23 décembre 2011

J’ai des vœux groupés, si vous voulez

Je ne comprends pas pourquoi Josélito ne m’invite pas dans son train, celui qu’on prend toujours pour pleurer à Noël, pour me poser des questions indéterminées, mais en m’enjoignant de penser à des choses tristes ou émouvantes – qui rendent triste ou ému, ou heureux mais quand même nostalgique d’un bonheur conjugué au passé, ou qui impliquent autant que possible de l’émerveillement avec un cœur d’enfant. Il pourrait alors singer l’empathie en accolant ses mains baguée et asséner, comme on pulvérise du sent-bon à la lavande dans les salles de bains, des formules toutes faites empreintes d’un déterminisme naïf de livre de croissance personnel à rabais. On demande ça à l’univers. Josélito, dans ses temps libres, remplit sans doute beaucoup trop de formulaires de demandes à l’univers.

Moi je suis certain que c’est nocif pour la couche d’ozone et que ça sature les ondes hertziennes avant de s’écraser un peu partout. Cessez. Ce n’est pas dans le mandat de l’univers.

Le cas échéant, sans banquette rembourrée et sans intercalation d’images à la fois léchées et trempées dans le sirop sonore, je dois garder pour moi mes meilleures anecdotes de transsubstantiation de messe de minuit et de gâteaux aux fruits délaissés. J’erre l’âme en peine avec des souvenirs génériques et quelques pensées creuses, en me demandant dans les creux si Josélito aurait été jusqu’à prévoir Marie-Élaine Thibert comme invitée surprise. (J’ai le droit de faire ce s’il aurait, c’est un bon s’il aurait, ça arrive.)

Oh, attendez, je sens que je suis grincheux. Et ce n’est pas dans l’esprit épuré de Noël.

Oh, attendez, c’est donc pour ça que Josélito ne m’invite pas. Ça et possiblement l’autre détail: je ne suis pas une vedette de Radio-Canada.

Oh, mais c’est correct, pas besoin non plus d’aller à Une demi-douzaine de filles interchangeables le matin.

Je resterai donc ici pour vous transmettre des vœux du temps des fêtes. C’est de saison. Et j’ai justement un bel arrivage pour le solstice, sentez ça, y’a pas plus frais.

On m’a fait remarquer (oh, une foule, deux personnes qui se reconnaîtront peut-être) que j’avais pris une année sabbatique de vœux l’an dernier. Je profite donc d’un instant pour vous souhaiter de passer une belle année 2011. Mais comme je ne veux pas cumuler ce retard éternellement, je vous souhaite également des joyeuses fêtes et une belle année 2012, sans demandes spéciales à l’univers, sinon il fermera tous ses dossiers, fera une petite explosion de fin du monde pour satisfaire les Mayas et s’en ira big-banguer comme un tout neuf ailleurs où les habitants passent moins de temps à lui envoyer toutes sortes de requêtes ridicules en orbites, encadrées ou non par une industrie du larmoiement et de la pornographie de l’émotion dans les trains. Et je le comprendrais. Faites des souhaits, bien sûr; restez plein d’espoir, bien sûr. Mais n’envoyez pas ça n’importe où dans une couche quelconque de l’atmosphère. Les couches quelconques de l’univers sont pleines.

Ça fait beaucoup, je sais, deux années de vœux à recevoir en même temps. Mais vous êtes capables d’en prendre. J’ai coupé dans le gras. Et ce n’est pas très salé.

Le train josélitain par contre, c’est plus collant, plus difficile à supporter. Et c’est très sucré.

J’offre enfin une pensée à ceux qui rajoutent l’anniversaire de vieillissement personnel à ces temps déjà saturés de festivités. Vous vous reconnaissez.

Les autres, on ne pointe pas du doigt, c’est mal de rire des malchanceux.

07 décembre 2011

Un pont Champlain nommé désir

Il y a quelques mois, alors que nous étions au-dessus du fleuve pour aller parcourir l’autoroute 20 presque au complet, j’ai proposé le jeu d’auto suivant à ma copine (avant que le jeu ne devienne une question récurrente de soupers de groupe): que devrait-on faire avec le pont Champlain existant?

Ce n’était pas une question technique, pas un appel à recracher toute connaissance acquise à Découverte, sur l’univers fascinant de la dégradation de la précontrainte du béton, du renforcement des poutres de rive avec torons extérieurs et des effets pervers de ces raidissements tout frais sur la répartition des charges sur les chevêtres. Pas le moment pour préciser que ça prendrait vraiment un nouveau pont pour Montréal, attendu qu’après tout, il sera là, un peu plus loin en aval. Non, les règles du jeu sont simples: on fait quoi avec celui-là, le mal-aimé, l’éconduit sur lequel on ne veut plus conduire.

La question est tendancieuse exprès. Parce que plusieurs l’ont métaphoriquement déjà jeté à l’eau. On le détruit. On rase tout ça. Kapout. Pour certains, je parie qu’il n’existe déjà plus.

Sur le coup, les idées reçues sont surtout amusantes, vaguement cyniques; on s’en moque, on le voue aux gémonies, on le met au musée, on le vend en pièces détachées sur Internet, on en fait des ex-voto si le vœu de nouveau pont est exaucé.

Je dois alors avoir un esprit retors, parce que j’avais quand même une pensée en forme de double-fond, avec une sorte d’idéalisme rêvasseur bien entassé et un brin chiffonné tout au fond.

J’ose croire qu’il y a plein de choses à faire avec un vieux pont Champlain laissé-pour-compte. Qu’il ait atteint sa fin de vie utile selon la norme canadienne sur le calcul des ponts routiers, c’est une chose. Mais rien n’oblige à démolir la structure parce que ce cas de chargement là devient excessif. La structure existe, et elle devra assurément être entretenue jusqu’à ce qu’un nouveau pont soit inauguré, alors nous pourrions aussi bien en profiter après pour l’utiliser autrement.

Au risque de passer pour un rêvasseur convenu doublé d’un gérant d’estrade, le High Line Park de New York est un cas de figure notable. La promenade plantée de Paris, avec un départ sur le viaduc des Arts, est un autre bon exemple antérieur. La multitude de ponts habités qui ont été construits au fil des siècles peuvent également être listés. Toutes ces options engendrent des surcharges bien inférieures à celles prévues pour la circulation autoroutière alors éliminée.

Si Montréal est la ville de design qu’elle prétend être, celle qu’elle a convaincu l’UNESCO qu’elle était (peut-être en partie grâce à ses rues texturées arborant de jolis bas-reliefs inversés), y aurait-il moyen d’en profiter là particulièrement? Si même Lego s’y intéresse, pourquoi ne pas recycler l’idée d’Habitat 67 en version moins bétonnée, modernisée et allégée, avec des commerces, des logements et des bureaux, aux approches du pont, sur les travées près des extrémités et peut-être même au-delà sur le pont. La structure même du bâtiment pourrait peut-être servir de renfort en exosquelette du pont au besoin. Il ne reste qu’à imaginer le passage pour un espace public, une large bande cyclable et piétonnière, quelques lots verdis à souhait (et notons bien que personne n’insiste pour qu’on y plante une forêt de baobabs). Agrémentez de terrasses, d’un restaurant ou deux, d’un bar, comme vous voudrez. Parlez de signature architecturale si vous êtes assez hardi pour laisser glisser ça dans la conversation. Vous oseriez encore plus? Peut-être pourrait-on y caser une sorte de navette simplifiée, un moyen de transport léger sur monorail vers des arrêts d’autobus de part et d’autres.

Soit dit en passant, ça va, je ne suis pas en train de proposer tout bonnement d’y construire le CHUM et un amphithéâtre tant qu’à y être (même s’il paraît que ça marche à tout coup, un amphithéâtre). Je sais bien que tout ça doit se frotter à toutes sortes de vérifications comptables et techniques, selon les capacités résiduelles des divers éléments structuraux, selon les contraintes d’accès à respecter, selon les coûts qui peuvent être prohibitifs pour un paquet de renforcements qui pourraient s’avérer requis le cas échéant. Je sais qu’il s’agit d’une vision fragmentaire, méliorative même, d’un projet qui comporterait son lot de contraintes. Je sais que certaines travées seraient forcément à remplacer, soit. En fait, je crois qu’il serait possible d’utiliser dans ces cas-là des passerelles légères en acier là où c’est requis, bien moins larges que les travées existantes, en remplacement de la structure de béton condamnée. Cela dit, la démolition totale a également un coût qui ne relève pas de la pensée magique; et ça le dit clairement, après il ne subsiste rien.

Je sais aussi que sans les jolis montages financiers et quelques graphiques colorés en pointes de tarte, ça revêt une forte impression de grand déblayage de nuages. Alors je pressens déjà la tautologie qui ne justifie pourtant aucunement le refus d’envisager quoi que ce soit d’autre qu’une démolition totale dès que possible: Montréal n’est pas New York, Montréal n’est pas Paris ou autres classiques selon lesquels il y a pleins d’autres besoins urgents au Québec. Somme toute, je trouverais surtout dommage que toute la structure soit sacrifiée bêtement en raison d’un simple manque d’imagination. Dans cet esprit, il y aurait également lieu de lorgner l’estacade sous-utilisée un peu en amont.

Je ne prétends pas qu’il faille maintenir le pont Champlain à tout prix sur le respirateur artificiel, je n’ai pas ses radiographies affichées dans les fenêtres du salon, or il me semble être un excellent candidat au don d’organes. Alors je me demande simplement pourquoi nous n’en profiterions pas, ne serait-ce que pour en conserver deux bras bien revigorés, des quais regarnis, s’avançant vers le fleuve sur quelques portées à partir de chaque rive.

22 novembre 2011

Et parfois je parle de corpus littéraire à Marc Cassivi


Didascalie : Le ton, il est gentil. Je mettrais bien des binettes sympathiques, mais je ne trouve pas que c’est de très bon goût.

(Et ça va, je vous en veux moins maintenant pour La graine et le mulet. Pour crever l'abcès, j’ai eu la même lecture que Catherine Perrin dans la veine des chroniques «seul dans ma gang», le même jeu des attentes et le même rapport au film qui s’en est suivi, le même accroc par rapport à la complaisance de ce temps réel qui fait justement «tellement vrai, si réaliste». Une sorte de léger dépit aussi. Pourrai-je rester cinéphile quand même? Est-ce qu’on me jette hors du club? Tu ne respectes pas l’idiosyncrasie tribale, oust, va voir les Transformers maintenant. Moi qui avais compris depuis longtemps que la vie n’est pas toujours simple quand, pas encore très vieux, on ne comprend pas l’intérêt à porter à Jurassic Park. Bien, je vois, ils se sauvent des dinosaures, mais encore? C’est ce qui m’a chicoté dans la célèbre chronique (déjà ancienne, je sais). Pour La graine et le mulet, je ne suis pas l’illustration d’un schisme, mais d’une particularité. Je comprends l’idée du schisme, mais il est aussi dommage parfois de voir une particularité propre à un film nous faire basculer par l’assimilation dans l’illustration d’un schisme. Pour reprendre une idée de Pennac: Côooooomment peut-on ne pas aimer Stendhal? Si. On peut.)

(Fin du préambule.)

Rapidement, petite coquille: L’avalée des avalées, ça doit ressembler beaucoup à L’avalée des avalés, j’imagine (à moins que les subtilités n’y soient justement moins évidentes!).

Si je comprends bien, ça veut dire finalement qu’il faut les servir et les faire manger, les fameux légumes culturels? Cela étant dit, oui, bien sûr, je déplore sensiblement les mêmes lacunes aussi. Mais avec cette réserve: soyons clairs, le corpus doit avoir un spectre large.

On voit souvent les mêmes incontournables dans ces listes raccourcies, mais il y a matière à couvrir plus large. Aquin, Ducharme, Hébert, Miron, Tremblay. Ça semble aller de soi, mais je n’aime pas que tous les exemples donnés ou presque s’arrêtent là, ça me rend un peu craintif. On ajoutera parfois Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais. D’accord. Mais j’espère surtout qu’il y aura toute la latitude pour des professeurs qui voudraient mettre au programme Dany Laferrière, Les fées ont soif de Denise Boucher, Le fou de l’île de Félix Leclerc, qui iraient piger des extraits des Insolences du frère Untel, des Demi-civilisés, qui pourraient ratisser plus large (qui sait, peut-être aussi loin qu'en Ontario francophone ou en Acadie, avec des permissions spéciales et des ententes interprovinciales complexes, bien entendu!) qui feraient des liens, des parallèles, des mises en contexte. Pour éviter de reproduire l’enseignement mollasson des romans du terroir, pour éviter un prof qui n’en a rien à cirer de Bonheur d’occasion, mais qui le poussera, qui demandera de faire un bête résumé que bien des élèves copieront sur Internet, parce que c’est un des quatre livres sur la liste, point. Pour qu’on s’y rende à Nicolas Dickner, justement.

C’est un peu en parcourant le spectre de ce qui s’est fait ici qu’on réalisera aussi que la littérature étrangère ne veut pas seulement dire «étrangers» comme «ces vampires venus d'ailleurs». En étirant un peu, peut-être réussira-t-on à réduire l’analphabétisme dans la foulée. Lire ne sert pas qu’à lire des livres de vampires, qui sortiront de toute façon au cinéma, un après l'autre, comme on le dit autour de toi, pas vrai? Lire, ce n’est pas que pour les romans décatis que tu crois qu’on t’impose pour t’emmerder uniquement. Lire, ce n’est pas qu’un vœu d’idéaliste qui a deux fois ton âge, donc qui devrait cesser de ressasser ses histoires préhistoriques. Ça te sera utile, même si on se doute bien que bien peu deviendront férus lecteurs de Guerre et paix. Ça n’a jamais été le but, personne n’est dupe. Les ayants droit de Tolstoï ne nous en voudront même pas.

Il faudra évidemment aussi que les parents fassent la part des choses. De bien des manières évidemment, mais je me rappelle une anecdote en particulier. Fin de la troisième secondaire: Madame Lévesque nous fait lire Un ange cornu avec des ailes de tôle. Une mère, marguillier de la brigade des mœurs j’imagine, appelle à l’école. Je suis tombée sur telle page, et vous savez quoi? Michel Tremblay, il se masturbe! Bon, alors quoi, on le pousse à l’index? En fait, Madame Lévesque, pour un simple hapax, a préféré une réponse moins subversive: Madame, j’ai l’impression que vous n’avez pas lu le livre au complet. Je parie qu’elle avait raison.

Puis, tant qu’à faire, je me permets même de souligner ce qui est pourtant une évidence, même si ça pourra faire grincer des dents. Dans toute cette belle chrestomathie, il faudra bien songer aussi au fait que Mordecai Richler est un très bon, et même excellent auteur québécois.

15 novembre 2011

Scandale dans l'industrie de la construction

Bonjour,

J'ai lu sur votre camion que vous étiez spécialisés en dégoûts avec pépine...


C'est bon, si quelqu'un me fait part de ce genre de besoin, je vous recommanderai chaudement.

Faites-vous aussi des répugnances avec marteau-piqueur? Des répulsions avec tracteur?

D'accord, c'est noté.

09 novembre 2011

Six ans de mousse de lichen et d’eau fraîche

Cher Groenland,

Tu te rappelles peut-être que je suis vaguement comptable à mes heures (mais pas celles facturables, je tiens à le préciser, une réputation est si vite entachée – moi comptable, pfft, quand même), dans ma relation avec les dates entre autres. C’est une sorte de fatalité, j’imagine, quand tu fais partie du bilan exutoire net d’une mère comptable et d’un père comptable et professeur de comptabilité. Ma sœur a subi les mêmes sévices logico-mathématiques. C’est un sujet un peu tabou. D’aucuns croient dès lors que le plus difficile est de parvenir à accéder à une vie exaltante.

Bon, il arrive que d’aucuns n’aient pas vraiment tort. Mais ce n’est pas aussi beige qu’on le croirait d’emblée. De fait, ma mère a combattu les préjugés en propageant un rire très audible et communicatif. Comme ça, les gens ne pouvaient pas savoir immédiatement qu’elle était comptable. Elle milite toujours. Si vous entendez quelqu’un rire fort, songez que c’est peut-être un comptable qui bataille pour la cause. Nonobstant tout ça, il appert que cette relation épistolaire éparpillée et unidirectionnelle entre moi (Erik le Rouge pas roux et pas trop demi-civilisé, espérons-le) et toi (Groenland pas trop défraîchi, espérons-le) franchit à petit feu, sur la braise tiède, le cap des six ans. Comme j’ai fait la recherche, autant en profiter: je mentionne immédiatement qu’il s’agit de noces de chypre. Précisons que c’est le parfum, car je ne trouve pas le moment judicieux pour célébrer des noces d’île quasi-grecque. Je ne suis pas très calé en parfumerie, mais ma source m’informe que c’est une base de parfum dont l’ingrédient secret est extrait d’une mousse qui recouvre le chêne. Oui, nous sommes rendus à ce stade-là. Ça donne des parfums «puissants et persistants», qui ont connu un beau succès et qui sont présentement dans une phase de déclin que j’imagine très bien puissant et persistant. On me met aussi en garde contre l’abus: certains parfums présentement classés comme chyprés ne contiennent pas du tout la «composante aromatique spécifique».

Je résume: nous célébrons des noces d’une sorte de parfum qui sent pas mal fort et très longtemps, qui suscite de moins en moins d’intérêt, et dont on utilise l’appellation à tort et à travers. Hum. Splendide.

On s’en reparle.

Au fait, t’as encore minci. On te voit toutes les côtes. Je dis ça de même.

26 octobre 2011

C’est sûrement juste un hasard, mais…


… sinon je trouve que le gars qui a fait la mise en page de cyberpresse.ca ce midi a un sens de l’humour plutôt tordu.

29 septembre 2011

Si j'étais sur Twitter

Je dirais que le livre dont parle Pierre Foglia, pas Freedom, l'autre, ce serait Arvida. Et le film, disons En terrains connus.

Je serais une sorte de potineur patenté.

Mais je ne suis pas sur Twitter. Je serais trop dissipé.

28 septembre 2011

Je me souviens

On ne fera pas le décompte du nombre de fois où on a pu entendre dire que la devise du Québec était une grande farce, qui relève plus du pense-bête inopérant prôné par Le Secret que de l’antienne viscérale d’une nation.

Mais ça fait bien joli sur une plaque minéralogique, je ne dirai pas le contraire. On pourrait presque croire que ça incite à se rappeler où on a parqué son char. Déjà que l’invention du GPS a rendu caduque l’idée selon laquelle il faut savoir d’où on vient pour savoir où on va.

C’est tout de même un peu ironique.

Récemment, Troy Davis a été exécuté aux États-Unis. Quelle que soit sa culpabilité réelle, tant pis pour le doute raisonnable, tant pis pour la brutalité de la loi du Talion si peu amendée; il a été condamné à mort en Géorgie.

Juste comme ça, quelle est la devise de la Géorgie?

Réponse : Wisdom, Justice and Moderation.

Tout de même, les Géorgiens poussent l’ironie plusieurs crans trop loin.

10 mai 2011

Neuvième épître – des émissions pour vous mesdames à la maison (mais non, mais non)

Cher récipiendaire de chromosomes XY,

Encore pour couper court, même si on ne me croira plus: l’exercice initial date d’avant la chronique de Stéphane Baillargeon sur la madamisation et tout ce qui s’ensuivit, un très joli dérapage où la mauvaise foi m’a à la foi affligé et amusé. Succinctement, mais en plus de 140 caractères, j’aurais eu tendance à dire que j’adhérais au propos initial, que le choix du mot aurait eu avantage à être mieux explicité, cette madame-là en particulier n’étant assurément pas la femme en général, et que ça n’empêchait effectivement pas le pendant masculin d’exister. En tout cas, c’eût été dans mes suggestions de base dans la catégorie «Comment s’éviter un lynchage public pour misogynie et une contre-offensive biaise de Nathalie Petrowski». Ça a figé mon texte, j’ai résisté, j’ai laissé retomber la poussière.

Ainsi, tu n’as peut-être pas pu te faire une juste idée du sujet, parce que tu étais facilement occupé à te faire ta propre sélection pour jouer à Des chiffres et des lettres en enlevant à l’envi les carrés de mousse de polypropylène (ou autre matériau au nom scientifico-exotique) par terre, avec une prédilection pour le 8 et le B, alors voilà: les émissions télédiffusées le jour, eh bien, je ne suis pas du tout dans leur public cible.

Étude sociologique maison de la télévision de jour, de basse définition avec câble analogique de base: des hommes et des kiwis qui végètent en humant des courges, des lionnes qui rugissent mollement, beaucoup de filles le matin qui parlent à d’autres filles le matin, de la cuisine engluée de trop d’onomatopées et d’autosatisfaction quand on sort le spécimen précuit du four, des émissions qui vasouillent sur le sujet épineux du midi, d’autres qui dissertent rhumatisme et ostéoporose, pendant qu’ailleurs on reconstitue des attaques d’animaux dangereux avec voix en français décalée sur l’originale et qu’on filme des gens qui font des gâteaux ou qui se pâment en disant yes to the dress. Et à travers tout ça, vraiment, qui sélectionne les films qui passent en journée?

Ces émissions, je les ai rapidement escamotées, puis j’ai trié sur le volet, repéré quelques émissions que j’aimais bien parce qu’elles s’écoutaient comme des émissions de radio (être devant la télé était un luxe), mais sans la paris-matchisation matinale ou les conseils qu’apporte supposément l’après-midi dans le choix d’un bon presse-ail ou de la meilleure paire de mitaines pour le four (sujets fictifs?).

En fait, j’avais découvert qu’écouter Visite libre se conjuguait mal à la préparation de purées. Lorsque l’animateur précisait qu’on voyait ici la magnifique porte cochère d’origine, splendidement mise en valeur par… j’étais piqué au jeu, je lâchais la cuillère de bois dans les pommes, il fallait que je la voie cette porte cochère, vite, je n’avais jamais eu autant le goût de voir une porte cochère, et j’accourais devant la télé, souvent pour découvrir qu’on était maintenant passé dans une nouvelle pièce de gypse blanc avec une grande fenêtre et vue sur le lac, alors qu’on m’invitait à m’extasier sur la luminosité et la sérénité de la pièce. Non, désolé, moi c’est la porte cochère que je voulais voir.

De la même façon, j’ai écouté des films (enregistrés)( j’ai découvert que Radio-Canada programme souvent des films que je veux voir durant la nuit, le samedi et le dimanche; je présume donc que nous sommes seulement 32 à vouloir les voir)(et que Marc Cassivi les a déjà vus, donc 31) que j’ai à peine regardés, ce qui ne rend certainement pas hommage aux cinéastes, mais qui permet à tout coup de découvrir la pauvreté d’un dialogue ou l’utilisation surabondante de scènes muettes enveloppées de musique générique. Ça souligne aussi quelques codes du cinéma, jeu qui se fait pareillement sans bébé et que je recommande concomitamment à la peinture d’une salle de bains. Tant que l’holographie cinématographique n’aura pas été perfectionnée, du moins.

Sur le tard, j’ai même découvert qu’en se rendant au poste 47 (alors même que c’est un accident de télécommande qui m’avait fait découvrir que ça montait jusqu’au 39 il y a quelques mois, même s’il n’y a rien entre 20 et 39), le Canal Savoir présentait des reprises d’Apostrophes et de Contact le jeudi matin. C’est un concept très étonnant qui disparaîtra probablement bientôt: deux personnes qui se parlent, longtemps. C’est comme ça, je trouve amusant d’écouter Stéphan Bureau prendre son ton emphatique: «En utilisant des mots que je souhaite très précis et évocateurs à la fois, je vais m’appliquer à formuler une phrase interrogative grammaticalement parfaite en y glissant quelques inflexions un peu compassées, et tout cela donnera lieu à des moments d’échanges célestes dont nous nous sustenterons intellectuellement.» C’est un style.

Apostrophes, c’est encore plus particulier, puisque Marguerite Yourcenar, par exemple, se fait autrement plutôt rare à la télé dernièrement (et pas seulement parce qu’elle est décédée). Ayant lu L’Œuvre au noir cet automne après qu’on me l’eut recommandé, preuve que je ne suis pas craintif et que j’ai une endurance certaine pour le style empesé (j’imagine que Yourcenar considère que Grevisse fait parfois preuve d’un laxisme grammatical déplorable)(elle détesterait assurément ces parenthèses impromptues)(tant pis, je suis un fildefériste de la grammaire, j’assume, oh, je sens que je perds pied, mais non), j’avais remarqué un passage qui me semblait un peu plaqué, où elle expliquait avec des incises bien virgulées que Zénon respectait les animaux et mangeait des plantes. Zénon, si je peux te résumer le livre rapidement, c’est une sorte de Joël Legendre avec une surdose de libre-arbitre au Moyen-Âge, qui ferait de l’alchimie plutôt que d’animer un jeu-questionnaire tiédasse, puis qui ne ferait pas de claquettes et qui n’imiterait jamais Céline Dion. Donc, Bernard Pivot, l’homme des dictées, lui lit exactement le passage que j’avais remarqué (j’imagine que Marguerite l’écrit alors sans fautes) et il lui dit qu’il a bien l’impression que ce mode de vie de Zénon, ce pourrait être celui de Marguerite Yourcenar. Elle fait un petit sourire malicieux avec les yeux qui brillent, puis elle acquiesce; mais oui, mais oui, cela est bien vrai. Et Bernard de sourire, de faire ha! ha! vous voyez, je m’en doutais! J’étais content, moi aussi monsieur Pivot, moi aussi je m’en doutais, on l’a bien débusquée, hein! Puis Marguerite Yourcenar lui confie qu’elle aime bien, de temps en temps, un bon sandwich au jambon, si je me rappelle bien. Mais ça va, je ne suis pas Christiane Charette, ça n’aurait pas été mon point de départ si je m’étais entretenu avec Yourcenar. «Alors, Marguerite Yourcenar, célèbre écrivain-pas-de-e, première femme à l’Académie française, oh, j’ai appris ici que vous aimez les sandwichs au jambon, pouvez-vous nous en parler?»

Puis dernièrement, si on veut bien revenir à la substantifique mélasse de la madamisation, il y avait une citation accablante dans une chronique d’Hugo Dumas, qui annonçait l’arrivée de la chaîne Mademoiselle: «Mademoiselle aime la vie. C'est une chaîne positive, une chaîne un peu bubbly qui célèbre la femme contemporaine d'ici», précise Denis Dubois.

Misère, et on la célèbrera avec des émissions bubbly sur le gloss en vogue? Gloss qu’il faudra probablement assortir, pour le meilleur effet, à la beauté intérieure de la madame (qui rayonne madame, qui rayonne).

23 mars 2011

Huitième épître – un haïku sur l’épicerie n’est pas coutume

Cher non-Japonais-jusqu’à-preuve-du-contraire (par preuve du contraire, tu vois, j'entends qu'au début je ne considérais pas Dany Laferrière comme un Japonais),

De but en blanc, s’il te prend des envies d’archivistique et de recherches pour trouver des recoupements, je coupe court: il n’y a pas de lien avec le séisme qui s’est produit récemment au Japon (et encore moins avec la chiquenaude sur bouclier canadien de la semaine dernière). C’est un exercice d’heure de dîner antérieur aux secousses et où la prescience avait bien peu à voir. Puis ça ne parle pas de tremblement de terre du tout, en fait. Et avec tout ce prologue qui ne devait pas être là, comme une pédale de frein pour pas grand-chose, tous les risques sont là pour que tout ça tombe maintenant simplement à plat. Quoique ce soit un peu le risque avec les tremblements de terre, pourrait-on argumenter.

Donc, j’introduis un retour en arrière avec fondu au blanc: ça remonte à l’époque où nous allions faire l’épicerie pendant la semaine, le jour. Faire des courses était littéralement l’expression qui convenait. Alors, peut-être que c’est juste une impression qui s’explique par le fait qu’il y a moins de monde, donc moins de bruit ambiant, et que ceci explique cela parce que tout est dans tout, mais permets-moi de partager à l’aide d’un haïku interro-évanescent cette impression fugace et un brin étonnante qui m’enveloppa tendrement dans l’allée des conserves ou des pâtes alimentaires.
Jour, épicerie
Plus de vieux et c’est moi ou…
Musique plus forte?
Note au passage que j’ai utilisé le jour comme kigo étant donné que pleine lune fait parfois l’affaire, mais si tu veux contester, ça ne me dérange pas particulièrement que tu considères plutôt cela comme un muki-haïku. Qui plus est, ne te scandalise pas pour vieux, c’est tout gentil, et je n’aurais pas réussi à respecter le nombre de syllabes requises avec dignes représentants du bel âge. De toute façon, les haïkus en français font rarement l’unanimité; on n’en tirera pas ici une grande japonaiserie.

Et plus prosaïquement, j’ai dit plus forte, pas meilleure.

09 mars 2011

Septième épître – le retour au travail

Cher sauf-conduit pour le congé parental,

Voilà, j’ai sauté un bon chapitre, mais toute bonne chose a une fin, comme le dit le philosophe anonyme souvent cité. C’est ce qui explique que c’est à notre tour de te réveiller tôt et que le matin prend désormais des allures de sprint, d’où la raison de ces céréales que tu ingurgites avant même d’avoir les yeux complètement ouverts. Quoi, c’est ça la vie normale, ce rythme-là? Mais avant, tout ce beau leurre, les trois mois de matinées au tempo adagio, à mâcher le toutou bleu laid dans le salon en essayant de résoudre le problème des tours de Hanoï, autant que possible en xN–1 coups (où N est le nombre de disques)? Hé oui, c’est ça qui est ça, et pendant qu’on y est le père Noël n’existe pas non plus, faudra t’y faire.

Fini donc, notre quasi-solipsisme maison; il faut maintenant sortir de la tanière (ni sombre ni misérable, ne t’inquiète pas) pour autre chose que les promenades en traîneau et le ravitaillement, voir si mes dossiers se sont fossilisés au travail, effacer 200 messages électroniques accumulés, et replonger dans les froides eaux torrentielles.

Alors, laisser choir une bordée de neige par-dessus tout ça le matin même où il fallait s’y lancer, disons que les météorologues auraient pu y renoncer. Ce n’est pas très coopératif.