27 janvier 2009

L’ironie là-dedans

Avec trois ou quatre histoires dramatiques à souhait qui faisaient intervenir des chicanes, des comptes gelés en haut lieu, des enfants éparpillés aussi je crois, et tout pour mettre la table à son argumentaire, la moitié du couple qui fabrique de l’estrogène y tenait: il fallait faire un testament. Elle insista. Je voulus m’enfouir, me cacher en petite boule sous les draps et ne pas y penser, mais je consentis. Ça doit être ça le romantisme moderne, s’offrir des testaments pour Noël.

Le rendez-vous fut donc pris chez le notaire du village, un vieux sage de la virgule et de la phrase complexe qui tient séance sur le bord du lac. Le vert aqua a encore ses aises sur les murs de la salle d’attente. J’ose croire que le tapis davantage sel que poivre et sel a son testament et ses codicilles prêts, ce serait indiqué, je ne crois pas qu’il lui en reste encore pour très longtemps.

La femme du notaire, assistante-réceptionniste-cafetière, naguère décoratrice du bureau, femme qui en sait sûrement plus que n’importe qui sur les actes notariés sans jamais avoir ouvert un livre de droit de sa vie, nous fait entrer dans la pièce attenante. Grande fenêtre, vue sur le lac blanc, gros soleil qui fait de l’esbroufe; ouais, belle journée pour diviser sa fortune entre ses enfants non nés et monter des algorithmes de suppositions. S’ils sont mineurs? Majeurs? Si nos parents sont décédés entre-temps? Si Xavier a 20 ans et que… Non, je te l’ai déjà dit, pas Xavier. Si on a un enfant roux?

La femme présente la stagiaire qui semble entourée de ses grands-parents, puis demande nos noms. Son moment préféré va débuter, elle tentera de faire tous les liens possibles pour arriver à une connaissance commune en partant de nos noms de famille avant de s’éclipser. Première déception palpable, ma copine n’est pas originaire de la région, elle accuse une distance de 315 km trop à l’est selon un itinéraire fourni à titre indicatif qui peut ne pas tenir compte des travaux, des déviations ou d’autres perturbations. Au départ, je la réjouis davantage, un nom propre assez commun dans la région et je score 31,5 km au test de l’itinéraire. La déception suivra, elle ne connaît pas mon père qui a eu le malheur de naître enfant unique. Non, désolé, je n’ai pas d’oncles dans la ville voisine. Mais elle est tenace, elle creuse un peu et trouve. Je crois qu’elle a un don ou des recherchistes.

La stagiaire a son carnet de feuilles lignées jaunes, elle fait une ligne au centre, ça va débuter. Ça ne s’invente pas, le notaire porte une veste de tweed et joint les mains: «On va commencer par le corps.» Euh… Je me tourne vers ma blonde avec l’air du gars qui se fait avoir en flagrant délit d’absence d’opinion sur la question. Suis-je pour les vertus de l’incinération? Ce n’est qu’un début. Advenant votre décès, à quel âge vos enfants devraient-il pouvoir avoir la pleine administration de leur héritage? Hésitation. Euh, quelles sont les tendances?

La femme du notaire est repassée à quelques reprises pour demander à la stagiaire si elle avait demandé si… Oui, elle l’avait demandé. Je me croyais chez ma grand-mère. Je m’attendais à tout moment à ce qu’on me proposât de vieux bonbons collés.

D’accord, mais le titre?

C’était un vendredi. Le mercredi suivant, j’échappais à l’épineux problème de l’emboîtage de voitures sur chaussée enneigée.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Billet déprimant dans l'exacte mesure où ça fait deux ans que nous sommes supposés passer par là nous aussi. Il s'est avéré que le notaire du coin (littéralement) a été récemment condamné pour fraude, extorsion ou je ne sais quoi (authentique), ce qui a ralenti nos ardeurs. Mais c'est mal, car en plus de vivre dans le péché, nous vivons dans l'insouciance.

Et par ailleurs, la parenté de nos bibliothèques m'étonne à chacune de mes visites (je l'ai déjà dit, je sais).

François a dit...

Hum, mes ardeurs auraient aussi été très refroidies dans une telle situation. Déjà que l'ardeur est plutôt tiède au départ...

Pour la parenté de nos bibliothèques, hormis le fait que la mienne est suédoise fabriquée en série avec de nombreuses sœurs identiques potentielles, je ne me rappelais pas que tu avais souligné le point, mais ça m'avait frappé aussi. J'ai sourcillé à quelques reprises chez toi en voyant que tu lisais un livre que j'avais feuilleté ou acheté la semaine d'avant ou vice versa. Donc, si tu passes devant le notaire, ce serait étonnant, mais il faut espérer que nos livres respectifs ne se trouvent pas légués à la même tierce personne, ça lui ferai beaucoup de doubles.

Anonyme a dit...

"Si on a un enfant roux?"

Trop drôle comme question, alors que tout le monde sait bien que les roux, c'est comme les Belges, ça n'existe pas ailleurs que dans les blagues...

François a dit...

Érich, j'avais un peu le même point de vue, on dit toujours que ça n'arrive qu'aux autres... mais ma soeur sort maintenant avec un roux. Ironie : il s'agit malgré tout d'une amélioration fantastique par rapport au chum précédent!
(Je tiens à préciser ici, un peu ridiculement, que j'accepte très bien d'avoir un beau-frère roux et que je vais même jusqu'à avoir de l'affection pour lui.)