26 novembre 2006

Des cédilles et des hommes

Tu as décidé de te laisser convaincre par Blogger de passer à l’autre version. Il ne semblait y avoir que des avantages. Or voilà, un peu bêtement, dans tes anciens commentaires, François est devenu François. Et il n’y a pas de petite flèche bleue pour revenir en arrière magiquement. Tu n’as rien contre l’exotisme, mais là, ainsi dépossédé de ta cédille, tu te sens un peu marginalisé.

Tu te remémores avec nostalgie les efforts que ça t’a coûtés… Tu te revois en maternelle, lorsque tu signais ton barbeau bien agencé. Tracer ce grand C, imaginer un 5 dessous et retrancher la barre horizontale supérieure, mentalement, avant d’y aller au crayon, en tirant la langue de côté, en retenant ton souffle. Tu te rappelles aussi ce concours d’épellation en première année; la fois où tu avais triomphé de Catherine, en t’attirant le regard déférent et délicatement entiché de Cynthia (ou te comptes-tu des histoires?). On t’avait donné le mot garçon. (La classe retenait-elle son souffle?) Ta voix s’était élevée dans le silence respectueux. (Vraiment?) G-A-R-C-cédille-O-N. (Bon, et tu avais gagné quoi, un crayon?)

Tu redescends sur Terre.

Blogger n’aime pas ta cédille. Et tu n’as aucune idée de la manière dont tu dois t’y prendre pour la faire revenir à la vie. Alors, parce que tu n’as pas d’honneur lorsqu’il est question de problème informatique, tu demandes: «Quelqu’un a une solution miracle?» Au cas où…

21 novembre 2006

Sois authentique

Au salon du livre, dans une allée quelconque, tu as vu cette femme à une table derrière son livre. La bondieuserie nouveau genre pullulait, et il y avait presque une odeur de spiritualité cartonnée quand tu prêtais bien la narine. Tu trouves toujours que c'est une odeur qui fleure un peu l'arnaque. Bah, ça ne t'a pas jeté à terre; ce n'est pas comme si tu n'avais jamais remarqué qu'il y avait beaucoup de livres de cuisine sans sel (Le céleri est ton ami) et de guides sur la méthode Pilates (Un postérieur ferme en dix jours) dans les librairies.

Donc, ton oeil a glissé subrepticement (tu fais bien des choses ainsi ces temps-ci) vers le titre du livre et un neurotransmetteur a dit à ta bouche qu'elle pouvait sourire. Tu as oublié le titre exact et tu ne t'en veux pas du tout, mais tes souvenirs te laissent croire que c'était Sois authentique, ou Soyez vous-même, ou quelque autre titre du même acabit. Probablement le très attendu deuxième tome de Sois vraie.

Alors, à ce moment, tu t'es tourné (tu es devant car tu avances toujours un peu vite dans ces sections) vers ta copine et tu as dit: «Sois toi-même? Quelle hypocrisie: ses cheveux sont teints!».

Heureusement, bien qu'il y ait eu un peu de monde autour (c'était samedi), tu n'as pas reçu de coups de sacoches. Ça t'a rendu heureux.

19 novembre 2006

La marquise et le vicomte

Un jour, comme ça, il y a une fille qui te parle des Liaisons dangereuses. Tu sais que c’est de Laclos, que c’est un classique du roman épistolaire, alors tu te félicites de ta mémoire; tu n’as pas l’air trop con, ce qui est toujours ça de pris. Par contre, non, tu ne l’as pas lu. Oh, tu connais un peu le propos, mais rien pour en discourir et bien t’en sortir. Tu en es conscient, tu te sentirais un peu comme Rona Ambrose qui parlerait d’environnement…

Alors tu finis par chercher un peu. Et voilà que tu tombes sur ce site, et tu décides qu’ils ne vendront probablement pas ton adresse à des compagnies pharmaceutiques véreuses. L’idée est simple: tu recevras gratuitement les lettres par courriel, dans l’ordre chronologique, à partir du moment où tu t'inscris. Tu seras un intercepteur. Il y a eu une panne de courant et personne ne pouvait écouter Virginie; tout le monde s’écrira, tu recevras trois lettres ce matin-là. C’était la finale d’Occupation double à Versailles; la marquise de Merteuil ne t’écrira pas…

Bien sûr, il y aura cette semaine où tu seras parti et où tout s’accumulera. Tu seras un peu découragé en ouvrant ta boîte à lettres, parce que tu te diras que tu n’as pas tout ce temps-là devant toi.

Et il y aura cette fin. Tu t’inquièteras un peu parce que ça fera une semaine ou peut-être deux que tu n’as rien reçu. Ce serait désagréable qu’on te fasse faux-bond à la dernière minute... Mais tu recevras finalement la dernière lettre, et le mot final de l’éditeur. Tes liaisons dangereuses auront duré près de six mois.

Alors, si la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont vous titillent…

15 novembre 2006

Bilan groenlandais

Cher Groenland,

Alors, as-tu humé dans l’air pur le parfum de bilan qui arrivait au loin? Non, pardi? Tu n’as pas senti ça? Bon, ça va. Ce n’est pas exactement comme si je l’avais remarqué rapidement aussi.

Mais voilà, c’est que ça fait un an. Tu sais, le premier message dans une bouteille de format HTML qu’on lance au loin (enfin je dis lancer au loin, mais c’est plutôt comme faire débouler en bas des marches derrière l’écran)… Oui, voilà. Un an de je. Hochement de tête. Eh bien. Hum. Hum hum.

Donc, je n’avais pas l’intention de trop t’embêter avec ça, mais tu vois, parfois, il me vient des lubies de faire des trucs. Oui, je me sens comme un comptable plein d’imagination qui aurait le goût de faire des listes et des mises au point. Ouf! Que de frasques, oh! c’est qu’on ne rit plus là… Ça serait pas une petite gêne que je ressens tout d’un coup? Avoir des projets aussi farfelus, c’est bien moi.

En fait, c’est qu’en théorie (pour peu que des théories puissent exister à ce sujet) il doit bien y avoir des raisons pour faire tout ça par ici? Un an, ça doit être amplement suffisant pour en dresser une belle liste ordonnée? Même pas; je continue d’avancer en suivant la ligne floue de mes jours, sans m’empêcher de marcher sur les craques de trottoirs de mes jours. Sinon ça devient psychotique et ça ne rend pas les mères bien fières de leur petit gars. Mais en y songeant un peu, comme ça, au flou et au doute, je me suis dit que c’est beaucoup pour ça que je suis ici. Sans le doute, pas d’écriture. C’est vrai même pour les listes d’épicerie. Tu crois que tu vas peut-être oublier d’acheter les petits yogourts que ta copine aime tant? Voilà, tu écris «Petits yogourts pour Chérie» sur une feuille collée sur le réfrigérateur et tu te sens déjà mieux. Tu as une équation quadratique et tu n’es pas certain de la valeur de x? Tu sors ton crayon et, avec un peu de chance, ça se résout bien. Dans le doute, vois-tu, tu écris. Ipso facto, j’écris.

Faut pas se méprendre, c’est parfois très bien le flou. De toute façon, à quelque part, t’as toujours su que le binaire, ce n’était pas pour toi. Bon, je parle pour toi, c’est presque impoli. Ce n'est pas pour moi, donc. C’est le principe de la logique floue. Vrai ou faux, avec une certaine probabilité. Il me semble que cette seule petite dose de peut-être remet les choses en perspective.

Et si après le doute vient l’écriture, après l’écriture il vient quoi? La conscience? La sérénité? La paix dans le monde? Vrai, avec une certaine probabilité. C’est probablement ce qui fait que je ne me suis pas arrêté après le lait et le pain de ma liste d’épicerie.

Au fait, te dis-tu, pourquoi ne pas parler de ce site à tous tes collègues, à ta sœur et à la femme de ta maison? Et à ce voisin qui arrose son asphalte tout l’été en habit de bedon, et que parfois, pas trop fort, dans ta tête, tu t’avises de trouver un peu con? Pas de réponse. Un lobby du néant s’acharne sur la question.

Bon, il se fait tard, alors je te laisse à tes glaciers qui fondent trop vite.

Voilà. Et je renouvelle le bail.

09 novembre 2006

Orwell et les huîtres

Lorsque j’ai vu les caisses de bestioles, je me suis furtivement demandé si j’étais dans un dîner de cons. J’ai senti que le cours classique de trois ans qui eût été nécessaire pour apprendre à ouvrir des huîtres, hé bien, j’allais devoir l’improviser sur-le-champ sur le comptoir. Viens, petite huître toute croche, que je te malmène contre le deux sur quatre. Quels péchés avais-je commis qui nécessitassent un tel châtiment? Et à ce châtiment, ajoutons le fait que je devais les manger par la suite, quelque écailleuses qu’elles demeurassent Puisque oui, elles le demeurèrent, le citron n’ayant pas la faculté de dissoudre les morceaux de coquilles.

L’invitation avait été lancée à tout berzingue au bureau, le mercredi pour le vendredi. Sur un coup de tête, ma liberté pour la soirée étant acquise, j’avais acquiescé. Qu’impliquaient ces quelques huîtres entre collègues?

Nous fûmes quatre répondants, ou plutôt trois qui répondîmes à celle qui fit l’invitation. Donc, ce vendredi-là, trois employés et le patron du bureau (nul besoin de spécifier que je suis un employé et non le patron du bureau) se rendirent au vieux petit pub habituel pour triturer du mollusque.

Difficile soirée, moments embarrassants? Que nenni! La vérité est dans le vin (même quand il est blanc).

J’allais bien, tout allait bien.

J’aimais Big Brother.

05 novembre 2006

Parlons moteurs et bougies d’allumage

Certes, je ne caresse pas sa carrosserie coruscante, non plus que je n’embrasse son capot en inhalant ses bonnes vibrations et son aura suave. Dans une soirée, n’ayez crainte, je ne suis pas celui qui aime à discourir sur la puissance de telle marque de moteur et sur l’étonnant comportement de tel char lorsqu’on passe de la troisième à la deuxième vitesse à 120 kilomètres à l’heure dans une courbe. Je ne suis pas non plus ce voisin snob qui vous avertit que la dernière Audi décapotable, ouf! mais avez-vous vu la finition de l’intérieur du coffre à gants? Non? Juste pour ça, moi j’ai vendu la mienne.

Bref, au petit dam de mon père, je ne suis pas un vrai gars de char. Non, ce n’est pas moi qui vous dira qu’il faudrait changer votre timing belt et que le petit bruit qu’on entend là, écoute, c’est pas les gaskets qui sont lousses? Il faut mentionner que je suspecte mon père d’être capable de reconnaître et d’identifier les voitures (en précisant le plaque minéralogique et le code couleur de la peinture) par le son ou l’odeur. Je ne suis pas un cancre non plus. Je sais que le voisin, ce n’est pas une auto rouge qu’il a, mais telle marque et tel modèle. Et si je ne peux dire l’année avec précision, je sais que ce modèle-là ne se fait plus et que celui-là, bien, il est arrivé sur le marché il y a deux ans. Donc, ce n’est pas moi qui dirai à votre beau-frère que mon cousin a acheté une Toyota Accent Civic, ou que, en tout cas, c’est un ben beau char gris. Enfin, la base.

Mais, dernièrement, mon petit moyen de transport, cet habitacle où il me plaît discuter avec René Homier-Roy et fausser avec un peu tout le monde, hé bien, il se faisait vieux. Il devenait incontinent aussi. Bref, rien pour rassurer la belle-famille. En fait, je n’avais pas connu ce besoin difficile à cerner de rester chez mes parents jusqu’à 42 ans et de mettre tout mon argent sur une auto que j’embellirais (modifierais semble plus juste) jusqu’à ce que l’aileron arrière soit assez haut et pesant pour faire lever les roues avant. Ah, la joie que j’aurais eue après d’aller faire crisser mes pneus devant les bars et de m’attirer les plus jolies jeunes femmes en pâmoison! Hé non, moi qui ai un sens des valeurs douteux, j’ai éreinté mon vieux véhicule jusqu’à ce qu’il commence à me faire comprendre que c’est lui qui allait me quitter si je ne prenais pas l’initiative de regarder ailleurs.

Mais enfin, changer de véhicule, ça implique de fréquenter ces gens parfois peu fréquentables que sont les vendeurs de chars. C’est ce que je fis. Et comme je n’avais pas déjà en tête le numéro de série de l’auto que je voulais, ce fut un peu palpitant comme expérience. Le début a été difficile, mais je me suis finalement lancé. Que je remarquai la belle stabilité de celle-ci! Que je m’aperçus du caractère bruyant de cette dernière! Que je m’invectivai en réalisant combien celui-là était un char de pépère! Que je vis bien que ça, hé, c’était beige!

Puis la rencontre a eu lieu. Nous étions tous les deux prêts à passer à autre chose. C’était réciproque et sain, je le sentais. Ce fut réglé en une soirée, et maintenant, si je le souhaite, lorsque je lave la vaisselle, je peux lui jeter un petit coup d’œil par la fenêtre.

Nous allons vieillir ensemble, ma chérie.

Enfin, disons pour cinq ans. Après, il y aura des plus jeunes à reluquer, j’imagine