27 février 2007

Les abandonnés (prémices)

Depuis le premier minimaliste livre Le chat sale lu au primaire (Le chat est sale. Le chat est dans le bain. Le chat est propre. – Le dénouement étonnant a maintenant été dévoilé.), rares ont été les livres qui sont passés dans tes mains sans avoir été lus d’un bout à l’autre. Tu te souviens bien des affiches qui trônaient dans les classes de français de ton école secondaire et qui servaient à la fois à cacher les trous des murs de carton et à clamer les Droits imprescriptibles du lecteur, sortis tout droit du livre de Daniel Pennac.

Il y était écrit bien clairement que le lecteur avait 3. Le droit de ne pas finir un livre.

Chevaleresque, tu as toujours été réticent à abandonner un livre entrepris, comme si un contrat devait être respecté, la punition pour les lecteurs récalcitrants atteignant des niveaux de cruauté plus grands encore que le châtiment de l’ennui ou de l’exaspération entraîné par la lecture affligeante. Ainsi, quand tu ouvres une boîte de Pandore, tu ne la refermes pas avant que tout l’espoir n’y ait été aspiré. Tel un Petit Poucet, tu as parsemé ta vie de plein de boîtes livresques de Pandore, vidées, toutes siphonnées de l’espoir itératif que les prochaines dix pages soient plus intéressantes que les cinquante dernières.

Un de ces premiers engagement de la conscience pour poursuivre une lecture bon gré mal gré, une de ces premières déceptions, est survenu au primaire. En troisième ou cinquième année, chaque étudiant devait piger un numéro qui correspondait à un livre pour ensuite effectuer le travail demandé. Petit gaillard jusque là heureux, tu pigeas sans crainte. Horreur! tu as eu droit à un livre mettant en scène Joséphine, jeune fille romantique en robes à jupons sur fond de guerre de Sécession; Autant en emporte le vent pour jeunes filles en fleur, Anne et sa maison aux pignons verts en Alabama.

Les séquelles auraient pu être terribles; tu aurais pu devenir misogyne ou coiffeur styliste. Or, ta force de caractère t’a permis de surmonter l’épreuve et d’en sortir grandi. Douloureusement, tu avais appris l’injustice et la contrition (à cause de l’imposition du livre, pas grâce à sa narration poisseuse).

Depuis cette juvénile traversée du Styx, tu abandonnas trois livres en cours de lecture.

J. K. R. – H. P. et la P. P.

M. F. – Le M.

S. – Le R. et le N.

Les lauréats seront annoncés sous peu, avec de vibrants témoignages. Et d’ici-là, ça fait un génial jeu de devinettes pour divertir la galerie.

25 février 2007

Du lien saugrenu entre randonnées et salutations

Tu descends au fond des choses et sur le flanc de la montagne (possiblement pendant que Cuba coule en flamme au fond du lac Léman), et tu te dis qu’il est curieux tout de même que tout le monde se sourie et se salue ainsi en randonnée. À quelque trois cents kilomètres de l’endroit où tu fais normalement tourner ta clé dans une serrure de porte, tu échanges en un après-midi plus de salutations qu’en un an parmi tes voisins. (Hormis la fois où ta tondeuse a craché un peu d’herbe sur l’asphalte lisse d’à côté, mais il s’agissait alors bien peu de sourires et de salutations.)

Alors, pourquoi se salue-t-on à tout venant en randonnée?

Tes pieds sont bien enchâssés dans des raquettes (empruntées) en aluminium, le soleil gazouille et les oiseaux rougeoient. Si ta fenêtre est un jardin de givre, il ne faut pas chercher aujourd’hui la douleur que tu as! que tu as! Le climat aide donc. Néanmoins, le même climat sur un trottoir bondé de Montréal ou sur le bord d’un fossé rural n’a pas le même effet. Que signifie ce salut? Que vous fraternisez entre gens possédant des pieds? Que vous vénérez l’instinct presque grégaire qui vous unit sur la route des coureurs des bois? Que ce partage du grand air vous fait partisans du «Vas-y, fais-le pour toi!»?

Il y a là un bien grand mystère. Mais le charme, de retour au bercail, n’opère plus que difficilement. Fort de ton expérience montagnarde, tu le vois lorsque tu salues ton grincheux voisin d’en face. L’incompréhension dans son regard vide marque son désintérêt total pour les salutations, ce code si complexe du civisme moderne.

Dans son cas, tu ne recommenceras plus, promis.

19 février 2007

Discussion de bureau

Tu courais dans le couloir lorsque vous vous êtes croisés.

- Hé! J’ai trouvé pourquoi le nom m’était familier, commenças-tu.
- Ah oui?
- C’est la femme de Paul Auster!
- Wow! Un potin littéraire.
- Je sais… on ne rit plus.

En quelques phrases, tu avais eu le temps de te déplacer devant le bureau de la réceptionniste qui, se sentant un peu dans la conversation attrapée au vol, éprouva un impérieux besoin de parler littérature aussi (probablement interpellée par le son en ter et la mention du potin).

- Harry Potter? demanda-t-elle.

13 février 2007

Nostalgie en direct

Dans une salle trop éloignée, une mariée trop belle embrassait un ami pas vu depuis trop longtemps.

Des parents fiers prononçaient des discours trop vite, nerveusement, avec des mots trop filants mais bien sentis. Tu lorgnas un peu les voisines de table, inconnues lippues au buste trop serré.

Des filles en robe de charleston échancrée dansaient, genoux fléchis, sur une musique trop forte, sur des talons aiguilles trop fins. Des gars les accompagnaient avec un sens du rythme bien déficient. Des souliers cirés s'embrouillaient sur le plancher verni.

Tu mesuras à l’auge l’espace-temps qui séparait tes souvenirs d’étudiants et ce moment pour voir combien le temps ne chômait jamais. Il passe et il change les grands enfants, aussi responsables soient-ils, en adultes. Si on le laisse faire, il crée plein de vieillards aussi.

Tu avanças vers l’homme en smoking gris fumée. Tu tapas sur son épaule, fis l’accolade, souris. Tu le félicitas. Et simultanément, tu songeais un peu malgré toi que c’était peut-être une de ces dernières rencontres qui parsèment une vie.

Un jour, te dis-tu, c’est le souvenir que tu auras gardé d’un vieil ami d’université.

Une salle trop éloignée, une mariée trop belle, et un ami pas vu depuis bien trop longtemps.

06 février 2007

Acharnement raisonnable

Trois gars et une fille réunis autour d’une table où trônèrent successivement deux pichets de bière reçoivent leur facture. Le décor est celui du East Side Mario’s.

Le serveur attitré, bien inconscient des risques encourus en agissant de la sorte, laisse alors sur la table un stylo et une fiche qui annonce que les commentaires sont les bienvenus.

Budda boom budda bing.

Les initiés parmi vous comprendront que ce proverbe d’une sagesse légendaire orne le dessus de la feuille des commentaires. Les commentaires s’en sont donc allés sur ce bijou de slogan envoûtant. Tant pis pour ceux qui préfèrent indiquer qu’il y a trop de sarriette dans les tortellinis.

Budda. Serait-il possible de remplacer ce nom évoquant un dieu étranger pour une icône qui représente plus les valeurs et les spécificités québécoises et canadiennes? Une divinité plus catholique nous eût semblé préférable. Or, étant donné le cours de la foi à la bourse religieuse de ce pays, le nom d’une personne adulée de la masse serait encore mieux. Nous proposons Céline Dion ou le petit Jérémy.

Boom. Ce terme semble très violent. Il y aurait lieu de le remplacer par un élément plus paisible.

Bing. Nous aimerions que vous vous assuriez que ce vocable n’est pas un anglicisme.

Le côté à l’est de Mario saura où adresser ses remerciements lorsqu’il tentera d’ouvrir une franchise à Hérouxville (là où les Musulmans prient sans doute Bouddha entre deux excisions). Vous savez, si on peut éviter quelques lapidations…