comment les personnages étaient présentés, comment les indices étaient semés, comment telles informations étaient contournées. J’ai lu l’ensemble des quatre-vingt-et-quelques romans policiers d’Agatha (et deux Mary Westmacott, mais fallait pas devenir fou quand même), et à la fin, disons pour les quelque quinze derniers que j’ai lus, ce n’est pas pour me vanter, mais je savais presque toujours qui avait tué et sur qui les soupçons allaient peser, juste pour l’illusion, un peu avant le dévoilement. J’aime la structure d’Agatha, c’est ainsi. Je dois avoir lu Les Vacances d’Hercule Poirot et Cinq petits cochons trois fois chacun. Certes, d’accord, c’est principalement dû au fait qu’il pleuvait souvent en camping l’été et que l’espace livre était limité par celui requis dans les bagages pour, entre autres, ne pas être à court de sous-vêtements propres.

01 septembre 2010

7 – Le phare d’Alexandrie

Le phare d’Alexandrie est une merveille vraiment à part, car son utilisation ne se limitait pas à une utilisation pour les publicités touristiques. C’était un concept pratique, alors tu peux imaginer à quel point ça faisait changement.

Les Alexandrins, en plus de parler bizarrement, se dirent un jour ou plus vraisemblablement une nuit que c’était vraiment agaçant à la fin tous ses bateaux qui venaient s’échouer et qui les empêchaient de dormir ou de composer des rimes en toute quiétude. Bon, ils auraient pu en profiter pour inventer le GPS et régler la question une fois pour toutes; ils optèrent plutôt pour la solution B qui consistait à mettre une lumière au sommet d’un bâtiment assez haut sur l’île de Pharos (un nom qui tombait bien, avouons-le, pour inventer le phare).

Ils érigèrent donc une tour assez haute pour narguer tout le monde et ainsi s’enorgueillir de posséder l’édifice le plus haut de la terre ( 117 mètres , sans antenne de télécommunication), une attitude de l’époque qu’on a peine à comprendre de nos jours. Ils mirent également au point un miroir qui reflétait le foyer lumineux à plus de 50 kilomètres de distance. Le principe permit aussi, des années plus tard, de fournir des questions sur les miroirs courbes, les distances focales et les images virtuelles dans les examens de physique.

Enfin, c’est peut-être une légende urbaine, mais on raconte que par la suite d’autres villes portuaires ont également construit des phares. Certaines sources prétendent qu’il y aurait même une ville où le phare est en forme de bonne femme verte avec une couronne sur la tête, un livre sous un bras et une torche à la main. On peut aisément présumer qu’il s’agit d’une civilisation païenne qui n’a pas peur du ridicule ou bien que c’est un cadeau qu’ils ont reçu et qu’ils ne pouvaient pas refuser.
Note: À l’époque, Wikipédia, un marin qui n’avait pas grand-chose à faire un soir de tempête, a décidé de réaliser une aquarelle du phare et, incroyablement, de mettre son œuvre sur son site Internet. Oui, notons aussi au passage qu’il aimait les mouettes.

30 août 2010

6 – Le colosse de Rhodes

En -305, la vie était bonne à Rhodes et leur Caisse de dépôt ne devait pas avoir trop investi dans les papiers commerciaux puisque l’économie fleurissait. Dans la grande partie mondiale de Risk qui se jouait à l’époque, Rhodes avait même établi une solide entente avec l’Égypte.

Mais vu qu’à Risk la chicane finit toujours par prendre, la Macédoine, rivale de l’Égypte, attaqua Rhodes pour briser leur solide programme de libre-échange. La Macédoine échoua toutefois à s’emparer de la ville, et comme elle n’avait plus de budget pour filmer la suite, elle conclut un accord de paix. Les soldats macédoniens quittèrent donc l’île en laissant derrière eux tout plein d’équipement militaire qu’ils ne voulaient plus, peut-être parce que la mode change si vite au pays des légumes ou des fruits coupés en petits cubes. Qu’importe, le personnel du Service des ventes liquida alors l’équipement militaire, et pour fins de célébrations, les Rhodiens érigèrent une immense statue pour le dieu solaire Hélios, qui avouons-le, n’avait pas fait grand-chose dans toute cette histoire.

Achevé en -282, le colosse de Rhodes était un grand rude au cœur tendre de 33 mètres. Les deux pieds sur un socle de marbre, il était entièrement recouvert de bronze. Pas de l’or. Pas de l’argent. Non, juste du bronze. L’économie fleurissait peut-être, mais ils étaient un peu chiches.

À vrai dire, le colosse, cette mauviette, n’a pas eu une longue carrière. Il s’est révélé beaucoup moins stable qu’une pyramide, par exemple. En fait, comme il n’a pas duré plus de 50 ans, il n’aurait même pas pu se qualifier pour les rabais accordés aux aînés chez Zellers. Un tremblement de terre, puis pouf! le colosse s’effondra sur lui-même. À vrai dire, le talon d’Achille du colosse de Rhodes, c’étaient ses genoux. Il avait dû grandir trop vite ou rencontrer les ancêtres de l’entourage de Tonya Harding, entourage qui croyait (dur comme fer) aux vertus de la barre de métal comme médecine douce pour les genoux de Nancy Kerrigan.

Mais il ne faut quand même pas tout mélanger; bien qu’en bronze, le colosse de Rhodes n’est pas l’ancêtre d’une médaille de patinage artistique.

Note: On rigolera de la coïncidence, mais Wikipédia, un graveur rhodien de l’époque, a eu l’idée amusante de mettre une gravure sur bois du colosse en ligne.

16 août 2010

Sixième épître – la gravité

Cher légataire de mon acide désoxyribonucléique,

Tu vas trouver mon entrée en matière singulière, je te l’accorde.

D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je sais ça, mais c’est ainsi, je l’ai entendu quelque part. C’est ce qui arrive quand Céline Dion raconte quelque chose à la télé: il y a un tel système d’écho et de relais mis en place qui fait que tu finiras toujours par l’entendre quelque part à moins d’avoir des visées d’anachorète. Bref, René-Charles prend un brocoli (ou je ne sais trop quoi qui ne change rien au sous-texte) et le jette par terre. Céline trouve ça drôle, elle rit. René-Charles prend un autre brocoli, le jette par terre. Céline trouve ça drôle, elle rit, René pense le commercialiser en DVD. René-Charles récidive, Céline itou. René-Charles récidive, Céline allume: oh, mais arrête ça René-Charles, tu sais, il ne faut pas faire ça.

Fin de l’introduction.

Depuis un certain temps déjà, on te donne ton bain dans la vraie baignoire. C’est un moment fort de ta journée. Il suffit qu’on commence à te déshabiller sur la serviette à côté et tu babilles déjà. C’est la joie. Bref, un soir comme un autre, tu es prêt, je te prends pour te mettre au bain. Le temps est alors compté pour éviter que tu te mettes à marquer ton territoire en aspergeant toute la salle de bains. Au moment de te soulever, tu agrippes tes pantalons qui traînent à terre. Bon, je me dis que quelques petits mouvements horizontaux vers l’extérieur du bain te persuaderont de laisser tomber les pantalons par terre. Non, pas vraiment, tu les tiens avec conviction. Je commence à effectuer un transfert de bras pour dégager une main libre et négocier la reprise de l’otage. Évidemment, c’était écrit, tu jettes alors tes pantalons directement dans l’eau en souriant.

J’ai ri, mais ri…

Comme un con.

Misère, je ne veux pas élever mes enfants comme Céline Dion.

20 juillet 2010

5 – Le mausolée d’Halicarnasse

Il y a fort longtemps, à Halicarnasse, dans la région reculée de Carie, région qui m’a l’air charmante et où on trouvait sans doute d’entiers palais plombés de soleil*, le roi Mausole régna et mourut. Enfin, mourut, c’est sûr; régna, c’est peut-être un peu fort, il ne semble pas avoir fait grand-chose. Il laissa donc dans le deuil sa femme et soeur Artémise II, ses fils et filles cousins entre eux en même temps que neveux et nièces de leur père, peut-être ses parents-beaux-parents, et j’imagine tout son peuple-membre-de-la-famille. Artémise II, pleine de sollicitude, eût alors décidé d’ériger pour feu Mausole un somptueux monument funéraire à la gloire de leur grand amour filial conjugal.

Ça, c’est la version romantique. L’inceste mis à part, ce sera sans doute la version Disney. Évidemment, comme Artémise ne survécut que deux ans à l’oncle-et-père-de-ses-enfants, il est très douteux que l’idée vînt d’elle et que les travaux fussent si vite terminés.

Ce serait donc de son vivant, car on est plus en forme et plus créatif à ce moment-là, que Mausole aurait dressé des plans pour assurer sa propre gloire posthume. On n’est jamais mieux louangé que par soi-même, et par ceux qu’on engage pour faire ce qu’on leur dit de faire, alors il choisit un grand monument rectangulaire en marbre, d’une hauteur modeste d’une quarantaine de mètres, mais richement décoré, avec moult colonnes et statues, un toit pyramidal et une plate-forme au sommet pour installer une sculpture d’un quadrige de l’année, un magnifique char quatre chevaux. Oui, Mausole était un gars de char, et en établissant ce précédent, c’est peut-être un peu à cause de lui qu’on retrouve aujourd’hui des urnes funéraires en plastique en forme de balle de golf.

Sinon, le mausolée a été partiellement détruit par un séisme, est tombé en ruine (en Carie, faut-il s’en étonner?), et son marbre a été utilisé pour construire un château et une forteresse modernes vers le quatorzième ou quinzième siècle. Mais c’était bien mieux avant.

Le tombeau de Mausole devint tout de même un exemple pour de nombreux autres tombeaux. D’autres personnes s’en servirent plutôt comme modèle pour les gâteaux de mariage.


* Rigolons ensemble de bon coeur: carie, molaire, dentier, palais, plombés.

Note: La photo est une maquette d’un gâteau d’un pâtissier célèbre de l’époque (avec des fourmis sur la nappe), mais il paraît que ça ressemble beaucoup au vrai mausolée. Surprise, ce pâtissier avait un site Internet.

14 juillet 2010

4 – La statue de Zeus à Olympie

Olympie était une ville très particulière, devenue célèbre parce que ses habitants avaient pris l’habitude aux quatre ans d’organiser des rencontres à la grecque, de se mettre nus avec des draps, de courir, de sauter ou de lancer des trucs, puis de médailler les vainqueurs. Une habitude totalement loufoque et ô combien datée.

Néanmoins, Zeus, un dieu très populaire chez les Grecs et chez la gent féminine des divinités, aimait beaucoup ces cérémonies sportives. On ne vous raconte pas le nombre de carcasses d’ailes de poulet qu’on retrouvait dans les nuages après la cérémonie de clôture des Jeux…

Pour attirer l’attention des diffuseurs et des touristes potentiels, la ville se dota donc d’immenses infrastructures qui inclurent un temple et une très grosse statue de Zeus. Nul ne sait trop pour quelle compétition la statue était requise. Peut-être le saut à la perche.

Ce n’est pas que je veuille insister et dire de gros mots, mais il s’agissait d’une statue chryséléphantine. En apprenant cela, j’ai cru saisir pourquoi on parlait de merveille; une statue réalisée avec des chrysanthèmes et des éléphants, c’est original, c’est moderne, ça surprend, on comprend qu’on va en parler au bulletin de nouvelles et que ça va frapper l’imaginaire. Au final, pas tellement, c’est seulement une statue recouverte de plaques d’or et d’ivoires. Un peu d’ébène et de pierres précieuses incrustées aussi. Le truc habituel. Rien de nouveau sous le soleil. Les Grecs n’ont quand même pas réinventé les antiquités.

Environ dix mètres de hauteur de dieu sur un piédestal de deux mètres. Zeus, assis sur son trône, tient un sceptre surmonté d’un aigle dans la sénestre et lève la dextre pour soutenir Niké, déesse de la victoire, des golfeurs qui s’adonnent à l’adultère et des enfants qui travaillent dans des usines au Bengladesh. Sur son trône, des scènes bon enfant sculptées évoquent entre autres ce souvenir gaillard du meurtre des fils de Niobé, reine de Thèbes. Une bondieuserie grecque typique.

Enfin, la statue a disparu dans un incendie en 461 ou en 462 ou en 475 (les faits divers étaient mal documentés à l’époque), mais il avait au préalable été possible de la dater approximativement. Sur un des doigts de Zeus, quelqu’un, possiblement une adolescente surexcitée, avait inscrit: «Pantarkès est beau (LOL?)». Ainsi, puisque Pantarkès, cet athlète qui troublait plaisamment l’œil de la jeune Grecque de l’époque, remporta la compétition de lutte garçons aux jeux Olympiques de 436 avant J.-C., on élimina le besoin de carbone 14.


Note: L’image provient d’un photographe de presse de l’époque qui avait étrangement un site Internet lui aussi.

05 juillet 2010

Cinquième épître – les animaux d’Afrique

Cher Mowgli du salon,

Sur ton tapis de jeu tout breveté pour contribuer à l’éveil optimal du poupon, tu mâchonnais farouchement Francine (ou Francesca, si on porte attention à ses origines italiennes), une girafe de caoutchouc jaune aux grands yeux bleus que tu trouves particulièrement de ton goût, et je me suis dit que nous entretenions tout de même un drôle de rapport avec les animaux d’Afrique. Tu étais étendu sur une tête de lion de quatre textures différentes de tissus, un zèbre tournoyait à ta gauche, un singe (le truc orange) recevait gifle sur gifle de ta part droit devant, un éléphant et un deuxième lion s’apprêtaient à prendre la relève en deuxième plan. Évidemment, ils sourient tous; évidemment, tous les animaux d’Afrique veulent ton bien.

Bref, tous les messages concourent à t’indiquer que les animaux d’Afrique sont un peu mous, font du bruit lorsqu’on les brasse et sont destinés à être mordillés et tapotés à volonté.

Il serait bon et sage qu’on songe à te donner un second avis sur le sujet; ce serait désagréable que tu te prennes pour Steve Irwin la fois où tu rencontreras un lion en allant à bicyclette dans le quartier.

D’ailleurs, ça soulève une autre question: les orignaux, harfangs des neige, castors canadensis, caribous, rats musqués et autres ouaouarons pas plus fins sont-ils utilisés pour les tapis de jeu des enfants asiatiques ou australiens?

22 juin 2010

Post-scriptum de l’épître 4

Tu sembles maintenant avoir jeté ton dévolu (et du dévolu, tu en jettes pas mal ces temps-ci) sur une chansonnette que ta mère a repêchée de son passé trouble dans les camps de jour ou dans quelque autre lieu où règne la ritournelle assommante.

C’est un air super enjoué qui raconte l’histoire d’un gros requin (lâ-lââ-lalala), d’une fille qui nage (lâ-lââ-lalala), puis après le requin la voit et la bouffe (lâ-lââ-lalala).

Ça mérite une mention spéciale.

Et bon, ne tiens pas trop rigueur à ta mère de t’avoir vendu la mèche, mais tu connais maintenant le scénario de Jaws.

15 juin 2010

Quatrième épître – le chant

Cher insomniaque de la chambre d’à côté,

Je ne sais pas si tu t’en es rendu compte, mais on n’avait pas établi de plans précis sur les berceuses qu’on allait te chanter pour t’endormir. Pas qu’on en sous-évaluât le besoin ou qu’on crût que tu t’endormirais toujours tout seul et facilement. Non, on s’en est simplement remis au carpe diem (une carpe par jour).

Je veux dire, placer la voix, chanter juste et harmonieusement, pour tout ça on s’entend, il n’y avait pas grand-chose à faire. Mon aptitude au chant me cantonne dans une position bien trop avant-gardiste pour l’appréciation de mes contemporains. Je fais à peine un peu d’arrangement vocal et tout de suite les reproches fusent: tu fausses, c’est pas ça l’air, t’as encore changé les paroles, tu oublies toujours le même bout, et ça monte, , c’est pas comme ça... Ouais, tous des puristes.

Donc, petit dictateur du sommeil de mes nuits, lors d’une des premières nuits à la maison, tu étais dans mes bras, pas très amène, plutôt grognon même, et certainement pas endormi, puis il fallait réussir à te persuader qu’à 4 heures du matin, dormir pouvait être un projet recevable. J’avais beau tenter de te convaincre, te dire que non, on ne pouvait pas envahir le Koweït impunément comme ça juste parce que tu semblais en avoir envie là, tu n’étais pas très sensible à mon argumentation. On se perdait peut-être dans la traduction, faut dire, les sous-titres ne marchaient pas. Alors, tant pis pour toi, tu l’auras cherché: j’ai chanté.

Illumination au cœur de la nuit: très rares sont les chansons dont on connaît toutes les paroles.

Alors, parce que la chanson passait par là dans ma tête, ce fut Gens du pays. Les fleurs que l’on sème dans le jardin du temps qui court, le ruisseau des jours qui fait des étangs miroirs; ça t’en a bouché un coin. À moi aussi, tout content de la savoir au complet, mais surtout de voir que ça marchait ce vieux truc, faire des sons avec la bouche pour endormir des bébés.

Quand tu as crié pour un rappel, j’ai essayé Quand on n’a que l’amour en sautant quelques lignes et en ne mettant pas forcément tout dans l’ordre. J’ai rectifié depuis, mais j’anticipe quand même le jour où tu me demanderas c’est quoi un malandrin. Ce sont des gens qui portent des manteaux de velours le matin. On rira peut-être moins la journée où tu pointeras les gens: papa, lui, est-ce que c’est un malandrin?

Puis j’aime beaucoup Mommy, Daddy. Je présume que tu saisis bien le deuxième degré de l’anglais. Mais on ne s’entend pas sur la version pour les noms; ta mère dit que je devrais lister Perron plutôt que Fortin.

Je mets parfois À la claire fontaine et Partons la mer est belle dans le tour de chant. Dans la première, j’ai la version avec la maîtresse perdue, il paraît que c’est maintenant juste une amie. La deuxième me paraissait un peu triste avec le père qui fait naufrage, mais quand j’ai entendu ta mère chanter Il était un petit navire avec le plus jeune qui sera mangé parce qu’il perd à la courte paille, mes réticences se sont amoindries. Je me suis donc aussi permis Le déserteur.

Il y a aussi La bohème, apprise par cœur pour un souper meurtre et mystère: Denis Caron, pianiste du bar salon, grand admirateur de Charles Aznavour, peut improviser sur n’importe quoi… toum-toum-toum, accord mineur tenu, pause… y compris le meurtre? Veston blanc, chevelure chatoyante, foulard dans le cou. J’ai cherché les lunettes d’Alain Lefèvre, ne les ai pas trouvées. Pas grave, j’ai copié son accent et j’avais la chevelure chatoyante, c’est ce qui compte. Je te la chante donc avec le trémolo imposé, en me trompant de temps à autre dans les paroles, en chantant que j’avais une muse qui criait famine et que moi je posais nu, ce qui m’étonne à chaque fois, mais qui prouve que je peux faire fi des conventions de Montmartre. Mais forcément je triche: la bohème, dans ma jeunesse, ce fut juste d’avoir eu un coupe-vent fluo. Puis honnêtement, je n’aime même pas les lilas.

Comme parfois tu pleures fort et que le temps de réflexion n’est pas super long, j’ai aussi déjà osé la vieille pub de Marineland. Je n’ai pas récidivé.

Mais ce qui m’inquiète énormément, c’est que tu aimes beaucoup m’entendre chanter. Nécessairement, ça me fait un peu peur pour tes futurs goûts musicaux.

19 mai 2010

3 – Le temple d’Artémis à Éphèse

Artémis, juste pour que tu puisses la replacer, c’est la jolie demoiselle sauvageonne à l’hymen intact, chasseresse à ses heures, qui aimait se promener avec un arc, un carquois et des flèches. Ah, et elle se tenait avec une biche. Tu l’appelles parfois Diane, mais on te prend pour un Romain quand tu le fais. Au fait, pas sûr que tu l’aies déjà rencontrée.

Il y a à peu près toujours eu un sanctuaire pour Artémis à Éphèse. Au début, c’était vraisemblablement plus un abri de fortune qu’autre chose, une sorte de pavillon de chasse pour jeune fille en fleur où elle aimait à aller dépecer du gibier tranquille. Mais à la longue, on peaufina l’architecture, on agrandit la salle d’attente, on hissa un peu le terrain, et ça finit par avoir de la gueule; surtout la fois où, après une inondation, la reconstruction fut financée par Crésus, le roi de Lydie qui était riche comme lui-même à ce qu’on dit.

Ça avait de la gueule, mais il semblerait que ce n’est pas cette version-là qui fut enregistrée au service du patrimoine de l’Unesco de l’époque. Mais bon, si tu as fait l’erreur de confondre cette version avec celle listée, la merveilleuse, reconstruite vers -340 à la suite de l’incendie volontaire orchestré par Érostrate qui voulait ainsi se rendre célèbre sans devoir passer des heures à se pratiquer à la lyre, hé bien, ne te morfonds pas trop. Pline l’Ancien, un gars assez rigoureux habituellement, a fait la même erreur lorsqu’il écrivit son guide touristique sur les merveilles.

Sinon, je ne sais pas trop quand c’est arrivé, mais il semble que cette indomptée d’Artémis a eu le temps d’aller faire un certificat en gestion des affaires, ou d’en commander un diplôme par messagerie, parce que les gens ont pris l’habitude d’aller porter de l’argent au temple, de le laisser là, puis s’ils attendaient assez longtemps, ils pouvaient retourner le chercher et on leur donnait des intérêts. Artémis serait donc devenue la déesse en charge des régimes d’épargne enregistrés.

Beaucoup plus tard, le temple fut pillé encore, puis finalement ravagé en 401 par des chrétiens pas très contents menés par saint Jean Chrysostome, un gars de la banlieue de Québec. Que voilà de belles colonnes, se disaient-ils. Alors pourquoi ne pas les utiliser pour se construire une cathédrale? Oui, ils jugeaient hâtivement qu’il en était venu le temps.

Nonobstant cette fâcheuse tendance du temple à être détruit à tout bout de champ, si tu veux te construire un cabanon et si tu es un peu bricoleur, je t’ai déniché un plan. Tu n’auras qu’à surveiller les rabais surprises sur les colonnes en marbre de 18 mètres chez ton quincaillier.



Note: Le plan provient de Wikipédia, un architecte d’Éphèse de l’époque, qui mettait ses projets sur Internet. L’entrepreneur devra bien sûr valider les dimensions au chantier.

12 mai 2010

Boileau, le juge et moi

Monsieur le Juge,

On s’est vus dernièrement. Avant de prétendre que c’était la première fois que je voyais un juge, je me ravise, un cousin de mon père est juge. Le titre n’énerve d’ailleurs pas une de leur vieille tante, qui frôle la traversée de son siècle personnel, qui lui a demandé dernièrement s’il ne se teignait pas les cheveux par hasard. Moi, je faisais preuve de retenue, je n’ai pas parlé de teinture avec vous, je ne me sentais pas très à l’aise dans votre boudoir municipal. Sans vouloir vous vexer, on vous aurait dit fâché de manquer vos téléromans.

Juridiquement, vous m’avez donné raison. Une histoire d’arrêt qui n’aurait pas été fait sur la ligne. Tout ça à un endroit où il n’y a pas de ligne d’arrêt et où la présence d’un panneau d’arrêt contrevient aux normes. Bref, une victoire dans un sens, une situation néanmoins particulièrement désagréable. Je ne le recommande pas à mes amis.

Le plus dur, à vrai dire, ce fut de gommer toute répartie, de rester toujours calme et courtois, de répondre le plus efficacement et rapidement possible aux questions que vous et votre procureur posiez, comme si toute question obligeait un oui ou un non et que vous seuls étiez maîtres ès nuances.

J’avais écrit un texte et apporté des photos pour illustrer la situation. Lorsque j’ai commencé à lire la description de l’intersection, le nombre de voies, les feux, les voies d’accès protégées par îlot déviateur du côté nord, vous m’avez dit que je n’avais pas droit au texte. Je trouvais ça un peu étonnant, mais j’aurais compris. J’ai moins aimé que vous décidiez alors de citer Boileau. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. Cette phrase que vous devez utiliser comme un passe-partout, estampée d’un «J’ai fait le cours classique, moi, jeune homme», elle m’énerve beaucoup. Si l’envie de mettre mes connaissances à l’épreuve vous était venue et que vous m’eussiez demandé qui vous citiez, j’aurais aimé vous répondre que c’était sûrement un de vos vieux profs, mais ça n’a pas eu lieu. J’aurais bien aimé vous demander si vous connaissiez par contre les vers qui suivaient. Si vous saviez qu’ils s’appliquaient aux écrits? Avec un peu d’à-propos, j’aurais aimé vous les balancer par cœur.

Mais surtout, plus tard, alors que le procureur se gonflait de sa propre prose et s’embourbait dans sa syntaxe à la fin, j’ai vraiment travaillé très fort pour réprimer mon sourire railleur: ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement…

Bon, saluez la greffière de ma part, elle semblait gentille.

26 avril 2010

2 – Les jardins suspendus de Babylone

Il y a quelques années, circa sixième siècle avant le voyage de noce de Marie et de Joseph, il y avait pas mal de gens à Babylone. Avec tout ce marbre, ce pavé uni, cette pierre, ce bruit incessant des gens qui marchent dehors en sandales, ces nids de gallinacés que personne jamais ne réparait, cette absence de déneigement l’hiver, ces gens isolés dans leur tour de Babel, ouf, tu n’aurais peut-être pas aimé ça. Il y avait beaucoup de solitude dans la foule, comme le disait Luck Mervil, un aède de l’époque.

Un jour où il y eut un grand épisode de smog, (tous ces gens qui respiraient en même temps dans des langues différentes), un partisan de Greenpeace décida de mettre en œuvre un projet de toit vert et de parc public. Ainsi naquit l’idée d’un grand espace où les gens pourraient fuir un peu toute cette urbanité et venir célébrer ensemble leur amour des géraniums en faisant paître leur brebis non égarée extérieure. Mais là encore, ce n’est pas très clair, il paraît que c’était peut-être un jardin d’agrément pour une princesse, bien qu’il me semble que c’est là mal connaître les princesses. Pur journalisme d’enquête: selon les livres de référence, des sources fiables et leurs fiches sur réseau contact, les princesses préfèrent évidemment les bals dansants, les souliers et les robes, les belles-mères pas trop méchantes, les princes charmants (ou riches et beaux, ça fait aussi) et le plaisir d’échanger des remarques désobligeantes et mesquines dans le dos de leurs rivales. Le jardin d’agrément dans ces sources? Jamais mentionné!

En fait, il y a beaucoup de tergiversations, parce que rien n’est très clair par rapport aux jardins suspendus de Babylone. Il paraît que c’était bien beau, bien impressionnant, et c’est à peu près tout ce qu’on en a gardé comme souvenir, mis à part un bas-relief. Mais qui sait si ce n’était pas simplement la proposition d’avant-projet? Encore aujourd’hui, chaque fois que quelqu’un déterre un bout de colonne, qu’elle soit vertébrale ou dorique, l’interrogation revient: ah, mais seraient-ce les jardins suspendus de Babylone? On déterre un os d’un quelconque poulet jurassique, même si c’est en Alberta: oh, peut-être y avait-il une rôtisserie sur les jardins suspendus de Babylone?

D’ailleurs, comme la réalité historique des jardins suspendus demeure improuvable, je pense qu’il n’est pas exclu qu’ils aient donné lieu à la genèse de la fable des habits neufs de l’empereur: vous savez, seuls les gens vraiment intelligents et branchés peuvent voir ces magnifiques jardins suspendus.

Ah, où ça?

Mais juste là.

Hein? Oh oh, je veux dire, bien oui toi, dis donc, ah, ouf, wow, y’a pas de mots, une merveille hein, que c’est beau! Crois-moi, j’en parle à tout le monde au bureau lundi.


C’est l’objet d’une autre thèse, mais les gens en général, et en particulier les gens qui fabriquent de l’estrogène, auraient gardé ces réflexes d’émerveillement séculaires afin de les utiliser pour les feux d’artifice et pour la fin des émissions où on décore leur chambre ou leur salle de lavage pendant que ces gens sont au spa.

Note: Le dessin proviendrait d’un dessinateur babylonien de l’époque, passionné de fougères et d’informatique, qui avait son propre site Internet.

08 avril 2010

Troisième épître à fiston – la naissance

Cher nouveau dictateur du logis,

Le vendredi 12 mars 2010, on s’est présentés en matinée à l’hôpital comme on se présente à la réception de l’hôtel pour prendre les clés. Bonjour, nous avons une réservation pour un forfait accouchement avec deux nuitées. On aimerait avoir le service de chambre, s’il vous plaît. Ils avaient bien la réservation.

Jour de chance, je crois qu’on a hérité de la plus grande chambre. Pas de bible racornie dans la table de chevet, ils l’ont remplacée par une machine qui fait ping. L’infirmière a apporté la jaquette d’hôpital, un grand morceau de tissu vert menthe avec des fines lignes entrecroisées, brunes, orange et vert lime, et de la ficelle un peu partout pour faire des économies d’échelle en ne payant pas pour des coutures. Selon l’assemblage qu’on en fait, on peut s’en servir aussi comme tente ou comme cerf-volant. Ta mère s’est donc déguisée en cerf-volant, et il y avait dans ses yeux un message clair: pas un rire et pas de photos.

Le médecin est entré, elle a dit bonjour à ta mère, m’a regardé (ou a regardé la fenêtre?) en se disant ah tiens, un pare-soleil, et a rapidement fait preuve de persuasion médicale pour te convaincre efficacement de déménager. On avait apporté un jeu de questions, on passait le temps, on tentait d’identifier les bâtiments qu’on voyait par la fenêtre. Les contractions se sont accrues. Je le sais, car ta mère a alors raté une question facile de géographie. Manque de concentration, si tu veux mon avis.

L’épidurale fut alors commandée pour livraison immédiate. Ensuite, tout s’est accéléré. Tout juste le temps de rater les questions de la catégorie Sports, ce qui ne découlait pas exactement d’un manque de concentration, et on s’apprêtait à passer à la partie où il fallait pousser en suivant les directives.

Mais bon, je n’ai évidemment pas eu grand-chose à faire. Ta mère a fait pas mal tout le travail, sans rien déléguer, en forçant jusqu’aux oreilles. J’ai fait mon meneur de claque du mieux que je pouvais à côté, surtout pas trop, quand il fallait, en duo avec l’infirmière; un dialogue qui, maintenant que j’y pense, aurait été indécent dans d’autres circonstances. Le médecin est revenu dans les dernières foulées du marathon sur lit, pour la réception. Investi de mon rôle de meneur de claque, j’ai dit lors d’une des poussées que je croyais que ça y était presque. Je ne sais pas si le médecin s’est dit que le pare-soleil se prenait pour un docteur, mais bon, l’oracle s’est prononcé: quand elle allait le dire, il allait falloir pousser fort, mais pas trop vite, ensuite retenir le souffle un peu, suspendre légèrement, puis pousser encore. Simple de même. Je ne sais pas si ça s’est exactement passé comme ça, mais dans le temps de le dire, tu as glissé, un jet de liquide amniotique est passé par-dessus l’épaule du médecin et on t’a déposé sur ta mère.

Il était 15 h 36.

Tu as gueulé comme un mal élevé, puis tu as découvert que de l’oxygène, ce n’était pas si mal après tout. J’ai coupé ton cordon comme dans les films. On comptait tes orteils, tes doigts. On trouvait que tu avais des grands pieds. On riait de ton manque de coordination. Et si le monde continuait de tourner, dehors, ailleurs, loin, pour les autres, on n’en avait plus que très vaguement connaissance.

C’est comme ça qu’on a raté la sortie du placenta. J’imagine qu’il a bien fait ça lui aussi.

10 mars 2010

Deuxième épître à mon fils toujours en milieu utérin

Cher fruit des entrailles attendant la saison des récoltes,

On nous disait que tu arriverais le 3 mars. Aujourd’hui on est le 10. Conclusion hâtive: ou les roulettes des médecins ne valent rien, ou tu tardes à te présenter. Sandra Bullock a même eu le temps de gagner l’oscar de la meilleure actrice. D’accord, elle a eu un rôle complètement inattendu dans lequel on ne l’avait jamais vue auparavant, ce qui a dû décontenancer les membres de l’Académie. Enfin, je suppose, c’était la première fois qu’elle jouait le rôle d’une femme qui avait les cheveux blonds. Ils ont flanché, complètement pris par surprise. Quoi? Une brune dans le rôle d’une blonde? Là tu parles d’une actrice! C’est un jury qui aime les transformations extrêmes chez les actrices.

En fait, le soir du 2 mars, on s’est couchés un peu fébriles, tu allais arriver incessamment. Le 3, ça y était toujours, on était sur le qui-vive. Puis on s’y est fait. En fin de semaine, en attendant que tu te décides, j’ai lu pratiquement tout un tome d’une saga populaire qui parle de Suédois qui boivent du café. On a ensuite évalué l’ironie de te voir naître pendant la journée de la Femme, puis ça a passé. Au travail, les collègues ont renoncé à me dire «ah, encore là?» lorsqu’ils me voient le matin. On me parle des lunes, des pleines et des nouvelles et de leurs effets, comme si tu étais une marée et ta mère la baie de Fundy. Plus personne ne veut jouer à trouver la date d’accouchement, tout le monde a déjà utilisé ses trois chances. Pour peu, on n’y croirait plus. On nous dit que tu vas savoir marcher en arrivant. Enfin, les chevaux savent. Mais ne te mets pas de pression avec ça.

Le médecin avec la roulette défectueuse a donc décidé aujourd’hui que si tu n’avais pas entamé des démarches claires d’émancipation d’ici là, ta mère allait être provoquée vendredi matin. J’imagine qu’on lui criera qu’elle n’est pas game, pas capable, qu’on ne prononce pas poteau et baleine comme ça ici, ce genre de trucs. Ça devrait fonctionner comme provocation: quand on la cherche, on la trouve assez bien.

Sauf avis contraire, c'est donc un rendez-vous à l’hôpital vendredi matin. On arrivera tôt.
C’est correct, on a compris que la ponctualité, ce n’était pas ta force.

08 mars 2010

1 – La pyramide de Khéops

Très largement inspirée de la pyramide du musée du Louvre et du pavillon du Canada à l’exposition universelle de 1967 (dont on fête présentement en liesse les 42 ans et sept huitièmes de l’ouverture officielle), la pyramide de Khéops, soyons francs, ne réinvente pas le genre. Pas du genre à transcender son époque, disons. Les Égyptiens, des gens simples, se sont vraiment contentés du modèle de base, sans options, sans garage attenant et sans cuisinette d’été vitrée. Oui, toute en pierre, mais probablement juste parce qu’ils ne trouvaient pas de mélamine blanche.

C’est donc l’option de base, un peu comme les modèles qui servent pour les exercices de mathématiques: Jacinthe désire peinturer une pyramide régulière de hauteur h dont la base est un carré de b sur b unités. Tous, année après année, nous avons aidé Jacinthe à trouver la surface à peinturer, et les inattentifs lui ont fait peinturer la base alors qu’une pyramide, ça se soulève très mal, ou ils ont négligé de considérer le calcul de la diagonale vers l’apex. Une partie de nous a surtout ardemment souhaité à Jacinthe de se trouver d’autres loisirs. Et qui sait si un jour, en attendant au comptoir de la peinture, nous ne croiserons pas Jacinthe? «Bonjour, j’aimerais peinturer une pyramide et j’ai besoin de 2b√(h2+b2/4) unités carrées de peinture. Oui, fini coquille d’œuf, s’il vous plaît.»

Bon, il ne faut pas juger les Égyptiens (ni Jacinthe), c’est ce qu’ils ont choisi. Mais qu’on parle quand même de merveille demeure un brin étonnant.

Imaginons qu’un Français, disons au dix-neuvième siècle, ait décidé de partir un mouvement architectural pour faire des blocs carrés en béton, avouons qu’on ne serait quand même pas allé jusqu’à parler de chefs-d'œuvre…

Ah.

Plutôt: peut-on imaginer un trophée qui récompense la qualité de la musique remis à…

Ah.

Bon, d’accord alors. C’est bien une merveille. Comme tout le reste.

N’empêche, ce n’est pas pour parler contre les Égyptiens, mais il paraît que leurs conditions de travail n’étaient pas super. À Montréal, pour le stade olympique par exemple, c’était beaucoup mieux; des employés bien choyés, une très bonne rémunération, des petits bonis comme des piscines creusées, un bel exemple de petites attentions toutes simples qui font chaud au cœur. Soyons honnêtes, avoir été un esclave égyptien, j’aurais bien aimé ça avoir une piscine creusée.


Note: La photo ci-jointe, illustrant la merveilleuse pyramide en question, a été prise par Wikipédia (un égyptologue) ou sa femme, probablement lors de leur voyage de noce.

01 mars 2010

Première épître à mon futur fils premier-né

Futur coloc,

C’est avec tout plein de solennité que je te l’annonce: épître est bien un nom féminin. Mais bon, c’est peut-être un mot qui aura disparu lorsque tu apprendras à lire (on ne veut pas trop te pousser, mais on vise avant deux ans). Un jour, sans trop t’y attendre, tu tomberas peut-être sur ce mot en faisant tes mots croisés (on vise dans quatre ans). Bien entendu, le genre des mots n’a généralement pas trop d’importance dans les mots croisés. Mais si tu me permets ce conseil, je souhaiterais que tu te mettes aux mots croisés plutôt qu’au skeleton. Ou pire, au curling.

J’ai vérifié dans le bulletin municipal, la municipalité n’offre pas de cours de skeleton cette année (tu vois, tu aurais alors peu de chances pour les Jeux de Sotchi). On préfère aussi songer que tu ne deviendras pas skip pour placer des pierres dans la maison (ça userait les planchers).

D’ailleurs, je te le conte pour l’anecdote et pour la portée philosophique (c’est une épître après tout) même si en fait tu étais là avec ta mère et ta doudou-placenta, on a eu notre dose de curling vendredi.

On est allés voir Avatar en 3D. Ne ris pas de nous, le 3D était tout un argument à cette époque. Franchement, tu crois qu’on y serait allés sinon? Dans le même genre, Pocahontas avait le mérite d’être beaucoup plus court. Je te résume: des créatures bleues virevoltent sur des oiseaux colorés en contournant des rochers antigravitationnels; souffrent longuement des affres de la chicane et d’un mauvais scénario; vainquent l’ennemi de façon totalement imprévisible en lançant des flèches sur des types qui ont des armures et des mitraillettes (mais eux n’ont pas le cœur pur… tous des sauvages, comme dirait Pocahontas ou son chum); et ils font tout ça en 3D en trouvant l’amour, le sens de la fraternité et la paix intérieure, entourés de plantes électroluminescentes et de méduses spirituelles. Point fort du film: jusqu’à maintenant, pas de curling.

Le film finit par finir, on sort du cinéma et on se dirige en 3D mais sans lunettes jusqu’au restaurant le plus près, car la guerre des mondes et la grossesse sont deux choses qui ont pour effet de creuser l’appétit. On arrive au restaurant, on dit bonsoir, on dit qu’on est deux (ce qu’on risque éventuellement de moins dire). La dame nous invite à la follower. Ça nous énerve déjà un peu. On la follow tout de même jusqu’à la table, qui est assez haute. Je m’assois; ta mère entreprend l’ascension du tabouret. Derrière le bar, difficile de ne pas le remarquer, l’homme-bar anglophone est une vraie caricature, cheveux foncés teints blonds, bien lissés, gelés, crémés, graissés vers l’arrière. Il s’affaire en regardant la transmission du match final de curling des femmes, le grand affront Canada-Suède. Bien maquillée et sans sueur, Cheryl Bernard se penche sur la glace et envoie une pierre rouge frapper une pierre jaune. Le barman a une émotion et lâche Cheryl des yeux pour me regarder. Nice shot, isn’t it? Euh, j’ai cherché mon sourire sympathique «oui, oui, toute la Suède doit trembler». J’ai peur de m’être trompé, j’ai peut-être sorti involontairement celui qui disait que je le trouvais vaguement ridicule. Ta mère finit par atteindre le camp de base ou le sommet du tabouret. Sans Sherpas. On savoure sa victoire en mangeant dans la douce ambiance d’une finale de curling avec un barman qui commente tous les coups. Du vrai bonheur sur glace.

Ta date de mise en circulation arrive sous peu. La science moderne et ses roulettes de carton plastifié avancent le 3 mars, ce qui est quand même après-demain. D’ailleurs, la première chose ou presque que j’ai faite en apprenant ta création fut de vérifier que 2010 n’était pas une année bissextile (une année qui est autant attirée intimement par les années paires qu'impaires). L’absence de 29 février m’a réjoui, je me serais mal vu devoir t’expliquer pourquoi tu n’avais pas de fête trois ans sur quatre. Déjà que ma sœur est née le 2 janvier, vous auriez pu faire un palmarès des mauvaises dates d’anniversaire.

Tu n’es pas arrivé trop en avance, on a écouté les cérémonies de clôture des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver. Ah l’hiver… on t’expliquera un jour: les bancs de neige haut de même, comment c’était dans le temps, les raquettes en babiche, ta mère qui vient de Lévis, là où les entrées de l’autoroute 20 sont munies de clôture… Mais sinon, finalement, engourdis par tant de mauvais goût, on a trouvé la cérémonie très désagréable à écouter. Tu aurais pu te présenter en avance, ça ne nous aurait pas fâchés.

Bon, je me disperse, mais arrive quand tu veux, on sera là.

On fera toute l’affaire, la respiration, le comptage des contractions, tout ça. On aura des émotions. On sera humains. On te laissera un coin du salon pour tes jeux aux couleurs criardes, quand ce ne sont pas les jeux eux-mêmes qui sont criards. On se laissera envahir. On acceptera que tout le monde nous demande des nouvelles de toi plutôt que de nous. On mettra de côté notre pyramide de Maslow pour toi. On n’aime pas les pyramides tant que ça de toute façon, ce n’est pas un problème.

Mais ta mère veut qu’on enregistre Lost si tu arrives mardi.

23 février 2010

Un peu plus haut, un peu plus gros

Dans le monde antique, comme les distances à parcourir pour changer son statut à la face du monde étaient grandes et qu’on finit tous par se lasser de réaliser des céramiques attiques à figures rouges ou noires (avec ou sans Unchained Melody en trame de fond), un ancêtre grec de Jean Drapeau a décidé qu’on allait construire quelques affaires un peu plus grandes que d’habitude. L’idée avait déjà eu un franc succès autour de la Méditerranée, et les constructions progressèrent. Des gens qui aimaient beaucoup les listes (les ancêtres grecs de Marie-France Bazzo et d’Umberto Eco) statuèrent qu’il y avait sept affaires assez grosses qui impressionnaient beaucoup les voisins. Les sept grosses affaires qui impressionnaient beaucoup les gens, qu’on appellera merveilles du monde par souci de simplification, auraient donc été construites de -2650 à -390, quelques années où ça allait plutôt bien pour les Travaux publics.

Curieusement, cinq merveilles sur sept appartiennent au monde hellénique, donc en lien avec la chanson de Roch Voisine qui se passe sur la plage les pieds dans l'eau. Or, le vote a peut-être été un peu biaisé; il y a peut-être eu collusion au royaume du souvlaki. D’ailleurs, aucune information claire sur le mode de compilation des votes ne subsiste. Omar Bongo a-t-il eu voix au chapitre? C’était un vote de l’Académie des maçons? Il fallait remplir des coupons de participation au restaurant de gyros du coin? Il fallait composer un numéro, payer des frais, espérer avoir une ligne chanceuse? Y avait-il une animatrice de foule dans une arène: «J’en vois 3, je cherche, appelez, approchez-vous des bas-reliefs, cherchez vous aussi, parlez-en en famille, appelez, ah, c’est pas évident, hein...»?

Mais bon, merveilles du monde, c’est quand même un peu fort. D’ailleurs, la plupart ne respectent pas le code du bâtiment: aucun accès pour les fauteuils roulant, pas de mains courantes, aucune indication pour les sorties d’urgence. Admettons que les Anciens étaient probablement des gens très gentils, mais à l’évidence, ils bâclaient leur travail.

Donc, pour toi qui prépares tes auditions pour un jeu questionnaire à la télé, voici les lauréats du concours:

La pyramide de Khéops
Les jardins suspendus de Babylone
Le temple d’Artémis à Éphèse
La statue de Zeus à Olympie
Le mausolée d’Halicarnasse
Le colosse de Rhodes
Le phare d’Alexandrie

Par contre, pour ton jeu, note que les questions peuvent être autrement plus corsées. Parfois, on va jusqu’à demander de choisir entre un œuf et une enveloppe, ou alors il faut être très, très fort en mathématiques et choisir des valises qui portent des numéros (oui, des chiffres partout, un jeu pour les génies, je te dis). Non, ce n’est pas fait pour tout le monde. Beaucoup d’appelés, peu d’élus.

08 février 2010

Aladin, la peau de chagrin, et le monsieur qui a souhaité que les saucisses collent sur le nez de sa femme

Je comprends le principe; il faut jouer à faire comme si, accepter et c’est tout, sinon il n’y a plus d’histoire ou la blague ne tient plus. Je sais. Mais ça m’a toujours agacé.

Enfin, je ne veux pas bousiller les règles, semer la pagaille et récolter ce qui pousse lorsque la pagaille est plantée dans un terreau fertile, mais il me semble qu’il s’agit de règles particulièrement faciles à contourner.

Étude de cas numéro 1: tu es un pauvre va-nu-pied moyen-oriental au cœur tendre et pur comme le diamant brut (si ta mère le dit) et tu trouves une vieille lampe. Tu la trouves un peu sale sur le coin, là, voyons donc. Tu frottes et pouf! tu ne croiras jamais ça, mais un génie sort. Tu as trois vœux, qu’il te dit. Seulement trois petites clauses d’exclusion au mandat: il ne peut tuer personne, faire tomber une personne amoureuse d’une autre ou ressusciter les morts (car c’est dégoûtant).

Étude de cas numéro 2: pauvre toi, on ne choisit pas son destin, te voilà pris dans un roman de Balzac. Faustien dans l’âme, tu échanges celle-ci (je te comprends, une âme, à quoi ça sert au final?) contre une peau de chagrin qui exaucera tes désirs en rapetissant à chaque coup. Quand elle aura disparu, tu ne seras plus. N’empêche, à ce moment, on sera content d’avoir fini le livre.

Étude de cas numéro 3: tu es dans une histoire sans fin dont, hormis le titre, j’ai à peu près tout oublié des grandes lignes du scénario sans fin. Grosso modo, tu fais des vœux et tu perds un souvenir à chaque fois. Au temps t = infini moins 4 de l’histoire, il y a de la musique prenante et je crois qu’on t’incite à faire un souhait qui risque d’effacer le souvenir de ta mère.

Étude de cas numéro 4: tu es dans un conte qui me fascinait plus jeune, et je dois dire que tu as une drôle de femme (tu es assez idiot toi-même d’ailleurs, tu verras). Un poisson magique ou quelque autre truc du genre te dit que tu peux faire trois vœux, car c’est ça le standard. Ta femme est super heureuse, elle hésite puis, euh, elle dit qu’elle voudrait des saucisses, elle aime bien les saucisses. Pouf! des saucisses! Tu te mets en furie. Quoi? Des saucisses! Oh mon innocente, je voudrais bien que ces saucisses te collent au nez. Pouf! les saucisses collent au nez de l’innocente personne aux goûts simples. Elle tire, tu tires, vous tirez. Rien à faire, des saucisses, ça colle très bien au nez des innocentes lorsqu’on l’a souhaité. Alors tout piteux, vous faites votre dernier vœu: ouais, c’est bon, on veut que les saucisses décollent.

Étude de cas numéro 5: une fois c’est toi, comprends-tu, et tu es un Newfie, une blonde ou un Belge (tu sais dans ce cas que tu n’es pas dans une blague locale, c’est de l’importation). Tu es dans le désert, sur une île déserte ou au terrain de golf, avec un Américain, un Anglais et un Français, mais bref, ça arrive toujours tout simplement, on t’accorde ou on vous accorde trois vœux.

Donc, je dois être un rebelle du souhait dans l’âme (que je n’ai pas encore vendue, faudra voir sur e-bay), mais il me semble que ça ne prend pas la tête de la rue Papineau pour faire le souhait d’avoir plus que trois souhaits, pour désirer l’agrandissement de la peau de chagrin ou pour demander de retrouver tous ses souvenirs.

Mais bon, c’est souvent complexe avec les concepts irréels; ils sont sous-tendus par une infinité de règles non existantes particulièrement strictes.

28 janvier 2010

Balzac et le petit matin du premier janvier

Premier janvier au matin. Je tournoyais dans le lit depuis une demi-heure, les yeux ouverts en mode panoramique, me redisant encore une fois à quel point la fille de 12 ans que ma blonde fut jadis s’était laissée aller à un désolant choix de couleurs de murs pour sa chambre.

À 5 h 30, dans un sous-sol au mois de janvier, c’est tout de même un peu moins apparent. Axiome de biscuit chinois: on pas toujours choisit sciemment premières réflexions d’année.

À 6 h, c’était assez, j’ai brisé une belle habitude de paresse matinale, je me suis levé.

Dur de dire pourquoi je ne dormais pas. Cocktail de réponses probables: le café trop concentré de l’oncle chez qui nous étions avant le décompte, les quatre repas en un, le vin dans lequel tout ça baignait désormais, et je mise aussi sur le mélange avec la pilule qui empêche de cracher du chat pendant deux jours. Mais c’est clair, je sais pertinemment qu’il y avait quelque chose d’anormal, car je suis monté et j’ai lu du Balzac pendant une heure.

De 6 h à 7 h.

Dans un fauteuil en cuir confortable.

Du Balzac!

Sans m’endormir.

Ça relève du paranormal.

Il y avait quand même un peu de normalité; je pestais ardemment, à l’intérieur même de mon for qui se trouvait là, contre les notes de bas de page. Par exemple, quand après «[ils] marchaient du même pas», l’annotateur compulsif s’exclame, tout exubérant et plein d’une joie de jouvencelle: ça c’est merveilleux, c’est parce qu’ils sont en amouuuur, en parfaite symbioooose, comprends-tu, le vois-tu comme c’est beauuuu?

Puis, tout d’un coup comme ça, pendant que la peau de chagrin rétrécissait, j’ai réalisé que j’allais devenir père dans moins de dix semaines. Et ça passe vite, moins de dix semaines.

Je suis retourné me coucher.