10 décembre 2009

Ma vie en catastrophscope

Oui, je sais, comme tout le monde… mais après. Pour les tentacules, pour le jeu, pour le portait social instantané. Parce que j’ai toujours aimé l’effet du microscopique juste à côté, sur la voie de service du macroscopique

6 décembre 1989 – Je trouve Cynthia très belle. Elle ne le sait pas. Je ne suis même pas assis à côté d’elle. Le monde est injuste, je le sens. Dominic copie sur mon examen de maths. J’ai écrit 3 au lieu de 6, et je corrigerai tantôt. Je suis fourbe. Dominic, je te l’apprends, le monde est injuste. (Mais pas trop. Avec le recul, je crois que Cynthia est un peu sotte.)

11 septembre 2001 – J’ai une chambre sur le campus. Je me lève à défaut de me réveiller, passe sous la douche, vais en classe (je suis habillé: parfait, les automatismes fonctionnent). Cours banal, je note, je souligne, ça ira. Le cours prend fin, je salue des amis et je suis le premier parti. J’ignore ce que j’ai fait hier, mais il me manque trois heures de sommeil pour être sociable aujourd’hui, je vais tenter de remédier à la situation. À travers les vitres, je vois des étudiants que je ne connais pas qui regardent des tours tomber sur un écran d’ordinateur. Il y a aussi des avions. Ridicule. Ah moi, les films catastrophes… Je passe mon chemin. Celle qui deviendra ma blonde incessamment vient souper. Dans la cuisine commune étrangement vide, pendant notre souper spaghetti quasi-romantique, un gars de la radio étudiante débarque: vox pop, on pense quoi des attentats contre le World Trade Center? Euh, c’était en 1993, hein (et que fais-tu dans mon souper)? Ma blonde à venir me regarde drôlement: quoi, tu sais pas? Le monde est injuste. Et l’injustice est apatride. Nous n’y voyons pas un vaste complot mondial. C’est l’amour au temps des attentats.

9 décembre 2009 (qui n’est pas un jour de catastrophe officiel approuvé par Céline Galipeau)(la neige ne suffit pas) – Nous avons opté pour le vert pâle; on vit dangereusement, mais bon choix finalement, on aime celui-là. Ma blonde a six mois de bedaine dans le corps. Une couchette a été achetée et assemblée après une chasse en bonne et due forme sur LesPAC. Quelqu’un va venir poser un point de bascule dans ma vie dans quelques mois, et ça ira. Le monde ne peut pas toujours être injuste. Le monde est prosaïque aussi, souvent. Il faut que je pose mes pneus d’hiver et que je me fasse vacciner (car même si je n’ai pas encore eu le cours prénatal pour me l’apprendre, il y a une grippe méchante qui fait fureur ces temps-ci, un peu partout où on trouve des humains avec une gorge et des organes respiratoires, des forêts de Shanghai à l’Irlande).

02 décembre 2009

Paul, un morse, des jolis blanchons (ou Découvrir un texte dans le fond d’un fichier)

L’actualité, c’est très important dans un blogue. Parlons donc du spectacle de Paul sur les Plaines, qui vient tout juste de s’achever, l’été passé.

Étant donné que Margaret Thatcher a un peu tendance à oublier les paroles de Hey Jude puis que Wolfe ne chante plus très bien (entre autres raisons parce qu’il est asthmatique et mort), je dois dire que j’étais assez heureux que ce soit Paul que les Britanniques envoient à Québec finalement. Précision au départ: pour ce point, je suis un anachronisme musical, j’ai plus écouté les Beatles que mes parents ont dû les écouter.

En optant pour le talus de la Citadelle, en arrière du fond, en haut complètement, debout sur le deuxième barreau de la clôture, en regardant l’écran à travers les arbres tout en refusant les offres d’emploi pour le Cirque du Soleil, j’ai réussi à éviter l’attente compactée sur la Grande-Allée et le piétinement subséquent. Pour ce qui est de Pascale Picard par contre, non, je n’ai pas réussi à m’en sortir, j’ai dû tout affronter. Il demeure tout de même que parmi mes soirées complètes passées juché en équilibre sur une clôture de métal (à côté, entre autres, de deux hippies inconnus des Pays-Bas), celle-ci arrive en tête.

Oui, mais Paul, tu sais, les phoques, argua-t-on. Pour vrai, tiens, j’ignorais, il faut dire qu’on en a si peu parlé, inférai-je.

Pourtant, tout’ étant dans tout’, tout s’explique, et c’est même très documenté comme comportement. Voilà, Paul se porte à la défense des phoques, non pas parce qu’il n’y connaît rien, mais parce qu’il se considère comme un morse, et que certains morses peuvent exceptionnellement tuer et manger des phoques, comme le démontre le documentaire allemand de Sigurd Tesche produit en 2005. Oui, Paul est comme ça, il craint la famine de façon insolite et anthropomorphique.

L’énoncé de base est dans la chanson I am the Walrus. Oui, souviens-toi: «I am the Walrus/Goo-goo goo-joo», clame-t-il. Il y a donc clairement une association marquée. Paul est habillé en morse sur le dessus du Magical Mystery Tour, ce qui est également une prise de position forte. Il se prend aussi pour l’homme à œufs, mais ça ne lui enlève rien. Un homme peut aimer la variété.

Bien sûr, tu me diras que John Lennon, ce taquin, a mêlé quelques personnes en choisissant le costume de morse pour la vidéo de la chanson, alors que Paul apparaît en hippopotame. Certains ont donc pu croire que John était le morse.

Mais ceci n’a aucun sens. Pourquoi Paul serait-il contre la chasse aux phoques s’il était un hippopotame? Paul n’est pas un hippopotame. Voyons, ça se saurait. La pochette de disque prime sur le vidéoclip, c’est une convention connue.

John a donc restitué les faits. Sur le White Album, dans la chanson Glass Onion, on entend John chanter: «Here’s another clue for you all, the walrus was Paul».

Voilà.

26 novembre 2009

Bilan automnal (incluant les mots amours, délices et orgues)

Cher Groenland,

Ça fait quatre ans. Des noces de cire, imagine-toi donc; ha, mais l’année passée, c’était de froment, je n’ai même pas osé t’en parler. Je sais, il y a eu relâchement cette année. Un peu comme si s'être fait construire (donc choisir des luminaires, des comptoirs de salle de bains et des bardeaux sur des échantillons de 2,25 pouces carrés, à deux, et s’entendre sur le choix, et multiplier cette décision par beaucoup de choix); et attendre un bébé (donc faire une table de concertation conjugale pour la couleur des murs, la literie, la poussette, ah! la poussette, et ah oui, l’autre chose que les gens utilisent quand même assez souvent: un prénom); et travailler (donc choisir des foules de trucs encore, et ce n’est pas toujours plus facile parce que ce n’est pas avec ta blonde qu’il faut former quorum)… oui, un peu comme si tout ça laissait moins de temps pour fanfaronner dans la neige. On en est venu à vivre des amours distantes, des délices espacées et on attendra longtemps les orgues imposantes. Au fait, par curiosité comme toujours, combien y a-t-il d’orgues au Groenland?

Non, je ne te ferme pas, Groenland. Tes frontières sont de toute façon trop poreuses. Oui, on dirait que tu es comme une île en plein océan; ton cœur est trop grand, j’imagine.

Partout, les blogues meurent au combat. En fait, on ne peut pas vraiment dire qu’il y a combat. Ils se figent, point, comme autant de Val-Jalbert version 2.0.

Alors je résiste. Je dois être une sorte de zouave ou de poilu, un gars toujours dans une tranchée en 1920, «on n’entend plus rien, c’est-tu fini?», un Jean Moulin un peu affaibli, peut-être, qui sait? Oui, Jean Moulin saurait.

Je suis un arbre qui résiste dans le vent.

(Mais je ne suis pas un saule inconsolable, ça va.)

Ne tousse pas trop.

29 septembre 2009

Hé, on a du courrier (traduction libre d’un langage inconnu)

Au printemps de 1972, l’homme, qui est un gars avec toutes sortes d’idées, a décidé de lancer deux trucs loin, loin dans l’espace, et même dans ce qui est juste derrière et qu’on ne voit pas. C’est ainsi qu’ont été envoyées au-delà des cumulus, du soleil et des affaires qui tournent autour les sondes spatiales Pioneer 10 et 11 (les neufs premières ayant subi des destins tragiques: le chien a mangé la 2; la 4 fut oubliée chez la grand-mère de Julie Couillard; la 9 fut camouflée dans un collier, lui-même lancé dans l’eau des années plus tard par une vieille survivante du Titanic).

L’autre, un ami de l’homme, qui a lui aussi de drôles d’idées, a décidé qu’il serait bon d’insérer une carte de visite, un faire-part terrien, une bouteille à l’espace. Carl Sagan, qui avait déjà fait une conférence en Crimée sur la communication avec des intelligences extraterrestres, un domaine pas très contingenté à Harvard à l’époque, a donc été approché. Mais pas Françoise, sa cousine éloignée, car sinon, bonjour tristesse, les extraterrestres auraient été déprimés. Il prend donc un peu d’aluminium et d’or, conçoit la plaque avec Frank Drake et laisse même sa femme Linda faire un dessin pour égayer les créatures qui n’ont pas le bonheur d’habiter le système solaire (un lieu qu’il faut avoir visité dans sa vie).

Voici donc la plaque qui est notre ambassadrice à l’étranger. Elle représente une scène très courante de la vie quotidienne dans le système solaire, soit lorsqu’un homme nu peigné sur le côté te salue stoïquement et qu’une femme nue se tient à ses côtés avec une main sur la cuisse.



Comme tu as probablement la chance d’habiter le système solaire, tu sais pertinemment tout ce que cette plaque signifie, mais tu me permettras quand même d’énoncer les lapalissades qui suivent pour les autres. Oui, le truc de base qui saute aux yeux, comme tu étais sur le point de le souligner, c’est le symbole en haut à gauche qui schématise la transition hyperfine de l’hydrogène, l’élément le plus abondant de l’univers. Forcément, la petite ligne verticale représente l’élément binaire unitaire qui permet, en considérant le spin de l’atome d’hydrogène, d’indiquer à la fois une unité de longueur (longueur d’onde de 21 centimètres ) et une unité de temps (fréquence de 1420 mégahertz), ce qui sert de mesure pour les autres symboles. Instantanément, tu réalises ainsi que la femme mesure 168 cm puisque sa taille est de huit fois la longueur d’onde de transition hyperfine de l’hydrogène. La sonde est montrée à l’arrière-plan dans la même échelle, car Linda n’était pas très bonne avec les perspectives. Les 15 lignes partant d’un même point indiquent les périodes de 14 pulsars avec leur distance relative par rapport au soleil (un superbe jeu éducatif) et la ligne horizontale représente la distance relative par rapport au centre de l’univers (le centre de l’univers était splendide à l’époque, mais aujourd’hui c’est devenu vraiment trop touristique). Enfin, le schéma du bas, c’est le système solaire avec les distances relatives bien indiquées. Et je vois mal comment il est possible de ne pas se rendre compte que l’échelle utilisée est celle du dixième de l’orbite de Mercure. Sinon, on remarque aussi que Linda, cette grande naïve, pensait que Pluton allait être une planète pour toujours; il faudra penser à envoyer une mise à jour.

Tout est donc très clair, mais des critiques qui infantilisent les extraterrestres ont rouspété et prétendu que ce n’était pas super simple à déchiffrer. Les critiques s’additionnèrent. Des puritains trempèrent leurs lèvres dans l’indignation: La NASA gaspille de l’argent pour des obscénités! Dessinez-leur des cardigans, juste ciel! Des féministes s’ébrouèrent la mise en pli: C’est ça, toujours l’homme qui a le premier rôle, c’est lui qui lève la main et la femme reste passive. Vous êtes tous des phallocrates, surtout toi, Linda! D’ailleurs, toujours des stéréotypes californiens, quelle image du corps de la femme ça envoie, hein? Des paranoïaques crurent qu’ils s’arrachèrent le poil des jambes: Bon, ça y est, les extraterrestres (qui ne sont pas tous fins, on le sait, nous) savent maintenant exactement où est la Terre !

Par contre, personne n’a encore signé d’accusé de réception et on attend toujours d’avoir des nouvelles par retour du courrier. À moins que ça ait atterri dans le courrier indésirable ou que ça moisisse à la poste restante.

Pour ceux qui aiment corroborer les choses, Ma Chouette loge au fond de cette ruelle…

18 septembre 2009

«Bienvenue à Enceinte à deux»

Un des désagréments majeurs de la grossesse réside dans le fait qu’il faille assister à des rencontres prénatales.

Là-bas, on fait monter les humains deux par deux, la salle est pleine, les formes féminines se portent de légèrement à très arrondies, c’est une ode au terreau fertile de la région qui produit à la tonne maïs et bébés. Nous voilà donc réunis, tous les couples présents, rassemblés par le fait que nous ayons à notre actif au moins une relation sexuelle non protégée au cours des six derniers mois (ou plus précisément, à tout le moins la partenaire fécondée du couple, ou peut-être pas, s’il s’agit d’une relation avec une seringue non érotisante; il y a des certitudes qui se perdent).

Jusque là, ça va, bien que je pressente l’apparition de revendeurs de places en garderie: «Hé psitt, man, pot, ecstasy, coke, places en garderie». Les chaises sont disposées en petits ronds et on reçoit l’autocollant Bonjour je m’appelle déjà rempli pour s’identifier le poitrail. Je ne réussis pas à m’empêcher de me tourner vers ma blonde: «Bonjour, euh… alors toi, tu bois depuis quand?» On participe néanmoins au classement des bedaines selon le nombre de semaines de gestation (tout le monde gagne) et on s’interroge courtoisement et intérieurement sur la relation qui unit les deux filles face à nous.

Au moment où on nous fait piger des objets dans une taie d’oreiller pour nous faire deviner dans un langage fleuri quels sont les services offerts au CLSC, j’ai un sourire qui n’indique peut-être pas la connivence la plus complète. Oh, mais que signifie la plaque de Lego avec des maisons? Montrez-la plus haut, s’il vous plaît. Tout le monde la voit? Quelqu’un a une idée? Oui, c’est pour vous rappeler qu’il y a toujours un CLSC près de chez vous. Une des animatrices parlait l’italique couramment (elle le tenait probablement de sa mère qui était italiquienne).

Jeu de la soirée: trouver le couple qui nous tombe le plus sur les nerfs. J’opte très rapidement pour les deux qui se font continuellement des petits câlins à l’avant. Plus tard, au cours de la révélatrice activité Quels sont les changements dans notre vie et quelles sont mes attentes, point d’interrogation?, le groupe est divisé dans la salle, messieurs ici et mesdames là. Eux continuent de se faire des petits saluts tout le long de l’activité. Oh, mais où es-tu, ah, juste de l’autre côté, salut, salut, c’est moi, ah, tu me salues aussi, comme c’est coquin. J’entérine mon choix, pendant que le gars à ma gauche explique à celui qui a reçu la feuille pour noter les réponses (évidemment, celui qui porte des lunettes) qu’il s’inquiète d’avoir moins de temps pour jouer au golf. Il cherche une épaule pour déverser ses émotions masculines, un tee psychologique pour son désolant désarroi sportif que j’aurais plutôt eu le goût de driver très loin dans une trappe de sable (mouvant), dussé-je m’y prendre avec un bâton non approprié pour le coup, qui ne soit pas en titane léger platiné ou comme l’autre qu’il vient sûrement d’acheter, qui coûte plus cher et qui est beaucoup mieux.

Mais sinon, c’est vraiment pertinent comme soirée, j’ai appris que le brocoli et les oméga-3 sont bons pour la santé. Faites circuler l'information.

14 juillet 2009

Derrière le silence radio

Un samedi matin, ta blonde s’est réveillée avant toi et elle a décidé qu’elle allait uriner sur un des objets les plus perfectionnés sur lequel faire pipi. Oui, pas con et assez observateur, tu avais bien remarqué que ta blonde était en aménorrhée, mais tu restais du genre à croire que ça allait survenir d’un moment à l’autre, tantôt là, dans pas longtemps ou juste après. Mais bon, les règles avaient bien fui, probablement avec Earl Jones ou Michael Jackson ou Elvis sur une île qui se déplace dans l’espace et dans le temps, tu ne sais pas tout. Pas trouvables, plus de réponse au numéro composé. Perspicace, tu éliminas tout de même la ménopause des possibilités.

Voilà, c'est une histoire de gamètes qui se sont plutôt bien entendus, pris en flagrant délit de tendresse. Un zygote est si vite arrivé. C’est ce que le test sur la table de chevet disait posément avec une croix bleue lorsque ta blonde t’a réveillé. Ta blonde, elle, disait qu’il fallait un deuxième test, parce que, pour être sûr, au cas où… Il était même question d’appliquer la démarche scientifique. Ou d’y aller avec un deux de trois. Un aller-retour à la pharmacie et un test plus tard, la confirmation étincelait sur le meuble de la salle de bains : il était temps que vous vous en rendiez compte, même que le zygote est déjà rendu embryon, c’est clair que madame est enceinte.

Voilà, vous avez créé un placenta. Et accessoirement, un ou une bébé. Ouf.

Tu ne t’es pas rendormi ce matin-là. Tu pensais à des noms de placenta.

29 mai 2009

Pierre V., agent immobilier, James Bond de banlieue dans le vent…

Pierre V. a tout misé sur la carte professionnelle qu’il a fait faire il y a 10 ans. Il a opté pour le regard perçant dans le vent, coloré à sa demande bleu Sico piscine aigue-marine, cheveux lissés en arrière, chemise déboutonnée dans le haut. Il se la joue franchement à la Pierce Brosnan, on l’entend se concentrer sur son objectif prioritaire: carrer sa mâchoire le plus possible. Ursula Andress et d’autres amies qui ne font pas encore d’ostéoporose se faisaient probablement dorer en bikini à côté pendant la séance photo.

L’embarras, c’est que lorsque Pierre V. passe la porte de la maison, il ressemble étonnamment à l’avocat Guy Bertrand, mais la version qui vient avec la peau orangée, un peu d’embonpoint, plus de mentons qu’il n’en faut et le vernis social d’un maire de Québec. Le bleu piscine des yeux et Pierce Brosnan ont manifestement résilié leur contrat.

Les gros méchants qui veulent dominer le monde peuvent dormir tranquilles, 007 n’est plus menaçant, il a changé son permis de tuer pour un permis de vendre le type de rêve qui vient avec des armoires de cuisine et sans bons baisers de Russie.

20 mai 2009

Martin C., agent immobilier, gendre idéal bien peigné, amateur de dauphins…

Martin C. tend la main avec l’habitude des hommes qui ont bien évalué la distance, le rythme, le degré optimal de moiteur, tout. Il est lancé, il enchaîne avec le petit hochement de tête concomitant qui est sa marque, sa touche, sa plus-value personnelle qui installe juste un soupçon de convivialité sans décoiffer ses cheveux juste gelés à point de vedette locale de la pancarte à vendre. Martin C. semble perpétuellement en mode séduction de belle-mère. La blonde Julie L., déjà plus effacée, devient son faire-valoir du «Avez-vous vu les beaux plafonds et la grande cuisine fonctionnelle?» Julie L. se dit sûrement elle aussi que si Martin C. se réincarnait en Miss Wyoming, elle ne jonglerait pas en bikini avec un bâton de majorette, mais orchestrerait plutôt un numéro d’échange de poignées de mains. Et Miss Wyoming serait élue, pense Julie L., un peu émue, mais en retrait.

Martin C. dans son bureau est encore plus intéressant. Son secrétaire en bois présente le pH neutre du luxe avant que ça devienne de l’opulence étalée, et au cas où le doute se serait instillé, le grand portrait de son fiston hockeyeur orne le mur derrière lui: Martin C. est aussi un bon père de famille qui aime la franche camaraderie du sport amateur. Il aime aussi profiter de la vie, regarde, la photo de sa femme blonde souriant avec un bébé dans le sable est justement perpétuellement tournée vers les sièges des clients, car lui n’a plus besoin de la regarder, il l’a déjà vue.

Mais ce qui est vraiment plus intéressant encore, c’est la pleine page de publicité que Martin C. s’est payée dans le journal local. Elle est justement encadrée et posée sur un petit guéridon à gauche, à l’entrée de la pièce, même si tu ne l’avais pas vue tantôt en entrant. Martin C. y dit de lui-même qu’il est un excellent vendeur, bien sûr, et il doit le savoir s’il le dit, mais ce qui fascine, c’est qu’il se soit convaincu que pour étayer ses dires, le mieux était de mettre une photo pleine page de lui-même en train de nager côte à côte avec un dauphin.

03 mars 2009

Des chiffres et des litres

La fin de la décennie 1970 fut pleine de rebondissements. Alors que Montréal était en émoi devant une tour croche en béton qui ne se construisait pas très vite, le monde scientifique avait des préoccupations majeures.

Ce coquin de Kenneth Woolner notamment, professeur à l’Université de Waterloo, était fou d’exaspération. On raconte qu’un jour il prit une bouteille de vin et vit sur l’étiquette 1 l avec une police de caractère telle qu’il crut voir 11. Introspectif et fiévreux, il s’interrogea pendant des jours dans le désert (d’autres disent à Ottawa): mais 11 quoi? La question était pertinente puisque la graphie de l’unité fut également à l’ordre du jour lors de la seizième Conférence générale des poids et mesures, en 1979 (résolution 6). À l’unisson, hormis ce sourd un peu déphasé dans le fond qui s’obstinait inutilement à grand renfort de «Mais pourtant elle tourne!», les scientifiques demandaient: «Hum, pourrait-on utiliser un L majuscule?» Question valable, bien sûr, et qui se serait réglée facilement n’eût été du fait que, tout amateur de nomenclature d’unités en usage avec le système international le sait, seules les unités nommées d’après un nom propre peuvent se prévaloir de la capitale abréviative.

Par exemple, soyons clairs, si on voulait employer le Tisseyre, unité qui qualifierait le degré de fascination d’un monde ou d’un univers sur une échelle qui serait à déterminer et qui pourrait même être logarithmique (on l’a fait pour le décibel, je n'ai rien contre), il faudrait statuer si Charles Tisseyre, l’homme qui rend tous les univers fascinants même dans l’adversité, possède un nom propre, auquel cas on pourrait utiliser la capitale. Par exemple, le fascinant monde de la civilisation étrusque: 2,4 tisseyre, soit 2,4 T ou t. Bien entendu, tu vois, on n’a pas encore statué. On n’est pas pressé d’ailleurs. Pour le litre, ce n’est pas encore tout à fait réglé.

C’est dans ces circonstances que la lumière se fit sur Claude Émile Jean-Baptiste Litre, homme qui avait le mérite de s’appeler Litre et d’ainsi permettre l’utilisation tant chérie du L sur les sacs de lait. Sa vie (1716-1778) fut celle d’un fils de fabricant de bouteilles de vin faisant carrière en perfectionnant et en standardisant éprouvettes et autres contenants de verre. Une vie dédiée à la calibration des liquides, vie qui inspire le respect. Tout ça pour l’amour des flacons gradués et des volumes liquides. Puis substantiellement pour l’argent et la gloire, mais juste en sous-texte.

Bon, tu t’en doutes un peu déjà, alors imagine après qu’on eut ajouté dans un article subséquent qu’il avait aussi eu une fille prénommée Millicent (qu’on surnommera affectueusement Millie pour créer un jeu de mots du plus bel effet)… bref, c’est une supercherie. Calembredaine et billevesée! Non, Litre n’a jamais touché à des flocons gradués de sa vie, principalement parce qu’il n’a jamais vécu, ce qui lui a aussi fait rater toutes sortes de belles occasions, mais c’est ainsi: l’existence avant l’essence.

Donc, cet existant Kenneth Woolner essentiellement coquin était au Château Laurier à Ottawa avec un ami, c’était un de ces soirs de scotch qui enchantent, et il s’est dit que le litre méritait son patronyme, son homme, sa majuscule, oui, double scotch, aubergiste.

Homme de principe qui ne renie pas ses promesses d’ivrogne, il rédigea et fit publier la biographie fictive de Claude Litre dans le numéro d’avril 1978 de la revue CHEM 13 News. Un canular était né, un petit poisson du premier du mois, tout mignon. C’était rigolo, mais peut-être un peu moins lorsque l’information finit par être intégrée à la sérieuse Collier’s Encyclopedia.

Oui, l’univers du litre est un univers... euh, fascinant.

Toute l’histoire est ici, et pas tant que ça ici, contrairement à ce qu’on pourrait croire.

27 janvier 2009

L’ironie là-dedans

Avec trois ou quatre histoires dramatiques à souhait qui faisaient intervenir des chicanes, des comptes gelés en haut lieu, des enfants éparpillés aussi je crois, et tout pour mettre la table à son argumentaire, la moitié du couple qui fabrique de l’estrogène y tenait: il fallait faire un testament. Elle insista. Je voulus m’enfouir, me cacher en petite boule sous les draps et ne pas y penser, mais je consentis. Ça doit être ça le romantisme moderne, s’offrir des testaments pour Noël.

Le rendez-vous fut donc pris chez le notaire du village, un vieux sage de la virgule et de la phrase complexe qui tient séance sur le bord du lac. Le vert aqua a encore ses aises sur les murs de la salle d’attente. J’ose croire que le tapis davantage sel que poivre et sel a son testament et ses codicilles prêts, ce serait indiqué, je ne crois pas qu’il lui en reste encore pour très longtemps.

La femme du notaire, assistante-réceptionniste-cafetière, naguère décoratrice du bureau, femme qui en sait sûrement plus que n’importe qui sur les actes notariés sans jamais avoir ouvert un livre de droit de sa vie, nous fait entrer dans la pièce attenante. Grande fenêtre, vue sur le lac blanc, gros soleil qui fait de l’esbroufe; ouais, belle journée pour diviser sa fortune entre ses enfants non nés et monter des algorithmes de suppositions. S’ils sont mineurs? Majeurs? Si nos parents sont décédés entre-temps? Si Xavier a 20 ans et que… Non, je te l’ai déjà dit, pas Xavier. Si on a un enfant roux?

La femme présente la stagiaire qui semble entourée de ses grands-parents, puis demande nos noms. Son moment préféré va débuter, elle tentera de faire tous les liens possibles pour arriver à une connaissance commune en partant de nos noms de famille avant de s’éclipser. Première déception palpable, ma copine n’est pas originaire de la région, elle accuse une distance de 315 km trop à l’est selon un itinéraire fourni à titre indicatif qui peut ne pas tenir compte des travaux, des déviations ou d’autres perturbations. Au départ, je la réjouis davantage, un nom propre assez commun dans la région et je score 31,5 km au test de l’itinéraire. La déception suivra, elle ne connaît pas mon père qui a eu le malheur de naître enfant unique. Non, désolé, je n’ai pas d’oncles dans la ville voisine. Mais elle est tenace, elle creuse un peu et trouve. Je crois qu’elle a un don ou des recherchistes.

La stagiaire a son carnet de feuilles lignées jaunes, elle fait une ligne au centre, ça va débuter. Ça ne s’invente pas, le notaire porte une veste de tweed et joint les mains: «On va commencer par le corps.» Euh… Je me tourne vers ma blonde avec l’air du gars qui se fait avoir en flagrant délit d’absence d’opinion sur la question. Suis-je pour les vertus de l’incinération? Ce n’est qu’un début. Advenant votre décès, à quel âge vos enfants devraient-il pouvoir avoir la pleine administration de leur héritage? Hésitation. Euh, quelles sont les tendances?

La femme du notaire est repassée à quelques reprises pour demander à la stagiaire si elle avait demandé si… Oui, elle l’avait demandé. Je me croyais chez ma grand-mère. Je m’attendais à tout moment à ce qu’on me proposât de vieux bonbons collés.

D’accord, mais le titre?

C’était un vendredi. Le mercredi suivant, j’échappais à l’épineux problème de l’emboîtage de voitures sur chaussée enneigée.

11 janvier 2009

Ces vœux qu’on n’attend plus et qui sont probablement trop longs

Comme j’ai passé une partie de la période des Fêtes à plancher sur du bois flottant dans un projet qui a fini par plafonner dans l’ultime placard (il manque une planche et trois quarts), je profite des soldes de l’Après-Épiphanie sur les vœux pour vous en souhaiter quelques-uns pour la nouvelle année qui est, je le sais, tout de même déjà un peu usée dans le coin.

Donc voilà, 2008 est reléguée aux oubliettes, bien blottie contre du prélart (membres de l’Académie, oui, j’aurais dû dire linoléum laid) usé arborant fièrement petites tulipes et croix gammées subliminales.


Svastikas qui jadis, lorsque j’étais jeune et fou, en 2007 je crois, me menèrent tout droit aux portes de l’enfer de l’humour douteux et me firent prononcer ces paroles devant une innocente enfant de moins de cinq ans: «Non! ne va pas dans la chambre à gaz!» C’est du passé, car bon, avec le dégoût du prélart laid non élu par nous et le prix du gaz qui ont beaucoup monté dernièrement, les choses ont changé et sont maintenant enfouies sous un fini de chêne retouché par ordinateur. Si vous êtes prêts ou non pour un petit jeu de mot bien plaqué au détour d’une phrase où on l’attend à peine, j’en profiterais pour dire que le prix du gaz a tellement augmenté qu’on n’utilise plus guère le verbe gazer qu’au passé simple dans les médias: Gaza, Gaza, Gaza. On (par exemple, Raymond Devos s’il passe dans cet État à feu en dépit de feu son état) peut aussi convenir qu’il est hardi de placer les mots guère et Gaza dans la même phrase, car on (h)amasse les jeux de mots. Quoi, vous plaidez pour une trêve?

Les Fêtes sont donc terminées, vous voilà bien embêtés avec la myrrhe reçue en cadeau, vous faites brûler de l’encens pour vous débarrasser de l’affreuse odeur d’encens, or vous ne savez pas trop encore si vous désirez vraiment faire des galettes aux Rois (toi qui suis habituellement les recettes, si tu n’as pas de rois sous la main, tu peux toujours remplacer par des tsars ou des barons, la différence sera subtile)(tiens, ajoute donc la myrrhe)(mets de la crème). Jasons un peu d’Épiphanie, car nous serions tentés (ah! la tentation) de croire que c’est une fête inventée pour satisfaire des lobbyistes de la fève, mais tout amateur d’étymologie grecque et de religion (par exemple, ce type avec un dictionnaire qui mange un kebab dans une église) vous le dira, c’est une célébration de manifestation, d’apparition et de révélation. En théorie donc, car c’est génial la théorie, ça a réponse à tout, même à ce qui ne marche pas dans la vraie vie (par exemple, en théorie, si tu cours très, très, très vite, tu reculeras dans le temps), on ne célèbre pas l’arrivé des rois mages à la crèche, on célèbre le moment où Gaspard a dit à Melchior: «Hé dude, l’étoile me parle! Il faut qu’on la suive, genre. Réveille Balth.»

Donc, voilà, grosse journée pour la manifestation, car ça va de la voix du Père qui joue au ventriloque avec un buisson ardent à l’apparition d’une colombe sur le Jourdain. Bon, malheureusement, ce n’était pas très avisé comme lieu de vol car la colombe a été tuée subitement par une roquette (et malheureusement pour cette colombe qui avait le cœur à rire – je le sais, je la connaissais un peu, elle est morte le sourire au bec, un jeu de mots sur Gaza l’amusait encore dernièrement – cette roquette n’était pas une sorte de salade et oui, d’accord, je comprends aussi que vous soyez surpris que la roquette soit allée aussi à l’est).

Ainsi, je m’en voudrais tellement de ne pas souhaiter si près de l’Épiphanie une bonne fête à toutes les Tiphaine (et leurs sœurs anglaises Tiffany qui font des lampes et qui reçoivent parfois Audrey Hepburn pour le déjeuner). Et aux Noël aussi, mais seulement s’ils sont arméniens. Ça j’avoue, c’est un peu étonnant, mais il paraît que les Arméniens fêtent Noël le jour de l’Épiphanie. Les Éthiopiens aussi, mais ça peut aussi être le 7 janvier, ça dépend s’il y a un Téléthon contre la famine le 6. Et pourquoi pas, je souhaite aussi une bonne fête à tous les gens qui sont nés.

Bref, après ne pas l’avoir été (bref), je vous en souhaite une bonne! Que 2009 vous offre le meilleur de ses forfaits, celui le plus adapté à votre personnalité, sans clause cachée.