21 mars 2007

Petite revue livresque presque égoïste, mais sans chichis (2006, partie 1)

Tu le sais bien, c’est le genre de billets que les gens peuvent facilement abhorrer, mais tu ne t’arrêteras pas pour des considérations aussi altruistes. En plus, joli prétexte, c’était la journée internationale de la Francophonie mardi… et on permet aussi à Vincent Vallières d’écrire une dictée sur les impôts, les accises et les plus-values... Voici donc, en avance en considérant cette perspective-ci, ta déclaration d'impôts livresques 2006.

Donc, en 2006, entre les sagas de Cent ans de solitude et de Don Quichotte (rassemblant à elles seules la majorité des personnages croisés en un an de lecture), tu feras un bref (hum…) tour de piste en essayant de ne dire que quelques mots sur chacun des livres lus, certains excellents, d’autres décevants, intéressants ou casse-pieds. Parfois, voudrais-tu dire, lorsque les livres sont simplement bons, il ne faut pas non plus les lire en tentant de trouver à chaque phrase des traits de génie, à l’affût de ce que ceux qui te les ont conseillés ont jugé excellent ou à la recherche des raisons qui ont fait qu’une œuvre a passé à la postérité. Était-ce cette phrase-ci? A-t-il aimé ce passage? A-t-elle trouvé cette métaphore inventive? Mais enfin, c’est ce que tu fais tout le temps et tu aimes bien ça ainsi; alors pour les grands conseils de sagesse, on repassera…

Gabriel Garcìa Màrquez, Cent ans de solitude
Tu aimas. C’est dense et volumineux, avec plusieurs couches et un arbre généalogique de personnages sublimement touffu. Ça tient plus du roman fleuve qu’à l’idée que tu t’en étais forgée, mais l’atmosphère t’a charmé.

Martin Page, Comment je suis devenu stupide
Tu souris. L’idée de départ t’a attiré: devenir heureux en découvrant les vertus de la stupidité. C’est humoristique, très court, ça passe très vite et fait sourire. C’est l’objectif et il est atteint.

Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans
Tu dois admettre avoir aimé. Le titre le dit: thèse selon laquelle l’amour dure trois ans. Beigbeder est parfois exaspérant, mais il a le sens de la formule, de la concision et de la tape sur la gueule.

Dennis Lehage, Mystic River
Tu aimas bien. C’est un bon roman policier efficace. Les personnages sont très bien décrits, l’histoire est fluide, le ton est juste.

Hubert Aquin, Prochain épisode
Tu tiquas. L’incipit est célèbre, la forme travaillée et le message dense, mais ce ne sera pas un de tes livres phares. Une veilleuse tout au plus.

Massoud Al-Rachid, Noir destin que le mien
Tu soupesas longtemps. Tu passas beaucoup de temps à tracer des parallèles avec le Candide de Voltaire, ce qui a constitué l’essentiel du plaisir que tu en as tiré étant donné que tu n’es pas vendu à Jean Leloup, corps et âme et jugement. «Un peu mince», dis-tu en tentant d’éviter les lapidations.

Hubert Aquin, L’Invention de la mort
Tu embarquas. Il y a là l’annonce de quelques thèmes de Prochain épisode, puis la solitude, l’amour distancié avec Madeleine, et enfin le chemin tortueux (dans tous les sens) qui mène au barrage de Beauharnois par la route 132.

Nicolas Dickner, Nikolski
Tu aimas bien. Tu avais accroché en lisant le début ici, en raison des images et de la souplesse de l’écriture. Tu ne fus pas déçu. Attention, peut donner le goût de boire du rhum.

Michael Connelly, Le Poète
Tu eus ce que tu attendais. Roman policier énergique, avec la course contre le méchant en bonne et due forme, le doute qui pèse sur tout le monde et l’intrigue bien ficelée; dans le genre, ça répond tout à fait aux attentes. Curiosité technologique avec le recul de quelques années: dans certains passage, l’auteur explique ce qu’est une caméra numérique.

Matthieu Simard, Ça sent la coupe
Tu essuyas ta déception. L’histoire est simple, le style n’est pas désagréable; c’est bien mais tu avais mis la barre au-dessus de ce que ça atteignit, ce qui laisse toujours un goût fade. Il faut dire aussi que tu n’aimes pas vraiment le hockey, mais tu persistes et signes: ça n’y change rien.

Boris Vian, L’Écume des jours
Tu le savais déjà, mais tu aimas d’un amour sectaire. C’est un vrai bonheur de lecture, une histoire à la fois légère et dense dans une atmosphère où tout participe à l’action; les personnages principaux et secondaires autant que les murs de l’appartement, le climat extérieur autant que les animaux domestiques. De plus, la fin de ce roman, tu la considères toujours comme une des mieux écrites et des plus marquantes que tu aies lues.

Eric-Emmanuel Schmitt, La Part de l’autre
Tu fus intrigué, parfois agacé, mais satisfait. L’idée de départ est tentante: la comparaison des vies d’Hitler, telle que vécue et telle qu’imaginée s’il avait été accepté aux Beaux-Arts. Schmitt martèle parfois un peu trop, se permet des improbabilités qui font sourciller, mais c’est une histoire somme toute captivante.

À suivre.

13 mars 2007

La mort d’Onan

Onan est décédé.

Le souffle un peu court, il inclina sa carène au fond du gouffre, immuable bocal à l’eau un peu trouble. Onan, celui des derniers jours, lors de son chemin de croix, avait l’œil globuleux et comminatoire devant les livres bien alignés sur la tablette et devant la télévision où ne jouait pas assez de National Geographic à son goût.

L’amour et la nourriture sèche malodorante que tu as saupoudrés au-dessus du bocal n’y ont rien changé. Il n’était plus heureux comme un poisson dans l’eau, ce qui lui fut plutôt fatal, parce que, enfin, c’est bien difficile pour un poisson rouge d’en faire abnégation.

Il s’est donc laissé choir, en gonflant ses branchies devenues bistres. Tu l’accompagnas dans son calvaire, avec ce qu’il fallait d’empathie.

Puis tu regardas autour de toi: les plantes vertes jaunissaient devant la porte vitrée; les meilleures jours de la violette africaine semblaient derrière elle; même le bambou, en général si résistant et si peu sensible aux aléas du froid et de l’ensoleillement, avait interrompu sa croissance et pâlissait journellement.

Désolé, Onan. J’ai fait de mon mieux.

Tu disposas d’Onan, arrosas les plantes, approchas les pots des calorifères et des fenêtres. Mais sur le soleil et la température, tu as bien peu d’emprise.

01 mars 2007

Les abandonnés (lauréats)

Didascalie: Pendant qu’une blonde sulfureuse dans une robe à paillettes se tient à tes côtés avec une statuette polie dans les mains, tu ouvres l’enveloppe, retiens ton souffle, puis déclares: «Voici les lauréats. Puis je sais, vous les avez déjà trouvés.»

J.K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers
(Oui, bon, ça ne marche plus pour le jeu de lettres: qu’on te pardonne cette mauvaise préparation qui bousille un peu les choses pour ce titre-ci. Cette idée de traduire n’importe comment, aussi! Et puis, ce sont des livres abandonnés, alors tu as droit à l’erreur; ce n’est pas comme se tromper en cherchant le nom de sa mère.)
Tu as lu la moitié du premier tome, que ta sœur en pâmoison recommandait depuis quelques mois déjà. Peu réjoui, tu le mis de côté sans jamais y revenir. Tu en voulus même un peu à ta sœur. Tu serais (ou aurais) un enfant de dix ans, ton intérêt pour le livre pourrait être différent (dans le sens d’existant). Ce n’est pas le cas, tu peux donc opter pour l’abstinence, mais peut-être tenteras-tu de finir ce tome pour soulager ta conscience gnostique (pour ne pas dire ta gnostique de conscience), et pour ne pas risquer de perdre une partie de n’importe quel jeu qui demanderait d’expliquer comment finit (bien, sans doute) le premier tome d’Harry Potter (alors que simplement te remémorer le titre en français a été ardu). Mais, (tu sors le surligneur) hors de question d’embarquer dans la croisière pour sept tomes d’aventures que tu juges déjà fort similaires.

Marc Fisher, Le Millionnaire
Horreur et damnation! Tu l’as pris (et non pas acheté) par hasard, il y eut une robuste méprise, et tu ne t’aventuras pas bien loin. Ce que tu retins de ce livre fut l’histoire d’un auteur qui cherchait trop un style à tout prix, pour appuyer sa belle morale bien grasse. Un style vif, rapide, qui force le lecteur à lire très vite afin de transformer la vacuité du roman en pseudo-révélation sur les choses de la vie. Un style qui permettrait à son auteur de déclarer qu’il sait comment écrire des livres accrocheurs et que tous peuvent l’écouter pour qu’il délie sa sage langue et leur donne la bonne recette du succès. Un jour, peut-être te fouailleras-tu pour le lire au complet, mais ce sera avec toute la mauvaise foi que tu seras capable de contenir, comme certains s’adonnent à l’automutilation ou s’affligent en écoutant Stéphane Gendron à la radio. Ah! non, tu ne peux pas croire que tu feras ça.

Stendhal, Le rouge et le noir
Objectivement, tu te convainquis que cet abandon était temporaire. Entamé lors d’un creux de lecture, tu savais que ce n’était pas le genre de livre que tu avais le goût de lire à ce moment-là. Ce qui devait arriver arriva: Julien de Sorel eut seulement le temps de traverser une quarantaine de pages avant que tu ne fisses de lui un laissé-pour-compte, dans un endroit décrit avec moult détails (tu as encore les pierres du mur de soutènement en tête), au moment où un autre livre te fut prêté. Tu replias donc ton vieil exemplaire jauni aux encoignures usées, lecture forcée de ton père pensionnaire pendant son cours classique. À l’intérieur de la page de garde, sa signature adolescente y est inscrite, toutes lettres bien calligraphiées (graphologie que tu n’aurais pas cru possible de sa part avant de tomber sur le livre dans le sous-sol parental). Ne serait-ce que pour cette raison, un jour tu permettras à Julien de continuer son existence à présent figée au haut de ta bibliothèque, juste au nord d’À l’est d’Éden de Steinbeck.

La blonde sulfureuse fit alors un faux pas, son talon cassa, et le trophée poli alla s’effondrer sur le plancher.