30 septembre 2007

1 – Je suis le Seigneur ton Dieu

Ce point était particulièrement cher à Dieu et ça Le rendait particulièrement loquace. Tiens, tu vas reprendre les versets ici bien que ce soit accessible dans n’importe quel Exode ou même Deutéronome quand tu as une bible sous la main, sauf que, te voilà désolé, tu n’as pas eu le temps de terminer les enluminures dorées et les latrines (bon, on siffle comme si on n’avait rien vu) lettrines surdimensionnées. Mais enfin, tu ne fais pas trop dans le scrapbooking… Par ailleurs, ô joie, c’est spécifié à l’article 20.4: Dieu aussi est contre le scrapbooking.

(20.2) Je suis l'Éternel (YHWH), ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.
(20.3) Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face.
(20.4) Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre.
(20.5) Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent.
(20.6) et qui fais miséricorde jusqu'en mille générations à ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.


Bon, alors sans vouloir être mécréant, juste par souci de rigueur mathématique, tu aimerais démontrer un petit accroc dans la logique divine. Supposons que ton arrière-multiple-bisaïeul ait été un gentil bon gars: il avait un emploi stable, pas d’alcool, pas de tabac, s’occupait des enfants, écoutait peut-être chanter l’arrière-multiple-bisaïeul de Michel Rivard, faisait rôtir le mammouth (juste rosé à point avec du romarin, c’était délicieux), allait au besoin chercher des tampons dans la forêt pour sa concubine, discutait aimablement avec ses voisins de hutte, et il aimait Dieu et gardait ses commandements. Donc, pour ses enfants, c’est la joie pendant 897 générations tranquilles. Et là, paf! un petit coquin survient dans la lignée. Et le coquin est méchant avec Dieu, ou inique comme Dieu le dit. Bon, alors en théorie, ça se calcule bien, la descendance avait encore droit à 103 générations de miséricorde en souvenir du bon gars. Mais là, que se passe-t-il? Ton Dieu, l’Éternel, Lui, est jaloux et punira l’iniquité des pères sur les enfants, et Il ne sait même pas si ce sera pour trois ou quatre générations, ce qui est quand même un peu dommage. Enfin, tu auras au moins souligné clairement la contradiction.

D’ailleurs, avant qu’on te frappe avec un objet contondant, tu peux bien dire que tu es un peu de Son côté parfois. Un veau d’or, ce n’est clairement pas très joli, légèrement ringard et ça jure particulièrement avec la décoration du salon en plus d’accumuler la poussière. Et ne va pas l’épousseter, ça pourrait être pris pour de l’adulation. Oui, Il a raison d’interdire ça.

Mais quand même: Dieu est parfois un peu diva.

24 septembre 2007

Les dix commandements

L’agente de voyage fut d’abord un peu interloquée quand tu lui demandas ce qu’elle avait comme forfaits pour le Mont Sinaï. Elle tenta d’abord férocement de te convaincre qu’à Cuba, avec un forfait tout compris, tu serais beaucoup mieux, et oh! tiens, on offre présentement de gros rabais pour Cayo Largo. Puis, avant qu’elle ne se mette à ronger ses ongles opalins, tu t’éclipsas en douce et pesas le pour et le contre, qui étaient plutôt légers ce jour-là. Peut-être qu’au lieu d’aller faire ouvrir la mer Rouge avec un bâton, tu serais mieux de considérer la possibilité de substituer Rigaud à Sinaï; ça rappellerait même de bons souvenirs à Dieu, avec son fameux coup du champ de patates transformées en roches, car enfin, saint Pierre se tape encore sur les cuisses à chaque fois que c’est évoqué au party de bureau du Club social en haut.

Puis soudain tu t’inquiètas. Et si en rencontrant Dieu comme ça, Il en profitait pour t’en ajouter une dizaine, subrepticement? Il faut dire que dans le judaïsme, les 10 commandements font partie de 613 commandements (mitzvot, si on te le demande dans un quiz) prescrits aux Juifs, et que bon, si entre autres choses tu n’es pas chaud à l’idée de porter le même couvre-chef en tout temps, tu tiens surtout à préserver le couvre-chef naturel de chacun de tes organes. Et puis, d’un autre côté, tu aurais peur aussi d’avoir à vivre avec une sorte de code de vie hérouxvillois mal rédigé et particulièrement difficile à défendre. Dans ces circonstances, aussi bien garder l’ancien décalogue. Surtout que Dieu l’a fait écrire deux fois dans le Pentateuque, Il devait y tenir un peu; tu sais bien qu’on n’écrit pas un Pentateuque pour le simple plaisir de la chose. Qui a déjà écrit un Pentateuque juste pour le plaisir? Qui?

Donc, sur les tablettes granitaires (ou marmoréennes, au diable les dépenses divines), le doigt de Dieu inscrivit les règles du jeu. Puis, comme Il utilisait parfois des hébraïsmes sémantiques et une rhétorique alambiquée, saint Augustin d’Hippone ramena le tout à ceci:

1 – Je suis le Seigneur ton Dieu;
2 – Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain;
3 – Tu te souviendras de sanctifier les jours festifs;
4 – Honore ton père et ta mère;
5 – Tu ne commettras pas d’assassinat;
6 – Tu ne commettras pas d’adultère;
7 – Tu ne voleras pas;
8 – Tu ne feras pas de faux témoignages;
9 – Tu ne désireras pas la femme de ton prochain;
10 – Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain.

Dieu tenait particulièrement au ton paternaliste, à ses «Fais pas ci! Fais pas ça!», ce qui démontre évidemment un blocage freudien à la phase du non, un attachement aux théories cognitivistes rétrogrades, une soif irascible d’autorité, mais une bonne maîtrise de la négation dans les phrases de base en utilisant un langage soutenu, ce qui en fait un Dieu transversalement compétent.

Par ailleurs, tu considères probable que Moïse a contribué à ramener les paroles à une dizaine bien nette sur deux tablettes par endossement hâtif du système international. Mais bon, peut-être aussi est-ce parce que Dieu avait créé des hommes à deux bras et que 613 commandements gravés, ça aurait fait lourd à transporter (et les sandales de Moïse étaient usées, c’eût été dommage qu’il se fracture le tibia). Mais surtout, avec 613 commandement, les médias en bas de la colline auraient seulement sauté sur les trois commandements un peu plus baroques pour tout décrier et occulter le débat.

Tu t’en doutais, en fait: Dieu écoutait parfois TVA.

Enfin, tu as entendu dire que c’est toujours comme ça aux Saisons de Clodine.

19 septembre 2007

Quatre-vingt-dix-neuf ans de solitude (Les Grands Dossiers historiques)

Il faut le dire tout de suite: la Citadelle de Kowloon est une saga. En fait, Kowloon est clairement le Macondo de Márquez. Mais par considération pour les normes établies, tu résumeras quand même en moins de 437 pages.

Bien avant le début d’American Idol, pendant la dynastie Song, fut fondée une bourgade sympathiquement appelée Kowloon (Brossard, en mandarin) où il faisait bon surveiller les pirates. Mais entre deux abordages, il faisait bon également gérer la production de sel; ce que tout observateur de pirates aime bien faire dans ses temps libres. Et entre deux salaisons, ils en profitaient pour fortifier la place.

Malgré ton intérêt vorace et inassouvi pour la gestion du sel en territoire chinois, il est temps de passer aux choses sérieuses. Passons donc à ce jour ensoleillé avec passages nuageux de 1842 où fut brandi le Traité de Nankin, qui avait peut-être principalement pour but de légiférer sur la composition de la sauce soya, mais qui entre autres détails cédait l’île de Hong Kong à la Grande-Bretagne. Cela n’est évidemment pas un cadeau à dédaigner pour qui aime bien les îles, et la Grande-Bretagne se sentait un peu comme Sancho qui aurait finalement reçu l’archipel promis par Don Quichotte. Les autorités chinoises se dirent alors que la Citadelle de Kowloon serait une bonne place pour caser un poste militaire et administratif et contrebalancer l’influence des Britanniques dans la région. Tu le comprends, la principale crainte floue des Chinois, c’était effectivement les Spice Girls.

Après un plaisant souper, en 1898, la Convention pour l’extension du territoire de Hong Kong est signée: Hong Kong est donc remis avec tout le flafla, pour un bail de 99 ans, à la Grande-Bretagne, toujours à l’exception de la cité enclavée de Kowloon. Tout le monde était heureux, tellement que quelqu’un finit par dire: «Ah! et puis c’est juste officieux, mais vous pouvez même garder des troupes à l’intérieur de la citadelle, tant qu’il n’y a pas d’interférence.»

Mais comme ce flegmatique et au demeurant charmant Britannique avait beaucoup trop bu, il oublia et la Citadelle de Kowloon fut attaquée en 1899. Ce fut alors une bonne blague parce que la citadelle avait pratiquement été abandonnée, alors les Britanniques purent se remettre à jouer au polo sans soucis et la petite enclave se développa tranquillement.

Les Britanniques jouèrent longtemps au polo, puis un jour de Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise attaqua Kowloon Harbor, chassa les résidents et démolit les forteresses pour construire un aéroport à proximité.

En épilogue, après que le Japon eut capitulé, Kowloon devint une sorte de ghetto labyrinthique monolithe où les masses humaines et pierreuses s’accumulaient les unes sur les autres dans une décadence toute babylonienne. Mais à la fin, au lieu de la colère linguistique de Dieu en bonne et due forme, le gouvernement en place transforma plutôt la cité en parc. Autres temps, autres moeurs.

C’était évidemment une bonne chose pour le polo, mais les Britanniques arrivaient à la fin de leur bail et devaient quand même se trouver un autre quatre et demi.

Le lecteur incrédule peut maintenant se diriger vers Wikipédia, mais il n’y a pas de garantie sur le plaisir qu’il pourra en tirer.

04 septembre 2007

Persona dans le trafic* (Les Grands Dossiers historiques)

1967. La grande épluchette universelle de blé d’Inde aligne ses derniers mois en douce sur la néo-créée île Sainte-Hélène. Montréal vit alors un somptueux rêve orange, jaune, brun et turquoise. Un rêve qui aura passé comme une minijupe; c’est-à-dire parfois avec émoi, parfois avec un petit haut-le-cœur. Quelques-unes de celles qui seront plus tard tes vieilles tantes (pas nécessairement haïssables, mais ça arrive parfois) décident alors de décorer leur maison. Elles achètent rideaux et sofas assortis (selon le principe de la parité du laid), et bien que le mariage soit douloureux, aucun divorce ne sera accordé; quelques adultères décoratifs qui ne lénifieront rien seront tolérés dans les années 1980.

Mais bon, restons en 1967, car en ce suédois début de septembre, le peuple du meuble à assembler soi-même ne cherche pas ses vis manquantes, mais s’apprête à vivre son dagen H (et non pas son Häagen-Dazs, car si ici on vit parfois sa vinaigrette, les Scandinaves eux ne vivent pas leur crème glacée). Donc, en ce jour H (traduction pour éviter le déboussolant suédoisisme), au lieu de changer les rideaux, les Suédois changent le sens de la circulation routière. Rien de moins. Car à une question du type «Hé, bon peuple, désires-tu que nous roulions à droite au lieu d’à gauche?», le bon peuple répond à 85%: «Euh! non, pas question… Ça fait près de quarante ans qu’on refuse, vous êtes pas bien?». Un peu après, le parlement suédois décide donc que oui, ça va se faire, et que tiens, le 3 septembre 1967, à 5 heures du matin, on change le sens des voies. À 4h50, on roule à gauche puis on se gare. À 5h, on roule à droite.

Un plan est ainsi mis en branle. Il faut préparer les gens, et les intersections un peu aussi. Des psychologues sont lâchés dans la foule et dans le trafic. «Parlez-moi de votre enfance dans les voies de gauche... – Dans mon jeune temps, Peupa nous emmenait souvent à la campagne et snif! je m’en rappelle encore, après la courbe chez ma tante Olga, snif! on devait tourner à droite, et il y avait souvent une moissonneuse-batteuse, et peupa avait écrasé un écureuil**…»

Tiens, tu fournis même un épilogue: c’est une histoire qui finit bien. Le nombre d’accidents mortel décroît presque instantanément. Conclusion ouverte et étonnante corrélation à approfondir: nombre de personnes âgées, déroutées (ah!), délaissent la conduite automobile pour s’épargner la nouvelle logistique routière. Plusieurs, on s’en doute bien que cela reste tabou à l’époque, trouvent un salut dans le bingo et le jus de cassis.

* Désolé pour le jeu de mots, mais tu avais quand même trouvé pire encore: Suède(s)-tu conduire à droite?
** Ou l’équivalent suédois, tu étais supposé valider avec Bergman, mais il ne répond pas à ses messages, le coquin.

Note au lecteur incrédule: Tu fais bien de l’être un peu. N’empêche, pour le reste, il y a Wikipédia…