31 mars 2008

Rencontre du troisième temps

Bien sûr, c’est beaucoup moins chantant, mais on va se dire les vraies affaires (encore, oui). On va se parler dans le blanc des yeux en mettant nos cartes sur la table en gardant les coudées franches. On va se parler entre pronoms personnels distinctifs.

Jadis, j’ai caressé l’idée de changer de pronom principal de narration à chaque année sur ce site. J’ai trouvé l’idée douce et soyeuse, je n’ai pas développé d’allergie, je l’ai donc adoptée. Mais là, il me semble que l’idée est moins douce qu’avant.

Tu sais, cette manie qu’ont certains de te demander des nouvelles de toi en utilisant la troisième personne, hé bien, je ne suis pas certain du tout que je veux m’embarquer là-dedans. Tu sais comment ça se passe: on te téléphone puis la première chose que tu sais, c’est qu’on te demande «comment il va?» ou plutôt «comment s’qu’i va?». Pendant un bref instant, tu évalues toujours la possibilité de répondre «qui?» (ah! petit impertinent va!) plutôt que «bien». Mais évidemment tu réponds toujours «bien», parce qu’il y a des normes à respecter pour vivre en société.

D’un autre côté, on pourrait débattre de l’avantage de la distanciation pour répondre à ce genre de question générale qui implique l’évaluation de soi dans une perspective globale détachée, d’où l’utilisation de la troisième personne, mais ça dériverait en théorie spirituelle et on finirait par se retrouver avec pleins d’admiratrices de Paulo Coelho sur le site et on s’échangerait des trucs d’acupuncture. On s’abstiendra donc.

On peut l’avouer aussi, l’emploi du il, ce n’est pas très seyant sur un blogue. «François se lève le matin et se fait du café», c’est non seulement banal et souvent faux (il ne se fait du café que parfois les matins de fins de semaine, pour tout avouer), c’est aussi agaçant, froid (sans parler du café, on est rendu au lundi soir) et un peu histrionique.

Donc, aux orties l’idée du carnet aux six pronoms successifs.

Et qu’on vide la mémoire cache des orties.

Et je l’avouerai enfin, l’utilisation du ils commençait à me tourmenter.

24 mars 2008

Sealand - Une nation à la mer

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Royal Navy décide, parce que la guerre, ce n’est pas une raison pour se faire mal, de construire le Fort Roughs. Ils optent donc pour une jolie plate-forme militaire dans les eaux internationales au large du Royaume-Uni (51°53’40’’N 1°28’57’’E, tu peux l’enregistrer dans tes favoris sur ton GPS) avec la mer du Nord comme dernier terrain vague, et dieu sait s’ils trouvent de vagues rochers qui ont à jamais le cœur à marée basse. Tout va bien, aucun chien ne meurt et Nathalie Simard ne chante pas.

Le 25 décembre 1966, comme c’est le jour de Noël en Grande-Bretagne cette année-là, l’ancien major Roy Bates s’offre pour cadeau d’aborder la plate-forme avec son bateau de pêche (et quelques amis, il est jovial), de lui lancer à brûle-pourpoint une phrase aguichante et d’en prendre tout bonnement possession sur-le-champ, cavalièrement et sans façon. Il a l’air d’un rustre comme ça, mais le tribunal de l’Essex lui donne raison contre le gouvernement britannique. Comme quoi les rustres parlent parfois à des avocats spécialisés en droit maritime au préalable. Mais comme les rustres manquent un peu d’imagination, il appelle la plate-forme Sealand.

Donc, le roi Bates (soulignons le jeu de mots, il aurait pu passer inaperçu), souverain autoproclamé, s’installe sur sa plate-forme, rénove probablement la cuisine ou le boudoir avec du Formica en faux fini de bois, se cale dans son fauteuil Charles of London avec son journal et ses pantoufles quadrillées (mais bien sûr qu’on extrapole, il faut laisser le personnage s’imposer), puis paf! en août 1968 le Sealand tombe sous l’occupation de pirates néerlandais et d’un Allemand, et le prince Michael est kidnappé (une tendance tombée en désuétude depuis quelques années). Bates monte donc au front et met fin à la guerre sans effusion de sang, donc probablement avec de la guinness. L’Allemand, ce traître détenteur d’un passeport sealandais, amateur de bière blonde, est arrêté, détenu pour trahison, puis relâché.

En juin 2006, le feu ravage le pays, mais il est permis de croire qu’aucun arbre n’est brûlé, on ne s'y attardera pas. En janvier 2007, puisque tout le monde finit par se fatiguer d’être roi d’une micronation, l’héritier Michael décide de vendre la plate-forme de 550 mètres carrés (mais un peu arrondis sur les côtés quand même) pour 10 millions de livres (mais pas ceux de Danielle Steele, merci), ce qui revient à 27000 dollars par mètre carré. Alors bien sûr, à ce prix unitaire, c’est mieux de songer à acheter le Sealand que la Russie, l’hypothèque est moins accablante et le ménage s’y fait plus vite. Il n’y a pas de frais de condos non plus, alors qu’en Russie, il faut refaire la façade.

Mais ça va, ne t’inquiète pas pour tes principes étatiques: sous prétexte que du béton et de l’acier, ce n’est pas considéré comme de la terre ou un territoire, les autres états ne le reconnaissent pas comme tel. Sauf peut-être la poste française à l’époque de Georges Pompidou, mais Georges est un sacré farceur. Il s’est même fait construire un bâtiment à Paris avec toutes les conduites de ventilation et un escalier à l’extérieur, c’est dire à quel point il ne se prend pas au sérieux.

Le lecteur incrédule peut maintenant se diriger vers Wikipédia, mais il est difficile d'imaginer quelle information supplémentaire il pourrait bien vouloir y trouver.