24 septembre 2008

Vente de truismes à la criée du lot 49b

Bon, moi aussi, moi aussi. Thèmes: politique, coupes en culture, clivages et autres actualités.

Je soigne généralement mon cynisme pour le ramener à un dosage admissible, mais mon surmoi a flanché, tu me permettras donc de souligner combien ces coupes sont admirablement efficaces pour le Parti chinook*. Enfin, imagine un peu tous ces artistes protéiformes qui rayonnaient à l’étranger (avec ou sans banane céleste), qui votaient probablement toujours conservateurs avant, et qui changeront probablement leur vote pour les prochaines élections. Ouf, que ça va faire mal au parti de perdre tous ces votes cruciaux sur lesquels il comptait. Car bon, c’est ça la tristesse des choses, tout est affaire de clientélisme, de statistique et de stratégie. Savoir viser, est-ce déjà une compétence transversale?

Mais surtout, je m’étonne de l’étonnement par rapport au clivage que plusieurs semblent découvrir entre les artistes et le bon peuple ordinaire, pour reprendre cette charmante expression séduisante au plus au point («Maman, maman, quand je serai grand, je veux être ordinaire. Dis oui, dis oui.»). C’était si invisible que ça? Pas d’objection à ce que je laisse traîner sur la table ma thèse selon laquelle il y a un clivage entre à peu près tout le monde? Différentes personnes, différents intérêts, différents milieux, différentes positions. Bien sûr aussi que tous les milieux ne sont pas des blocs monolithiques de gens identiques classés par belles strates d’âge et de revenus dans un joli graphique Excel à pointes de tartes. Oui, tu connais un avocat et un mécanicien qui sont amis, qui jouent à la balle ensemble et qui ont même déjà été au théâtre une fois. Oui, excellent, ça me réjouit aussi, vraiment. Je ne le range pas au rang d’exception non plus, je dis juste que le contre-exemple n’empêche pas l’exemple d’exister largement; sans être réducteur, je suis de ceux qui ne tombent pas des nues en apprenant qu’il y a des notaires qui ne fréquentent pas beaucoup les mimes, des chirurgiens qui ne font pas souvent de garden-partys avec des coiffeuses et, tiens donc, des gens ordinaires qui trouvent que les artistes finalement, ils reçoivent trop de subventions. Comme je ne suis pas tombé des nues en apprenant qu’il y avait quelque part deux (ou peut-être même jusqu’à cinq) Québécois qui avaient des préjugés contre certains étrangers. Bien sûr qu’au long des grands fossés qui séparent tout le monde, il y a des sujets qui rassemblent, des liens possibles qui existent, des points où on finit par réussir une connexion. Tout le monde ne peut pas toujours être dans les zones mutuellement exclusives des diagrammes de Venn. Mais ce n’est pas parce qu’on a été témoin d’une entrée charretière que le fossé n’existe plus. Les entrées charretières existent, d’accord. Les fossés aussi, de part et d’autre. (Tu désires peut-être maintenant saboter ma métaphore champêtre en parlant de conduites pluviales enfouies, mais tu n’es pas sans savoir que la conduite pluviale aplanit peut-être un peu les différences, mais que l’esprit du fossé demeure: la conduite pluviale est un fossé dissimulé. Puis si on remblaie simplement à la va-vite, d’autres fossés vont se créer naturellement, et ça pourra être pire encore avec toutes sortes de choses qui risquent de fissurer de partout.)

Désolé pour le pragmatisme (et peut-être pour la métaphore aussi, finalement), mais je crois que c’est trop flatter l’espoir dans le sens du poil que de croire qu’en organisant une tombola avec un chirurgien, un étranger et une coiffeuse, tout va être réglé (les notaires ne viennent jamais aux tombolas et les mimes, non merci, ça te gâche toujours une célébration). Voilà, ce qui me laisse toujours un peu amer avec la découverte médiatique de clivages très visibles, ce sont les dérapages qui ne manquent pas de survenir, puis les appels maladroits au remplissage de fossé qui devient ravin. Un malaise un peu comme lorsque dans une certaine émission qui a pour thème le manque ou la culture, je ne sais pas trop, l’animateur se penche en avant, prend un air attentif prononcé et demande à ses invités: «Pour ceux qui ne sont jamais allés au théâtre, dis, c’est comment? On dit qu’il y a des sièges pour s’asseoir, c’est vrai? Pour ceux qui n’ont jamais vu ça, un livre, dis, ça ressemble à quoi et qu’est-ce qu’on doit en faire? C’est vrai la rumeur qui dit qu’il y a des pages avec des mots là-dedans et qu’il y a un sens dans lequel il faut le tenir?» Oui, mais un malaise en pire que ça.

Comme là, quand ça commence lourdement à déborder de partout, de tous côtés. Et c’est ça finalement qui m’attriste toujours, la sensation que ce sont ces débordements qui finissent par justifier en eux-mêmes la présence des fossés.

*Vent sec soufflant depuis l’Ouest canadien, du côté est des Rocheuses.

18 septembre 2008

Inaptitude

Dans un élan rationnel particulièrement désagréable en dépit de ma rationalité générale usuelle qui pourrait pour certains déjà paraître particulièrement désagréable, je me suis dernièrement livré avec une fougue mitigée à remplir un mandat d’inaptitude. Oui, ce genre de document où tu décides en pleine possession de tes moyens qui possédera tes moyens lorsque tu n’auras plus les moyens de les posséder. Bref, déjà assez sujet à me questionner sur ce que je veux faire maintenant et ce soir après souper, moi pour qui les plans quinquennaux personnels relèvent de l’acrobatie intellectuelle avec points d’ancrage mal assurés, j’ai décidé qui allait s’occuper de m’arroser et de couper mes feuilles jaunes si j’accédais au statut de plante verte. J’ai cru bon par contre d’attendre un peu avant de décider qui allait s’occuper de mes enfants immatérialisés dont la date de mise en circulation projetée n’est pas encore disponible.

Mon déplaisir et moi étions donc rendus inséparable à peu près à la moitié du formulaire lorsqu’il nous fallut décider du genre d’environnement auquel nous aspirerions lorsque aspirer et plein d’autres verbes d’action plus ou moins active allaient devenir des tâches particulièrement laborieuses.

J’ai réprimé mon besoin d’écrire de façon formelle que je refusais d’office toute chambre pastel.

10 septembre 2008

Des tours qui tombent

Le matin où des tours sont tombées (on devrait pouvoir retrouver la date en fouillant un peu), j’étais dans un local un peu froid en train d’écouter un prof un peu ennuyeux. Sans télévision, sans radio, sans cellulaire, les tours sont donc restées debout un peu plus longtemps pour moi que pour plein de gens pour qui elles ont tombé vingt fois en boucle entre le baguel et le deuxième café. Pendant l’après-midi, j’en ai plus ou moins senti poindre la rumeur autour de moi, mais il aurait tout aussi bien pu s’agir de discussions sur un nouveau jeu vidéo ou sur une bande-annonce spectaculaire, ce qui aurait d’ailleurs été parfaitement dans les normes usuelles.

Ce soir-là, j’avais un souper prévu avec une amie, une fille-d’Ottawa-presque-grandie-à-Sainte-Foy. Si je me rappelle bien, je feignais encore un intérêt opportun pour le patin à roulettes et je démontrais assez d’agilité sur les bords bien asphaltés (et propres, à Ottawa, tout ce qui concerne l’urbanisme est toujours propre; le reste…) du canal Rideau pour qu’elle daignât y croire. Ça avait été un excellent moment pour dire: «Ah, tiens, viens donc manger du spaghetti mardi». Le seul problème, c’est qu’à peu près au même moment, un type quelque part disait à d’autres: «Ah, tiens, allez donc faire s’écraser des avions dans des tours new-yorkaises mardi». Voilà, elle a dit oui et eux aussi.

Parmi tout ce que mes parents m’ont légué de mieux, la sauce à spaghetti occupe une place de choix. J’en avais alors un pot plein et je pouvais bonnement croire que le bonheur était dans le spaghetti. Bien entendu, depuis cette époque lointaine, je me suis affranchi dans le domaine de la sauce à spaghetti et ai développé une expertise très concurrentielle. De plus, ma sauce ne fait tomber aucune tour. Je le considère comme un avantage.

Ce soir-là fut un de ces soirs qui confirment plein de choses. La sauce à spaghetti de mes parents est excellente. Les tours étaient bel et bien tombées. Nous avions plusieurs spéculations là-dessus. Et sur plein d’autres choses aussi.

Quelque part entre le 11 septembre et la fin du mois, ça fera donc officiellement sept ans qu’on est ensemble. C’est un truc mnémotechnique très réussi.