24 juillet 2007

6 – De l’orgueil

Tu écris dans un blogue, alors foncièrement, en quelque part, tu n’étonneras personne en admettant que tu es un peu orgueilleux. Mais enfin, pas de cet orgueil vain qui fait que les gens veulent des souliers qui s’agencent à leurs bobettes griffées ou qui en poussent d’autres à acheter à fort prix les plus grotesques lunettes de soleil en raison d’une mode californienne décidée à la va-vite par deux starlettes ivres. Non, disons plutôt le genre d’orgueil qui te pousse à te relever tout de suite lorsque tu tombes, comme c’est probablement écrit dans n’importe quel livre de croissance personnelle sauf peut-être dans Les hommes aussi ont le droit de pleurer. En fait, la dernière fois que tu ne t’es pas relevé tout de suite, tu étais en deuxième année, tu venais de choir dans la neige tapée après avoir fait quelques fortuites roues latérales en ski alpin, et tu avais accessoirement un tibia fracturé. Mais la douleur, tu t’en rappelles encore très bien, était cuisante: à la fois un déchirement, une entorse, et une luxation ô combien aiguë de l’orgueil. Et ce dans l’allée juste sous la remontée mécanique, alors, non merci, tu ne t’es pas donné le droit de pleurer, aussi.

Donc, tu avances dans la vie avec ce regard assuré, celui qui est de mise dans les réunions au bureau et dans les catalogues Sears, celui qui fait en sorte que même si tout semble vouloir partir en morceaux, tu ne bronches pas et tu passes à travers. Mais d’autre part, il ne faut pas s’inquiéter non plus, tu as avec ton ça et ton moi un surmoi qui fait généralement très bien l’affaire, dans un format pratique qui se trimballe partout et qui a l’avantage de ne pas être en métal pour ne pas faire sonner les détecteurs dans les magasins et les aéroports, alors ça diminue beaucoup tes risques d’inflammation de l’ego.

Ton costume de Superman ne comporte ni cape magique volante ni slip bleu royal moulant, il est fait d’un peu d’orgueil de bonne trempe bien placé, et ça fait des miracles.

En fait, en y pensant un peu, c’est même probablement par orgueil que ton costume ne comporte pas de slip bleu royal moulant.

En fait, le bleu royal, ça ne te va pas si bien.

12 juillet 2007

5 – De la luxure

«Du pain et du stupre!» aurait lancé Juvénal si la passion des Romains pour le cirque avait été un peu moindre et que Rome eût été un bordel moins cachottier. Mais il a parlé de jeux, parce que Rome était sanglante mais assez chaste; on y mangeait candidement des pâtes al dente en discutant d'huile d’olive pendant que des gladiateurs s’entretuaient gentiment au soleil sous le ciel de mai, entre amis, en faisant quelques parades de char entre les lions, et certains gardaient parfois leur montre pendant la course, alors c’était très rigolo, on s’y amusait tout le temps. Las Vegas, bien plus tard, ayant déjà les néons criards de tout sex-shop qui se respecte et l’ensemble des autres vices (et éprouvant quelques difficultés à comprendre la satire de Juvénal), décida donc de remplir ce rôle lascif. Curieusement, l'érection d’un immense hôtel phalloïde de béton armé et de verre trempé semble encore en phase préliminaire.

La luxure: voici donc le péché qui attirera les visiteurs uniques en manque de Pamela Anderson, de frotti-frotta oniriques, de va-et-vient suggestifs, de turgescences zoomées et de Pamela Anderson encore, mais sans habit de motoneige cette fois-ci et la * à l’air avec ses gros *, si possible *, en supposant des requêtes polies et étrangement censurées par des astérisques. Enfin, les gens sont prêts à faire des bassesses pour un peu d’horizontalité.

Bon, alors disons que si Dieu commence à avoir peut-être l’intention de mettre éventuellement ta chasteté en doute, certes, il aura bien raison de le faire. Mais bon, tu ne le lui as pas vraiment caché; tu as même poussé l’audace jusqu’à aller cueillir la pomme du péché originel dans le couvent où pensionnait ta copine, alors si ce n’est pas de la franche et loyale compétition… Ah? de l’effronterie?

Et le mariage qui absout les péchés du monde? C’est dans les plans? Pour toi, le mariage à l’église relève de la tartuferie, celui au palais de justice frise la condamnation et celui dans le Sud sur un grand bateau blanc baignant dans une mer turquoise renvoie à une scénologie ridicule de feuilleton américain. Il est hors de question que tu partages le même phantasme qu’une ménagère texane ou qu’un personnage nommé Kelly. Il s’agit donc clairement d’une impasse.

Mais tu décrètes que la continence est un bien plus grand cul-de-sac encore.

10 juillet 2007

4 – De la gourmandise

La gourmandise est un péché grave. Il convient de punir sévèrement ceux qui osent se servir une deuxième ration de patates pilées, ceux qui prennent une grosse pointe de tarte aux fraises ou qui mettent trop de sauce forestière sur leur rôti (et même sur les patates parfois, c’est tout dire). Ces gens sont dangereux et contribuent à précipiter les sociétés dans la déchéance la plus totale, un monde fou où la morale se diluerait infiniment comme un bouillon de soupe de buffet chinois. Et qu’on laisse enfin les fraudeurs et les mafieux tranquilles.

En fait, la gourmandise occidentale reçoit un mélange d’oppression et de grand encouragement, ce qui ne garantit pas des résultats probants. Oui, les messages sont parfois contradictoires; tu le sais, tu as déjà vu à l’épicerie une couverture de magazine (était-ce Le Monde diplomatique ou Les Affaires?) avec une photo de gâteau fondant au chocolat avec de la crème fouettée, des petits copeaux de cacao, des cerises givrées, du sirop d’érable et du coulis de fraise avec du caramel au beurre par-dessus, et une accroche d’article qui disait sensiblement: «Mon régime de tofu et de carottes me rend folle de joie!»

Alors, les manges-tu, donc, tes émotions? Tu prends une deuxième assiette même lorsque tu n’as plus faim, parce que, enfin, c’est la recette de ta tante Lucienne? Sérieusement, te concoctes-tu des mets par trop caloriques (pas trop catholiques)?

Alors, tant que les inspecteurs du Guide alimentaire canadien ne viennent pas analyser ton menu, tu peux considérer ton alimentation comme respectable. Tu aimes même les épinards et le brocoli, alors c’est difficile de s’autoflageller en prenant un deuxième bol de salade. Mais bon, il ne faut pas croire que tu es raisonnable tout le temps (ah! ce qu’il faudrait être dupe). Sauf qu’encore là, des signes extérieurs (appelons ça Dieu, le dos est large quand on est partout) viennent périodiquement calmer tes envies de glucides et de lipides poly-insaturées: ton pop-corn explose au micro-onde, tes nachos prennent en feu dans le four et d’autres interventions divines sont offertes sur appel. Mais parfois, Dieu doit s’égarer un peu trop ailleurs (c’est-à-dire Dieu sait où, selon la sacrée expression consacrée), parce qu’il fait flétrir tes épinards et brûler tes pâtes dans le fond du chaudron, et ça, ce ne sont pas des tours à jouer… ce sont des gaffes de dieux amateurs.

05 juillet 2007

3 – De l’envie

L’envie mérite-t-elle vraiment sa place dans le palmarès des péchés? Car si un quidam envie un autre quidam, où est le mal? Supposons que tu envies avec fougue et péché le quatre-roues du deuxième voisin (ouf! cet exemple est bien tordu), qui trouvera à y redire, sauf peut-être ta conjointe si tu lui en parles tout le temps? Ainsi, causer l’ennui devrait être un bien plus grand péché que l’envie. Mais bon, ce n’est pas toi qui as listé les péchés du monde, ni madame Bovary. Par ailleurs, évidemment, il est bien concevable que si tu convoites tant ce quatre-roues (quelle imagination débridée), tu ne sauras te retenir et garder ça pour toi et que là, le péché peut rejaillir dans toute sa splendeur si tu commets l’indélicatesse d’aller le flatter la nuit ou pendant le barbecue dominical. Ainsi, l’envie est l’intention possible d’un péché, et Dieu, prudent et minutieux (entre autres facettes), interdit cela à la base. C’est du moins ce que Ses scribes ont compris.

La polysémie du mot invite également à la prolifération du péché. Envie d’une crème glacée molle, d’une scie sauteuse Black&Decker (si possible en solde), d’un frigo en inox, d’un k qui se placerait bien dans ta prochaine partie de Scrabble, d’une petite fontaine en forme de chérubin qui fait pipi dans ton jardin (qu’il faut bien cultiver)? Voilà, le péché te guette.

Es-tu envieux, donc? Bah, non, oui, peut-être, un peu, ça dépend, parfois, c’est dur à dire. L’envie a pour toi la bonté de se présenter sous forme de pensées fugaces. Bien sûr, parfois, tu te dis en regardant certaines situations que, tiens, ça semble intéressant d’être riche et en santé et influent et heureux et d’avoir tout ce que tu veux tout le temps, mais la sagesse populaire (encore elle) te souffle alors à l’oreille que l’herbe est toujours plus verte chez les voisins (ce que tu savais déjà, tu la vois tous les jours), mais que quand on se compare, on se console. Alors dans ces moments, tu te fais une toge dans une nappe de lin, tu vas t’asseoir sur une grosse roche au soleil, déposes ton menton dans le creux de ta main et te dis: «Ah! Heureux soit l’homme qui réalise que le mieux est l’ennemi du bien.»

Mais parfois tu te dis que, toi aussi, enfin, tu aimerais bien… Et alors, c’est à recommencer.

02 juillet 2007

2 - De la colère

Bon, tu n’es pas trop colérique. Ou plutôt: tu maîtrises très bien la petite veine battante qui pousse parfois dans le cou de certaines personnes devenant rouges ou bleues lorsqu’un véhicule les dépasse par la droite, dans l’accotement, juste avant leur sortie en pleine heure de pointe, et qui peut les porter à lever un des doigts, tiens, disons celui du milieu, vers leur prochain qui a un peu forcé les choses pour ne plus être le prochain justement, mais le précédent. Tu as donc su trouver le cran d’arrêt qui t’empêche de te transformer en Hulk surdimensionné et de casser, en furie, les assiettes de porcelaine fleurie de ta belle-mère partout dans la cuisine. Bien sûr, tu n’as pas franchi le cap ridicule de commencer chaque phrase par «Je trouve que…» ou «Je comprends tes appréhensions, chérie, tu sens bon et ta nouvelle blouse est très jolie, mais il me semble que…» en rampant pour passer le moindre commentaire, fût-ce l’insinuation légère que la sauce à spaghetti pourrait peut-être, enfin pas nécessairement, ce n’est pas si flagrant… manquer un peu d’épice? Guy Corneau, Oprah, Docteur Phil et tout autre objecteur de conscience qui vit dans la plénitude de la communication sans jamais hausser le ton ne saurait être le bienvenu dans ta chaumière où il fait parfois bon mettre les points sur les i et les barres sur les t, comme le dit la sagesse populaire lorsqu’on lui jase au coin de la rue. Et comme tu ne fais les choses ni à moitié ni dans la dentelle, tu mets aussi les points sur les j et les queues sur les Q (et les s au pluriel en tenant compte des exceptions, mais on s’égare et tu ne feras quand même pas une colère pour des pataquès).

Mais bon, ne viens pas dire que ta coche tu ne pètes point. Non, tu n’oserais pas, mais n’empêche que tu as une façon de te fâcher qui relève un peu de l’abnégation et surtout de la bombe à retardement, et tu as appris qu’il est souvent bon d’user de la politesse et de l’ironie, ce qui travestit ta colère sous des traits presque belliqueux pour quiconque perçoit mal l’ironie. Et tu ne saurais prétendre que cette incapacité est rare.

Et les mots d’église, eux? Ah! ce charmant bagage qui fait les joies des chantiers de construction! Faut-il s’appuyer sur eux, les éviter absolument ou en faire un usage modéré? Jolie question épineuse, mais tu crois qu’un usage personnel restreint et privé, dans le confort de ton salon, puisse être toléré puisqu’il se substitue bien au «Par la présente, j’aimerais bien énoncer que des limites qui m’appartiennent en propre viennent d’être outrepassées et il m’appert important que tu en aies connaissance.» Mais il est vrai que parfois, un pot de yogourt qui tombe par terre et éclabousse tout le plafond, un orteil qui embrasse avec vitesse une patte de lit dans le noir, un caillou qui décide de venir fendre ton pare-brise en plein milieu à la hauteur des yeux, côté conducteur, ça peut occasionner une espèce d’impulsion sur le graphique des stimuli extérieurs et faire en sorte que le cerveau perçoive un certain dépassement de limite. Il est par contre essentiel de contrôler les limites pour éviter une conversation où le sacre agit comme synonyme de tout, de n’importe quoi et surtout de rien: une sorte d’application du langage de Peyo où le verbe schtroumpfer aurait triomphé de toute structure langagière.

Comment schtroumpfes-tu aujourd’hui? Ah! Crissement bien.