24 avril 2007

Honte et chats sauvages

Tu restas quelques instants, dépité, à regarder la relique dans le fond de la chambre du fond du sous-sol, juste derrière le meuble aux soixante tournevis. Tu l’avais bien cachée, presque oubliée. Or, une délégation s’en venait envahir la place. Tu ne pouvais pas courir le risque de les laisser découvrir cette obscure source de déshonneur. Il fallait rapidement t’en débarrasser, et tu ne pouvais vraisemblablement pas la rouler dans un tapis et l’enterrer dans le sous-bois. Voilà, c’est que tu as une conscience environnementale. Et la récupération ne passe que le mardi; et encore là, la honte n’est pas écartée, bien que moins directe.

Il te fallut quelques instants pour te convaincre qu’il fallait la ramener là d’où elle venait. En fait, il te fallut rassembler courage et détermination afin de mener la tâche à terme. Tu devais t’en occuper. Toute la manipulation du monde serait insuffisante pour convaincre ta copine d’y aller à ta place. Tu étais seul maître de la destinée de cette chose infâme qu’un ami (à toi) avait amené chez toi.

Tu t’imaginais cet ami en train de rire à l’heure qu’il était. Il l’avait probablement fait exprès, en plus. Tu tentas de te convaincre que le maudire ne mènerait à rien. «Il faut apprendre à pardonner», qu’il disait, l’autre…

Quelques instants plus tard, tu claquas ta portière et sortis avec l’objet honteux. Tu pressentais le regard de tous, sournois, moqueur, hautain, mesquin, vis-à-vis de ce qui composait une extension de fort mauvais goût au bout de ta main droite. Puis là, vis-tu une mère cacher les yeux de son bambin?

Arrivé à l’intérieur, tu posas la caisse vide de Wildcat sur le comptoir de l’épicerie.

La caissière te tendit un dollar et vingt cents d’humiliation.

16 avril 2007

Intermède, travail, élections et tartuferies pascales

Jeune enfant, tu étais rarement aussi attentif devant le téléviseur qu’au moment où l’émission en cours était remplacée par une image figée avec un dessin en camaïeu peu inspirant et une musique d’ascenseur au mieux sirupeuse, sinon insipide. Il y avait là quelque chose de bien frappant pour ton jeune imaginaire réceptif.

Depuis, les intermèdes font partie de ta vie. Tu aimes les intermèdes (et qui sait, peut-être les intermèdes t’aiment-ils).

Ces temps-ci, il t’a semblé que la vie était un intermède. Ou encore une rame de métro que tu n’arrivais pas à rattraper. Non pas seulement que tu es en banlieue et que métro ici ne rime qu’avec tournedos (et rattraper des rames de tournedos, alors ça, on n’en parlera pas…), mais parce que parfois la vie, elle te fait faire plein de projets qui t’occupent tard le soir dans ton bureau dont les cloisons en vogue ces années-ci se portent aux trois-quarts de la hauteur du plafond.

Comme si ce n’était pas suffisant, tes paris électoraux n’ont pas tenu la route et tu fus forcé de céder trois dollars et quarante misérables cents au vainqueur, au troisième étage du bureau. Tu fus donc en mesure de comptabiliser ta défaite électorale. Un résultat d’élection qui a tout l’air d’un intermède lui aussi, avec ou sans la voix en arrière-plan des barres verticales pour annoncer «nous éprouvons présentement des difficultés».

Puis, épuisé, tu arrivas à Pâques, passas le vendredi à ramasser la poussière qui flânait en groupe derrière les sofas et sous les objets qui manquent toujours de mobilité, entre les va-et-vient à l’épicerie. Puis en attendant le Messie, tu t’évertuas à transformer ton estomac en laboratoire de lixiviation pour jambon, chocolat, sirop d’érable et pommes de terre.

Un intermède, disais-tu…

06 avril 2007

Petite revue livresque presque sans chichis, mais égoïste (partie 2)

Le temps groenlandais était figé. Alors, bien que l’expression ne tienne plus la route, disons que tu continues sur ton erre d’aller (si tant est que la vitesse résiduelle de ton navire n’est pas trop nulle).

Arturo Perez-Reverte, Le Tableau du Maître flamand
Tu espéras puis fus fort déçu. C’est un roman d’enquête un peu pompeux. Le début est somptueux et intelligent, puis on se lasse de tous ces dialogues entrecoupés d’incises aberrantes de futilité. On stagne pendant la moitié du récit à attendre qu’un expert des échecs découvre ce que n’importe quel lecteur ayant déjà touché quelques pièces a déjà compris, cependant que l’auteur nous décrit à chaque instant l’effet des volutes de la fumée de cigarette du personnage principal et la manière dont son verre est tenu. Il ne s’agit donc pas d’un livre sur un tableau et sur les échecs; c’est un livre sur les volutes de fumée de cigarette.

Paul Auster, Trilogie new-yorkaise (Cité de verre, Revenants, La chambre dérobée)
Ton plaisir crût en trois parties. Certains passages du premier livre t’assommèrent un peu mais tu y pris goût, le deuxième t’intéressa, et tu fus littéralement conquis par le dernier.

Kafka, Le Procès
Tu apprécias. La juxtaposition de la froideur du ton et de l’absurdité du fond, ça te plut bien.

Woody Allen, Dieu, Shakespeare et moi
Tu t’amusas. C’est un petit livre d’histoires brèves et de pensées, amalgamées. Un peu de cynisme, un peu d’absurdité, du vrai Woody Allen donc, et tu y trouvas ton intérêt.

Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être
Tu plongeas avec délectation. Tu t’en voulus sur le coup d’avoir trop longtemps cru que c’était un livre pour jeunes demoiselles timorées; il n’en est (évidemment) rien. C’est une histoire riche et marquante, avec une foule d’annexes réfléchies.

Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes
Tu fus subjugué. Tu adoras les liens, les ficelles, la trame narrative, l’étude comportementale. Tu conservas dans ton vocabulaire cette façon d’interpeller Ford, l’usage du terme pneumatique (en parlant des filles), et «Ciel! Prendrais-tu un petit soma?»

Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires
Tu trouvas parfois le temps long. Toutes les histoires sont bien écrites, tu aimas la polyvalence de l’homme. Mais, c’est un peu ignoble de l’avouer, Poe t’ennuya parfois. Toutefois, peut-être est-ce dû à ton flagrant manque d’intérêt pour les histoire de montgolfières?

Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Tu t’épris de la marquise. Tu l’as déjà dit, ça s’est passé comme ça, cette lecture. Maintenant, n’importe quelle séduisante jeune femme peut te parler des Liaisons dangereuses, tu t’en sortiras comme un dieu. Et même citer, si tu y tiens. Vite, un exemple: «On peut citer de mauvais vers s’ils sont d’un grand poète.» (Mais il ne faut pas abuser du «Comme disait Voltaire: "C’est ça qui est ça."»)

Groucho Marx, Les Mémoires de Groucho Marx
Tu satisfis ta curiosité. Alléché par le statut que tu octroyais à l’homme et par les œufs frits sur la couverture, tu achetas impulsivement. Mais bon, les pensées se sont faites un peu plus rares que prévues, et tu réalisas que si le titre était ainsi choisi, c’est qu’il pouvait peut-être réellement s’agir de mémoires. N’empêche, Groucho demeure quelqu’un dont tu apprécies bien le doigté en humour.

Stéphane Dompierre, Un petit pas pour l’homme
Tu apprécias. Lucie Laurier t’avait prévenu que c’était typiquement Plateau, un peu vide et à la limite du misogyne. Il faut dire que Lucie a joué dans Virginie, alors elle a des standards élevés… On parlera d’autre chose, la prochaine fois Lucie, d’accord.

Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe
Tu t’instruisis. Pour faire plaisir à Lucie Laurier, tu décidas de plonger ensuite dans quelque chose de grave, alors rien de mieux qu’un essai sur le sens de la vie, l’absurdité et le suicide avec Kierkegaard cité un peu partout. Ça te plut bien. On pourra en parler la prochaine fois, Lucie.

Jean-Paul Sartre, Huis clos (suivi de Les mouches)
Tu affectionnas l’un, l’autre t’indifféra. L’enfer par les autres, tout le monde l’expérimente un peu, et tu as bien aimé. Par contre, comme tu ne vends pas tous tes avoirs pour acheter du Jean-Sol Partre, quand bien même aurais-tu mal viré, Les mouches, avec ou sans vinaigre, elles ne t’ont pas attiré particulièrement.

Miguel de Cervantès, L’Ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche (tome 1)
Tu fus captivé, sans trop t’y attendre. Honnêtement, tu en avais douté lorsqu’on t’en avait parlé tout d’abord. Il fallut donc plonger. C’est un classique plein de dérision, un pastiche délicieusement ironique des romans de chevaliers qui faisaient la pluie et le beau temps à l’époque. Dans un autre ordre d’idées, la préface d’Aline Schulman sur la traduction est très intéressante (parce que oui, tu pousses la chose jusqu’à lire toutes les préfaces).

Georges Dor, Anna braillé ène shot (Elle a beaucoup pleuré)
Tu y songeas fort, à tout le moins. C’est un essai sur le langage parlé des Québécois, écrit à la fin des années 1990. Pour peu qu’on s’intéresse à la question, l’essai touche sa cible. Par contre, tu trouvas à maintes reprises qu’on ne ciblait pas les plus graves lacunes en se consternant ainsi de la mauvaise prononciation des pronoms et de la négation. Tu passas au moins une semaine à t’observer parler, guettant les pronoms, hésitant à toute les fois entre la diction de Daniel Pinard et celle plus naturelle où la négation fout le camp. Tout ça pendant le temps des Fêtes, ce qui occupa bien tes pensées pendant les réveillons.

Alors, voilà, comme disait Voltaire: «C’est ça qui est ça.»*

* Désolé, il n’y a aucune preuve dans Wikipedia que Voltaire disait une telle chose, mais ma grand-mère le disait si vous voulez accepter la substitution.