03 juillet 2013

Portrait parisien – Édith Piaf

Sur sa tombe, Édith Piaf offre en guise d’épitaphe:
Dieu réunit ceux qui s’aiment.

C’est curieux, tant qu’à choisir dans cette chanson, j’aurais pensé qu’elle aurait privilégié:
Je me fous du monde entier.

Ou bon, de façon plus géographique:
J’irais à l’autre bout du monde.

Ou, pourquoi pas, si elle était mal prise:
Je me ferais teindre en blonde.

03 juin 2013

Portrait parisien – la serveuse à qui j’ai demandé du beurre (un classique revisité)


Il y a cette serveuse, à qui j’ai pointé le pain, et ajustant automatiquement l’accent en voyant venir la difficulté linguistique qui se déguise si souvent en cliché, visant le français international, un compromis à mi-chemin entre le québécois et le parisien, disons pile sur la dorsale médio-atlantique, une prononciation que déjà je n’aurais jamais assumée à Montréal: je pourrais avoir du beurre? Je trouvais le eu déjà bien moins écrasé, les r qui prenaient déjà trop de place, le mot un peu trop étiré.

Elle prit son air de top-modèle qui ne comprend pas ce qu’on attend d’elle dans la séance photo, avec une touche de souci qui tirait sur son sourcil favori et par extension sur ses cheveux blonds bien lissés: mais pourquoi donc ce type demande du jeune d’origine maghrébine né en France de parents immigrés. Enfin, du beur? Pour mettre sur son pain? Non vraiment, je cherche, je ne vois absolument pas ce qu’il pourrait bien vouloir mettre sur son pain.

Avant qu’elle tombe en asthénie cérébrale, je récidive en parcourant une autre moitié du chemin linguistique. Je ne sais où j’ai pu atterrir. Du b(itsi-bitsi-petit-mini eu)rrr(mais pas roulés, les r, non, ni grasseyants, juste gracieusement étirés, aériens, faut que ça flotte, diaphanes, ouais, misère), s’il vous plaît.

Elle s’illumine, se félicite de sa capacité à traduire le pseudo-français du coureur des bois en bon français de la métropole.

Ah, oui, du beurre!

22 mai 2013

Portrait parisien – le vendeur de vin qui éduque ces gens venus d’ailleurs


Il y a ce liquoriste obséquieux qui, lorsque je lui ai demandé s’il avait de la crème de calvados, croyait à peine que ça puisse exister pour vrai même si je lui avais dit que ma copine en avait déjà rapporté de Normandie. Je suppose qu’il a cru qu’on nous avait bernés. Puis il m’a proposé de goûter à un vin blanc très intéressant, en me le décrivant comme on donne un cours magistral, avec moult détails, mais sans cacher complètement son air vaguement ennuyé, en prenant le ton qu’il faut pour parler à des gens gentils, certes, mais un brin demeurés.

Il assoit son autorité, celle de celui qui sait détecter les notes de groseilles dans les compositions uvales. J’admets que j’ai eu à ce moment l’impression de passer un test que je savais ne pas être en mesure de réussir brillamment.

C’est une sorte de bastion personnel contre l’embourgeoisement; je refuse en bloc de jouer au golf d’une part et de me faire surprendre à dire des niaiseries en faisant comme si je maîtrisais le vocabulaire de la dégustation du vin, où chaque épithète semble être un piège à con et chaque gorgée une invitation à composer des sonnets d’appréciation qui vous y précipiteraient à toute vitesse. Mais j’aime quand même le vin, d’une appréciation qui demeure sobre. Là je sentais qu’il voulait quand même une réponse, une joute sur son terrain à lui. Belle robe? Pas trop sec? Gouleyant? Développe une belle astringence?

Je ne lui ai pas demandé c’était quelle pastille de goût ou si ça accompagnait bien une poutine, c’est la base. N’empêche, après que j’eus dit que la bouteille n’était pas pour boire ce soir, mais pour rapporter à Montréal, j’y ai eu droit, demi-sourire crispé en prime, au : aaaah, vous êtes Québécois? Bon, c’est ça, rejoue donc cet air étonné, comme s’il n’y avait vraiment eu aucun indice. Et il sourit plus ouvertement, admet qu’enfin, ça s’entend un peu. Je me suis retenu pour ne pas lui en donner plus que nécessaire: bin kin toé que ça s’entend.

25 avril 2013

Portrait parisien de groupe – les grosses lunettes et la moue (mais en sépia, c’est du 2012)


(Je sais, ça date, mais il parait que les vieilles affaires sont à la mode si on dit que c’est vintage.)

À l’époque, car ça change probablement très rapidement, il y avait beaucoup, beaucoup de lunettes d’aficionados d’un genre où celles de Nana Mouskouri rencontraient celles de Xavier Dolan et engendraient plein, plein, plein d’émules de lunettes partout, partout, partout.

Et ça se porte avec la moue, presque toujours la même, comme si la vie était un défilé de désinvolture, de grâce, avec en accessoire une touche de souci: et voilà, c’est la touche mode labiale du printemps. La moue se porte haut cette année, assortie ou non avec l’émotion que vous ressentez, car c’est une moue tout-aller.

13 mars 2013

Onzième épître - le malentendu papal


Cher sujet de notre stœchiométrie maison,

Je voulais simplement préciser que ta mère et moi n’y sommes pour rien, l’originalité est appréciable, mais ce n’est qu’un hasard, nous n’avons jamais eu l’intention de t’offrir un conclave et une élection de pape à la clé pour tes 3 ans.

Je le précise parce que l’idée t’est venue dernièrement en voyant la boîte dans une armoire de jouer au jeu du hibou.

En fait, ça ressemblait beaucoup à la fois où tu as voulu boire du jus de citron en le pointant dans le frigo. J’ai dit que je ne croyais pas que tu aimerais ça. Tu as prétendu le contraire. J’ai dit, bon, un petit peu, sourire en coin, en versant la quantité autorisée pour fins éducatives par la Direction de la protection de la jeunesse. Tu as bu une mini-gorgée et grimacé en exorcisant l’acidité. J’ai dit, triomphant, ah, moi je pense que tu aimes pas ça. Tu as dit, triomphant, ah, moi je pense que j’aime ça, et tu as fini le verre.

Ça se ressemblait, sauf que là je n’ai pas dit que je croyais que tu n’aimerais pas ça. J’ai pigé une carte Temps et lieux du McWiz et t’ai demandé quelle est la plus grande des mers du monde, la capitale d’Haïti, d’où est originaire le pape Jean-Paul II. Sur le coup tu as donné le change: ah oui, c’est vrai, moi avais oublié, moi me souvenais pas, moi m’étais trompé.

Mais le lendemain, tu as voulu joué encore. Je ne prétends pas être un si fin pédagogue, mais en reposant les mêmes questions, tu as retenu les réponses.

Alors maintenant que habemus papam et cetera, j’imagine qu’on t’entendra moins dire Pologne! à chaque fois qu’on entend Jean-Paul II ou pape à la radio (sans rien vouloir enlever à la Pologne, bien sûr).

Et même si le pape s’est donné mon nom, ça va, je ne me laisse pas déstabiliser et tiens à te rappeler au cas où tu l’aurais oublié entre-temps que les autres réponses étaient la mer de Chine et Port-au-Prince.

(Bien que pour la mer de Chine, ça peut être sujet à interprétation, j'admets que nous pourrions en rediscuter.)

27 juillet 2012

Dixième épître – les dinosaures qui chantonnent et gâchent le cinéma

Cher apprenti cinéphile,

On s’en excuse d’office, mais tu développes de drôles de goûts, c’est-à-dire que tu veux parfois écouter quelques minutes éparses de Petit-Pied le dinosaure II (dont j’ignore le lien exact avec Elizabeth et Jean-Paul, les II ayant une filiation mystérieuse difficile à décortiquer), sur une vidéocassette usagée que ta mère a achetée sans avoir pris conscience que le film n’avait pas été primé dans la sélection officielle du festival de Cannes. Quelques minutes, bien sûr, pas trop, car la télé en bas âge rend suicidaire et mythomane et cardiaque et hyperactif et obèse et amblyope. On sait et on te protège. Puis tu fais de toute façon bien d’autres choses en même temps. Les gronosaures ne servent après tout que de tapisserie sonore.

Et cela dit, oui, d’accord, on sait, une vidéocassette; on s’excuse d’avance si tu développes un trouble d’identité générationnelle.

Je ne sais pas si tu l’as noté, mais c’est un film qui jette un nouvel éclairage sur les théories de l’extinction de l’espèce. Vois-tu, les théoriciens ont avancé que c’est une météorite et le changement climatique subséquent qui menèrent à l’extinction des dinosaures, sans même qu’ils élussent un gouvernement jurassique majoritaire. C’est arrivé tout bêtement de même.

Bon, je ne conteste pas leur version. Mais à l’écoute du film, j’y ai adjoint une autre philosophie: la météorite était peut-être une bonne chose. Et elle avait peut-être fait exprès.

Ces casse-pieds reptiliens animés, j’ai bien entendu leurs voix piaillardes et leurs chants insipides, qu’ils chantent en faussant avec une voix qui demeure piaillarde, toujours, tout le temps, à jamais. Moi, je suis civilisé. Alors je peux relativiser. Surtout avec une télécommande qui contrôle le volume. Mais avant l’invention de la télécommande, une météorite sensible qui avait son chalet pas loin de là, qui entendait ça toujours, tout le temps, à jamais? Je comprends qu’elle se soit décielée. Enfin, on se défenestre de l’espace intersidéral comme on peut. (Dans le Nord si possible, tiens.)

Puis ne t’offusque pas, je t’ai vu prendre parti pour Shere Khan sans ambages dans Le Livre de la jungle, alors je parie que tu n’auras pas de problème à accepter la météorite kamikaze.

Et ne t’inquiète pas, on sera quand même là pour les bonne valeurs morales bien soulignées de l’industrie du divertissement de l’enfant éveillé en quête de sens. Faut juste jamais chanter de ritournelles mièvres en piaillant. Jamais. On touche là un point sensible.

28 mai 2012

Vieille nouvelle

Au secondaire, on nous avait fait écrire une nouvelle pour le cours de français. Ça avait donné ce qu’on attendait vraisemblablement: une chute un peu calculée, juste assez retorse pour l’évaluation de l’originalité, un texte académique respectueux des règles où j’allais chercher une bonne note en restant grammaticalement toujours très sage (quoi, une anacoluthe, ciel, que le grand cric me croque), en conjuguant bien mes verbes et en parsemant çà et là ce qu’il fallait pour que l’enseignante puisse cocher la case «l’élève utilise un vocabulaire riche et précis». Dans cette nouvelle, je m’en souviens, j’avais misé là où il le fallait sur pusillanimité, diaphane, marmoréen et rococo.

Bref, au risque de gâcher l’effet de surprise, le personnage principal (pusillanime) se rendait finalement à l’aéroport (marmoréen), mais ne se résolvait pas à prendre son avion. Au même moment, coup de théâtre mi-convenu, sa copine, qui lui faisait la surprise de revenir ce jour-là dans un avion de Swissair parti de Zurich au préalable (bien sûr que c’est arrangé avec le gars de la nouvelle), s’écrasait sur le littoral terre-neuvien. Plan fixe sur l’horloge, voyez bien qu’elle est en train de ne pas arriver.

***

J’ai un peu hésité, en réservant le billet d’avion, lorsque j’ai vu le retour Paris-Montréal avec une escale à Zurich à bord de Swissair. Et le lendemain, quand je me suis dit que je pouvais bien choisir ce vol, que tant pis, et que bah, et qu’enfin c’est pas parce que, et que ça doit être joli Zurich, et que trêve d’anacoluthe comme preuve de désobéissance grammaticale (pff, même pas peur), comme ce vol était momentanément ou définitivement indisponible, ça ne m’a pas particulièrement dérangé de prendre le vol avec l’escale à l’aller et au retour à Amsterdam.

Ça me semblait soudain une bonne chose de ne pas avoir écrit de nouvelle où un avion néerlandais s’écrasait à Terre-Neuve.

Ça permettait surtout de faire une visite expéditive pendant que mon bagage se faisait rudoyer entre deux fonds de soutes.

Je confirme, tout ce qu’on dit sur Amsterdam est vrai: vélos partout, jolis canaux sous de vieux ponts de pierre, tulipes en fleur, parfum de marie-jeanne jusque dans le cœur des frites, sollicitation dans les portes-fenêtres à 9 h du matin des demoiselles peu vêtues qui donnent leur vertu pour une pièce en or, camions de Heineken partout pour ravitailler les bars plein de bières et de drames où on boit et reboit et reboit encore. Enfin, tout est vrai, presque tout: pas vu qu’y a des marins qui chantent les rêves qui les hantent ou qui dorment comme des oriflammes le long des berges mornes.

Mais il faisait un peu gris, et ça je suppose que c’est à cause des marins qui se mouchent dans les étoiles.

07 mai 2012

La mort (avec vue côté hublot)

Je pense rarement autant à la mort que lorsque je suis sur le point de prendre l’avion. Ça va quand même, je connais relativement les statistiques, et ce n’est pas si tortueux, j’enclenche le processus de ratiocination. Je m’en sors bien, et je suis même heureux d’avoir un siège côté hublot. C’est que je trouve ça joli l’aube au-dessus des nuages cotonneux. Un peu quétaine, peut-être. Un monde de Calinours avec une épée de Damoclès biturbopropulsée, ça reste joli. Et j’aime passer des tests de géographie et projeter des frontières de pays. Et regarder les petits ponts au-dessus des rivières linéaires où passent des humains dépersonnalisés dans des petites autos sur la maquette de ma planète. Et je me dis que je pourrais corriger les voisins inconnus qui identifient mal l’étendue d’eau qu’on voit présentement sous l’aile. La maquette est pourtant claire

Je me dis donc que si on est sur le point de s’écraser, ça aura au moins fait joli juste avant. Mais mes voisins mourront avec des lacunes évidentes en géographie

***

D’accord, Morts imaginaires de Michel Schneider n’était peut-être pas le meilleur choix de lecture d’avion. Chapitre après chapitre, c’était comme un catalogue d’illustres fins de vie. Je cornais quelques pages (ah, une comme ça me plairait; celle-là n’est pas si mal non plus). Ça soulignait à quel point je pourrais ne pas avoir de bon mot de la fin, de flèche du Parthe funèbre, de Rosebud accompagné d’un râle évanescent. Juste une vie achevée n’importe où. Une version de la vision de Lamartine à l’improviste: On voudrait revenir à la page où l'on aime/ Et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts. Une trajectoire pas très originale, manquant sans doute de romanesque. Et horreur, une fin en forme de fait divers, avec mon voisin qui dirait en faux direct à Denis Lévesque que j’étais un bon voisin.

03 avril 2012

Paris, avant d’y être

C’est ma première fois. J’ai attendu longtemps, pour des raisons qui s’apparentent peut-être au refus de voir une idéalisation déchoir, mais dans près de 48 heures, j’embarquerai dans un avion qui, après une escale, atterrira à Paris (d’une façon que j’espère parfaitement réussie).

Je ne crois pas avoir de propension à l’idéalisation, de penchant pour cette patine qu’elle confère à n’importe quelle vue de l’esprit. Mais pour l’idée que je me fais de Paris, allez savoir pourquoi, la patine est plutôt bien lustrée, même si je ne suis pas dupe au point d’ignorer que j’ai bien consenti à ne pas grattouiller la laque sur la carte postale.

J’ai eu droit à la série de mises en garde, et tous les conseils pratiques qui prennent vaguement la forme de clichés y sont passés: des dangers des toilettes à la turque, du secteur du Moulin Rouge quand tombe la nuit, des pickpockets (j’ai cru que c’était un anglicisme, mais ce serait un parisianisme, ce qui est tout à fait différent), de la perte de repères spatio-temporels à l’aéroport Charles-de-Gaulle, des crottes de chien sur les trottoirs, de l’attitude générale des garçons de café, du café lui-même qui n’est pas du tout comme ici, du poids qui sera pris à cause de tout ce pain, de la prononciation du mot beurre et des difficultés de se faire comprendre en l’employant sans bien placer l’accent tonique, et des commentaires inévitables sur cet accent qui est comme celui de Céline Dion (vous la connaissez?). Qu’importe, il le fallait peut-être pour éviter que je persiste à voir Paris comme Woody Allen.

En même temps, je me surprends à ressentir dernièrement une curieuse impression en décalage, bah, un petit fond, une petite pensée qui chuchote très faiblement, qui m’étonne et me déçoit même un peu en fait; un vague sentiment, que je ne peux justifier et que rationnellement je trouve décidément dépassé, de me retrouver à mi-chemin entre le provincial béotien (de Béotie-sur-l’Autre-Bord-du-Lac) débarquant dans la capitale et le semi-bourgeois bohême allant voir des bien belles bâtisses.

J’en viens à me faire des scénarios tout de même drôles où Paris fourmille d’une foule de concurrents potentiels prêts à jouer à Questions pour un champion aux coins des rues. Comme s’il fallait que je sois prêt, comme s’il allait de soi qu’on me demandera de nommer les rois carolingiens dans l’ordre. Ce qui serait difficile, bien sûr. Je ne sais jamais où intercaler Kim Jong-deux. D’ailleurs, j’ai peu lu les Paris Match de l’époque jusqu'à ajourd'hui; il est probable que je reforme certains couples royaux, que je pourvois des statuts conjugaux à des maîtresses, que j’identifie mal à qui appartenait quel chalet d’été. Et cette maison là? Ah oui, Victor-Hugo qui? Quoi, ce n’est pas Luc Plamondon qui a écrit Notre-Dame de Paris?

Le fait est que je vais à Paris, et je dois reconnaître qu’au fond j’espère que la bohême et les lilas ne sont pas vraiment morts.

Même si j’aurais été prêt à sacrifier quelques lilas au besoin.

21 février 2012

Mets de la pectine

Le pathos est à Star Académie ce que la pectine est à la confiture : l’exemple patent d’une trop grande utilisation comme épaississant dans les produits industriels.