22 novembre 2011

Et parfois je parle de corpus littéraire à Marc Cassivi


Didascalie : Le ton, il est gentil. Je mettrais bien des binettes sympathiques, mais je ne trouve pas que c’est de très bon goût.

(Et ça va, je vous en veux moins maintenant pour La graine et le mulet. Pour crever l'abcès, j’ai eu la même lecture que Catherine Perrin dans la veine des chroniques «seul dans ma gang», le même jeu des attentes et le même rapport au film qui s’en est suivi, le même accroc par rapport à la complaisance de ce temps réel qui fait justement «tellement vrai, si réaliste». Une sorte de léger dépit aussi. Pourrai-je rester cinéphile quand même? Est-ce qu’on me jette hors du club? Tu ne respectes pas l’idiosyncrasie tribale, oust, va voir les Transformers maintenant. Moi qui avais compris depuis longtemps que la vie n’est pas toujours simple quand, pas encore très vieux, on ne comprend pas l’intérêt à porter à Jurassic Park. Bien, je vois, ils se sauvent des dinosaures, mais encore? C’est ce qui m’a chicoté dans la célèbre chronique (déjà ancienne, je sais). Pour La graine et le mulet, je ne suis pas l’illustration d’un schisme, mais d’une particularité. Je comprends l’idée du schisme, mais il est aussi dommage parfois de voir une particularité propre à un film nous faire basculer par l’assimilation dans l’illustration d’un schisme. Pour reprendre une idée de Pennac: Côooooomment peut-on ne pas aimer Stendhal? Si. On peut.)

(Fin du préambule.)

Rapidement, petite coquille: L’avalée des avalées, ça doit ressembler beaucoup à L’avalée des avalés, j’imagine (à moins que les subtilités n’y soient justement moins évidentes!).

Si je comprends bien, ça veut dire finalement qu’il faut les servir et les faire manger, les fameux légumes culturels? Cela étant dit, oui, bien sûr, je déplore sensiblement les mêmes lacunes aussi. Mais avec cette réserve: soyons clairs, le corpus doit avoir un spectre large.

On voit souvent les mêmes incontournables dans ces listes raccourcies, mais il y a matière à couvrir plus large. Aquin, Ducharme, Hébert, Miron, Tremblay. Ça semble aller de soi, mais je n’aime pas que tous les exemples donnés ou presque s’arrêtent là, ça me rend un peu craintif. On ajoutera parfois Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais. D’accord. Mais j’espère surtout qu’il y aura toute la latitude pour des professeurs qui voudraient mettre au programme Dany Laferrière, Les fées ont soif de Denise Boucher, Le fou de l’île de Félix Leclerc, qui iraient piger des extraits des Insolences du frère Untel, des Demi-civilisés, qui pourraient ratisser plus large (qui sait, peut-être aussi loin qu'en Ontario francophone ou en Acadie, avec des permissions spéciales et des ententes interprovinciales complexes, bien entendu!) qui feraient des liens, des parallèles, des mises en contexte. Pour éviter de reproduire l’enseignement mollasson des romans du terroir, pour éviter un prof qui n’en a rien à cirer de Bonheur d’occasion, mais qui le poussera, qui demandera de faire un bête résumé que bien des élèves copieront sur Internet, parce que c’est un des quatre livres sur la liste, point. Pour qu’on s’y rende à Nicolas Dickner, justement.

C’est un peu en parcourant le spectre de ce qui s’est fait ici qu’on réalisera aussi que la littérature étrangère ne veut pas seulement dire «étrangers» comme «ces vampires venus d'ailleurs». En étirant un peu, peut-être réussira-t-on à réduire l’analphabétisme dans la foulée. Lire ne sert pas qu’à lire des livres de vampires, qui sortiront de toute façon au cinéma, un après l'autre, comme on le dit autour de toi, pas vrai? Lire, ce n’est pas que pour les romans décatis que tu crois qu’on t’impose pour t’emmerder uniquement. Lire, ce n’est pas qu’un vœu d’idéaliste qui a deux fois ton âge, donc qui devrait cesser de ressasser ses histoires préhistoriques. Ça te sera utile, même si on se doute bien que bien peu deviendront férus lecteurs de Guerre et paix. Ça n’a jamais été le but, personne n’est dupe. Les ayants droit de Tolstoï ne nous en voudront même pas.

Il faudra évidemment aussi que les parents fassent la part des choses. De bien des manières évidemment, mais je me rappelle une anecdote en particulier. Fin de la troisième secondaire: Madame Lévesque nous fait lire Un ange cornu avec des ailes de tôle. Une mère, marguillier de la brigade des mœurs j’imagine, appelle à l’école. Je suis tombée sur telle page, et vous savez quoi? Michel Tremblay, il se masturbe! Bon, alors quoi, on le pousse à l’index? En fait, Madame Lévesque, pour un simple hapax, a préféré une réponse moins subversive: Madame, j’ai l’impression que vous n’avez pas lu le livre au complet. Je parie qu’elle avait raison.

Puis, tant qu’à faire, je me permets même de souligner ce qui est pourtant une évidence, même si ça pourra faire grincer des dents. Dans toute cette belle chrestomathie, il faudra bien songer aussi au fait que Mordecai Richler est un très bon, et même excellent auteur québécois.

5 commentaires:

Bernard a dit...

Pour Mordecai, je suis tellement d'accord. À l'époque où je faisais encore de la radio étudiante, j'avais décrété que le Monde de Barney (lu en français) était le meilleur roman québécois de l'année. C'était en partie de la provocation, mais aujourd'hui je persiste et signe. Les romans de Richler sont meilleurs que ceux de Tremblay

François a dit...

Dans le même esprit mais sans micro, j’ai dit sensiblement la même chose du Monde de Barney, lu en français aussi mais plus récemment. Je me suis contenté de provoquer ma blonde, un oncle et quelques amis seulement. Seul déplaisir persistant: mais pourquoi avoir fait traduire un roman anglo-montréalais en France par un type qui, avec l’air de rien au détour d’une phrase, nous parle du Saskatchewan? Aberrant.

Anonyme a dit...

Sinon, j'ai lu (en anglais cette fois), l'apprentissage de Duddy Kravitz (rien à voir avec Lenny). Celui-là m'a particulièrement fait penser au Tremblay des chroniques du Plateau-Mont-Royal, mais cinq six rues plus à l'ouest. La même ville, en partie le même monde, mais avec un souffle, une envergure internationale; c'est difficile à expliquer, il me semble que Duddy Kravitz pourrait être lu n'importe où en occident, mais que Tremblay (du moins celui des Chroniques) est condamné à n'intéresser que les québécois, voire les québéphiles.

Bernard a dit...

L'anonyme c'est Bernard, mon compte Google semble faire des siennes.

François a dit...

Pas lu Duddy (sur la liste), mais La rue Saint-Urbain par contre, où Duddy n’est qu’un gars de la bande, et même si je ne le classe pas spontanément parmi les meilleurs, c’est le même décalage qui me plaisait, le même parallèle – c’est mathématique après tout – évident avec les chroniques du Plateau. Les mêmes repères mais qui apparaissent un peu plus distancés. Pour Tremblay, vrai que c’est plus autoréférentiel, territorial, à nous de nous, sans que ce soit un vilain défaut répréhensible, bien entendu, mais j’ai l’impression que l’identification prime sur le reste. Et je dis ça (ça me semble évident, mais aussi bien parer à tout reproche) sans que ça participe à un principe de colonisation, de victimisation et d’adoration de la mère patrie et du reste du monde, pour lesquels nos grands-mères, nos tantes et ses voisines ne seraient pas dignes d’être montrées. Non, rien à voir. Je connais la théorie voulant qu’on parte du très local pour toucher à l’universel, mais bon, je ne sais pas trop, toujours une question de dosage je dirais. Par contre, je suis absolument certain que c’était un passage nécessaire, ici, dans la littérature québécoise. Et c’est pourquoi il faut le mettre dans tout corpus scolaire qui se respecte, forcément.

Pour Richler, je me suis d’abord demandé s’il n’avait pas eu la chance (la facilité?) de tomber dans un sillon riche, même si déjà souvent creusé : auteur-personnage vaguement intello, revanchard, tourmenté, qui offre des bons points de repère avec Philip Roth et Woody Allen, avec les traces d’humour juif inclassable et ce talent qui consiste à bien cannibaliser ses sources. J’étais prêt à le cantonner dans un archétype, mais j’ai révisé ma position rapidement en le lisant. Il a tout ce qu’il faut, il tient la route.