23 janvier 2008

J'ai un Groenland qui ne veut pas mourir

Cher Groenland,

J’imagine que tu sais, que tu l’as vu passé, le moment; tu as une excellente mémoire binaire.

Je te l’écris quand même en toutes lettres : ça a fait deux ans, c’était à l’automne, en novembre gris, une saison qui n’existe probablement pas qu’au nord de l’Amérique, entre deux commandements. Hum. Ouf. Enfin, deux ans que c’est officiel et qu’on le vit publiquement à la face du monde sur les toits de la grande toile (mais c’est bon, on ne le crie pas si fort). Des noces de quoi au fait? de papier mâché, de terre cuite, de polyester? Mais c’est sûr, entre nous, ça fait un peu plus longtemps. Hé! c’est quoi cette plage de galets tristounets que tu me fais là? On ne tombera pas dans la nostalgie arctique quand même.

Notre anniversaire épistolaire, tu me diras peut-être qu’on s’en fout un peu, et je ne suis certainement pas le type qui va trop te contredire là-dessus. N’empêche, j’ai été élevé comme ça, vois-tu. Ma mère, elle retient toutes les dates de toutes les occasions de tout le monde. Elle est un peu comptable de relations humaines, si tu veux. Donc le matin, ma sœur et moi, on hésitait devant les céréales, on se demandait s’il fallait commencer à aimer le beurre d’arachide ou bien on regardait les toasts brûler vives, et là, la plupart du temps, on apprenait quel jour c’était. «C’est la fête de Liette», «Ça fait 11 ans que Robert est décédé», «C’est la date du mariage de Guy et Renée». C’était bien, ça changeait les perspectives. Moi, j’avais plutôt tendance à croire que c’était le jour du cours d’éducation physique (ne pas oublier d’apporter le sac de sport) ou du test de maths (retenir que le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des cathètes). Mais on ne change pas tant que ça, en fait. Tout le monde a ses petites épiphanies. On vieillit et on finit par mémoriser si c’est aujourd’hui ou demain le jour des vidanges (c’était aujourd’hui), mais on ne sait plus trop si c’est le 29 ou le 30 qui est la date importante. Et importante pour quelle raison, déjà?

On ne fera pas de bilan sur ça, d’accord. Disons qu’on continuera une sorte de tradition de racontars groenlandais, mais sans trop d’ours polaires et de morses. Mais qui sait, on pourra quand même parler d’ours polaires et de morses occasionnellement. Il ne faut pas se limiter.

Et en passant, fais attention à toi. T’as encore maigri de la calotte.

Et méfie-toi des Russes, ce serait désagréable qu’ils te plantent un drapeau dans les flancs.