23 décembre 2011

J’ai des vœux groupés, si vous voulez

Je ne comprends pas pourquoi Josélito ne m’invite pas dans son train, celui qu’on prend toujours pour pleurer à Noël, pour me poser des questions indéterminées, mais en m’enjoignant de penser à des choses tristes ou émouvantes – qui rendent triste ou ému, ou heureux mais quand même nostalgique d’un bonheur conjugué au passé, ou qui impliquent autant que possible de l’émerveillement avec un cœur d’enfant. Il pourrait alors singer l’empathie en accolant ses mains baguée et asséner, comme on pulvérise du sent-bon à la lavande dans les salles de bains, des formules toutes faites empreintes d’un déterminisme naïf de livre de croissance personnel à rabais. On demande ça à l’univers. Josélito, dans ses temps libres, remplit sans doute beaucoup trop de formulaires de demandes à l’univers.

Moi je suis certain que c’est nocif pour la couche d’ozone et que ça sature les ondes hertziennes avant de s’écraser un peu partout. Cessez. Ce n’est pas dans le mandat de l’univers.

Le cas échéant, sans banquette rembourrée et sans intercalation d’images à la fois léchées et trempées dans le sirop sonore, je dois garder pour moi mes meilleures anecdotes de transsubstantiation de messe de minuit et de gâteaux aux fruits délaissés. J’erre l’âme en peine avec des souvenirs génériques et quelques pensées creuses, en me demandant dans les creux si Josélito aurait été jusqu’à prévoir Marie-Élaine Thibert comme invitée surprise. (J’ai le droit de faire ce s’il aurait, c’est un bon s’il aurait, ça arrive.)

Oh, attendez, je sens que je suis grincheux. Et ce n’est pas dans l’esprit épuré de Noël.

Oh, attendez, c’est donc pour ça que Josélito ne m’invite pas. Ça et possiblement l’autre détail: je ne suis pas une vedette de Radio-Canada.

Oh, mais c’est correct, pas besoin non plus d’aller à Une demi-douzaine de filles interchangeables le matin.

Je resterai donc ici pour vous transmettre des vœux du temps des fêtes. C’est de saison. Et j’ai justement un bel arrivage pour le solstice, sentez ça, y’a pas plus frais.

On m’a fait remarquer (oh, une foule, deux personnes qui se reconnaîtront peut-être) que j’avais pris une année sabbatique de vœux l’an dernier. Je profite donc d’un instant pour vous souhaiter de passer une belle année 2011. Mais comme je ne veux pas cumuler ce retard éternellement, je vous souhaite également des joyeuses fêtes et une belle année 2012, sans demandes spéciales à l’univers, sinon il fermera tous ses dossiers, fera une petite explosion de fin du monde pour satisfaire les Mayas et s’en ira big-banguer comme un tout neuf ailleurs où les habitants passent moins de temps à lui envoyer toutes sortes de requêtes ridicules en orbites, encadrées ou non par une industrie du larmoiement et de la pornographie de l’émotion dans les trains. Et je le comprendrais. Faites des souhaits, bien sûr; restez plein d’espoir, bien sûr. Mais n’envoyez pas ça n’importe où dans une couche quelconque de l’atmosphère. Les couches quelconques de l’univers sont pleines.

Ça fait beaucoup, je sais, deux années de vœux à recevoir en même temps. Mais vous êtes capables d’en prendre. J’ai coupé dans le gras. Et ce n’est pas très salé.

Le train josélitain par contre, c’est plus collant, plus difficile à supporter. Et c’est très sucré.

J’offre enfin une pensée à ceux qui rajoutent l’anniversaire de vieillissement personnel à ces temps déjà saturés de festivités. Vous vous reconnaissez.

Les autres, on ne pointe pas du doigt, c’est mal de rire des malchanceux.

07 décembre 2011

Un pont Champlain nommé désir

Il y a quelques mois, alors que nous étions au-dessus du fleuve pour aller parcourir l’autoroute 20 presque au complet, j’ai proposé le jeu d’auto suivant à ma copine (avant que le jeu ne devienne une question récurrente de soupers de groupe): que devrait-on faire avec le pont Champlain existant?

Ce n’était pas une question technique, pas un appel à recracher toute connaissance acquise à Découverte, sur l’univers fascinant de la dégradation de la précontrainte du béton, du renforcement des poutres de rive avec torons extérieurs et des effets pervers de ces raidissements tout frais sur la répartition des charges sur les chevêtres. Pas le moment pour préciser que ça prendrait vraiment un nouveau pont pour Montréal, attendu qu’après tout, il sera là, un peu plus loin en aval. Non, les règles du jeu sont simples: on fait quoi avec celui-là, le mal-aimé, l’éconduit sur lequel on ne veut plus conduire.

La question est tendancieuse exprès. Parce que plusieurs l’ont métaphoriquement déjà jeté à l’eau. On le détruit. On rase tout ça. Kapout. Pour certains, je parie qu’il n’existe déjà plus.

Sur le coup, les idées reçues sont surtout amusantes, vaguement cyniques; on s’en moque, on le voue aux gémonies, on le met au musée, on le vend en pièces détachées sur Internet, on en fait des ex-voto si le vœu de nouveau pont est exaucé.

Je dois alors avoir un esprit retors, parce que j’avais quand même une pensée en forme de double-fond, avec une sorte d’idéalisme rêvasseur bien entassé et un brin chiffonné tout au fond.

J’ose croire qu’il y a plein de choses à faire avec un vieux pont Champlain laissé-pour-compte. Qu’il ait atteint sa fin de vie utile selon la norme canadienne sur le calcul des ponts routiers, c’est une chose. Mais rien n’oblige à démolir la structure parce que ce cas de chargement là devient excessif. La structure existe, et elle devra assurément être entretenue jusqu’à ce qu’un nouveau pont soit inauguré, alors nous pourrions aussi bien en profiter après pour l’utiliser autrement.

Au risque de passer pour un rêvasseur convenu doublé d’un gérant d’estrade, le High Line Park de New York est un cas de figure notable. La promenade plantée de Paris, avec un départ sur le viaduc des Arts, est un autre bon exemple antérieur. La multitude de ponts habités qui ont été construits au fil des siècles peuvent également être listés. Toutes ces options engendrent des surcharges bien inférieures à celles prévues pour la circulation autoroutière alors éliminée.

Si Montréal est la ville de design qu’elle prétend être, celle qu’elle a convaincu l’UNESCO qu’elle était (peut-être en partie grâce à ses rues texturées arborant de jolis bas-reliefs inversés), y aurait-il moyen d’en profiter là particulièrement? Si même Lego s’y intéresse, pourquoi ne pas recycler l’idée d’Habitat 67 en version moins bétonnée, modernisée et allégée, avec des commerces, des logements et des bureaux, aux approches du pont, sur les travées près des extrémités et peut-être même au-delà sur le pont. La structure même du bâtiment pourrait peut-être servir de renfort en exosquelette du pont au besoin. Il ne reste qu’à imaginer le passage pour un espace public, une large bande cyclable et piétonnière, quelques lots verdis à souhait (et notons bien que personne n’insiste pour qu’on y plante une forêt de baobabs). Agrémentez de terrasses, d’un restaurant ou deux, d’un bar, comme vous voudrez. Parlez de signature architecturale si vous êtes assez hardi pour laisser glisser ça dans la conversation. Vous oseriez encore plus? Peut-être pourrait-on y caser une sorte de navette simplifiée, un moyen de transport léger sur monorail vers des arrêts d’autobus de part et d’autres.

Soit dit en passant, ça va, je ne suis pas en train de proposer tout bonnement d’y construire le CHUM et un amphithéâtre tant qu’à y être (même s’il paraît que ça marche à tout coup, un amphithéâtre). Je sais bien que tout ça doit se frotter à toutes sortes de vérifications comptables et techniques, selon les capacités résiduelles des divers éléments structuraux, selon les contraintes d’accès à respecter, selon les coûts qui peuvent être prohibitifs pour un paquet de renforcements qui pourraient s’avérer requis le cas échéant. Je sais qu’il s’agit d’une vision fragmentaire, méliorative même, d’un projet qui comporterait son lot de contraintes. Je sais que certaines travées seraient forcément à remplacer, soit. En fait, je crois qu’il serait possible d’utiliser dans ces cas-là des passerelles légères en acier là où c’est requis, bien moins larges que les travées existantes, en remplacement de la structure de béton condamnée. Cela dit, la démolition totale a également un coût qui ne relève pas de la pensée magique; et ça le dit clairement, après il ne subsiste rien.

Je sais aussi que sans les jolis montages financiers et quelques graphiques colorés en pointes de tarte, ça revêt une forte impression de grand déblayage de nuages. Alors je pressens déjà la tautologie qui ne justifie pourtant aucunement le refus d’envisager quoi que ce soit d’autre qu’une démolition totale dès que possible: Montréal n’est pas New York, Montréal n’est pas Paris ou autres classiques selon lesquels il y a pleins d’autres besoins urgents au Québec. Somme toute, je trouverais surtout dommage que toute la structure soit sacrifiée bêtement en raison d’un simple manque d’imagination. Dans cet esprit, il y aurait également lieu de lorgner l’estacade sous-utilisée un peu en amont.

Je ne prétends pas qu’il faille maintenir le pont Champlain à tout prix sur le respirateur artificiel, je n’ai pas ses radiographies affichées dans les fenêtres du salon, or il me semble être un excellent candidat au don d’organes. Alors je me demande simplement pourquoi nous n’en profiterions pas, ne serait-ce que pour en conserver deux bras bien revigorés, des quais regarnis, s’avançant vers le fleuve sur quelques portées à partir de chaque rive.