21 novembre 2007

9 – Tu ne désireras pas la femme de ton prochain

Tout le monde le constate rapidement, il semble y avoir un délicat problème de rédaction épicène pour ce commandement. Enfin, disons prosaïquement que si ta copine et toi-même devez ne pas désirer n’importe quelle femme de quelque prochain que ce soit, il est possible que ce soit usuellement plus facile pour elle, bien que vous puissiez assurément être du même avis pour certaines dont le caractère indésirable est singulièrement souligné.

En fait, dans les conditions actuelles, si Dieu suivait mieux la Charte des droits et libertés, Il devrait évidemment récrire: Tu ne désireras pas la conjointe ou le conjoint de ton prochain ou de ta prochaine.

Mais alors, les serviteurs, le bœuf et l’âne? Ah, non, ça tu vois, Dieu l’avait prévu:

(20.17) […] tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne […]

Mais, mais… était-il vraiment nécessaire d’ajouter ce commandement, alors que l’adultère était déjà condamné au sixième point? En fait, Dieu semble ainsi considérer l’humain comme une paroi de réservoir industriel de mazout prêt à fuir; il faut utiliser un principe de double protection. Non seulement tu n’as pas le droit de manger cette pomme, mais tu n’as pas le droit de penser à manger cette pomme. Il ne faut évidemment pas déduire ici que les réservoirs industriels de mazout n’ont pas le droit de manger de pommes; mais oui, ils le peuvent, bien sûr. L’humain aussi le peut, d’ailleurs. C’est même recommandé par Ricardo et bon pour la santé, les Anglais s’en servent pour éloigner les docteurs, alors t’inquiète. Allez, croque, qu’est-ce qui te prend? Vas-y, Ève, fais-le pour toi. T’es pas game. Ssssssss (Onomatopée si célèbre du serpent qui siffle sur nos têtes, se prononçant comme ça s’écrit, en insistant suavement sur le sixième s, mais sans staccato). Bon, c’est le supplice de Tantale, mais le fruit ne s’éloigne pas, il reste là, tentant et sucré, et il y a Dieu sur ton épaule, la voix grave en arrière-plan avec de l’écho: «Non, touche pas, t’as pas le droit, t’es pas supposé. J’ai dit non.» Et sur l’autre épaule, le concurrent: «Allez, juste une petite bouchée…» Et malgré la pénurie d’épaule dans cette situation, tu ajoutes Victor Hugo (pas le petit voisin Victor-Hugo Desmarais-Tremblay), pour son judicieux: «Dieu est l’auteur de la pièce; Satan est le directeur du théâtre.»

L’adultère mental est donc sur la même liste d’interdits que l’autre proprement dit avec joutes physiques capiteuses et autres exercices de gymnastique corporelle synchronisée en milieu plus ou moins aquatique. Dieu veut alors contrôler les esprits et formater les pensées pour y chasser jambes, postérieur, galbe et autres sous-ensembles de membres et d’organes féminins appartenant à ton prochain.

Orwell n’a rien inventé: Dieu est Big Brother.


Ou un canal brouillé, c’est selon…

5 commentaires:

Mercurius Mendax a dit...

Ah François, tu effleures les sujets qui fâchent mais tu ne les confrontes pas ... A quoi sert la loi ? Pourquoi cet abîme entre la loi et la nature ? Pourquoi ces vieux commandements ne s'adressent-ils qu'aux hommes ? Et surtout: pourquoi sommes-nous (est-tu?)encore hantés par un précepte si injuste ?

Galad a dit...

Le précepte ne s'adresse pas qu'aux hommes, il s'adresse aux lesbiennes aussi...

François a dit...

En effet, Mercurius, je n’en suis certainement pas dupe. En vrac : À contraindre dans l’harmonie. Parce que la loi et la nature sont des plaques tectoniques distinctes, ça explique l’activité sismique lorsqu’il y a glissement de l’une ou l’autre. Parce que les chameaux ne savent pas lire et que eux, pour atteindre le Royaume des Cieux, ils n’ont qu’à passer par le chas d’une aiguille. (Ou comme Galad le dit...) Parce que nous (moi ça va) nous le sommes fait répéter à satiété et que quand tu y penses, le contraire peut avoir des résonances raéliennes...

Sinon, confronter? Peu m’en chaut. Ou pas à tout prix, à vrai dire. Il n’y a pas vraiment là de quoi fouetter un ecclésiaste (je tenais à placer cette phrase). Tout code a ses irrégularités, ses règles contre-nature : Bible, Coran, Bescherelle, nommez-les. J’ai souligné un peu, parce que je trouve que ça a un petit côté suranné, suri, décalé, dépassé, qui me fait rire lorsqu’on essaie de l’appliquer directement sans ajustement. C’est un exercice. Mais d’un autre côté, ce n’est pas la pire des insanités que de dire que, s’il y a une femme dans ton lit et qu’il y en ait une dans le lit de ton prochain, tu devrais peut-être te concentrer plutôt sur celle qui est dans ton lit et ne pas trop songer à l’autre. Enfin, il y a bien pire. Et plus farfelu aussi. Dans le Lévitique, notamment. Certains rituels de purification pour les femmes pendant les règles sont de véritables chefs-d’œuvre d’humour absurde.

Voilà, Galad. Qu’on vienne dire après que la parole de Dieu n’est pas inclusive!

Mercurius Mendax a dit...

Mon interrogation vise en fait à comprendre ta démarche, qui me rappelle celle de mon professeur d'hébreu jadis qui illustrait les matières de la foi par des dessins humoristiques. Je trouvais cet entre-deux assez troublant, à la fois une adhésion et une distance. Je ne suis pas un contempteur primaire des textes bibliques: je les ai lus, et même dans l'original, je les aime, je n'arrive qu'à être féroce ou aimant avec eux, jamais distant. Je les critique pour les comprendre, et continuer à les aimer, mais différemment.

François a dit...

D’accord. Alors voilà, c’est en effet assez juste ce que tu dis : mon rapport à la religion, et au texte plus particulièrement, est carrément fait d’adhérence et de distance. J’aime son côté explicatif, historique, et même ludique à la limite. Ses contradictions m’attirent, mais pas vraiment pour les conspuer d’urgence, juste pour voir la couche un peu surprenante de «ah, tiens» que ça peut soulever. Et après, j’ai un intérêt pour ses amalgames païens, ses changements de directions, ses drôles de justifications. Mais d’assez loin, oui. C’est une chose dont je suis sans doute un peu issu, mais dont je ne fais assurément pas vraiment partie. Ça attise ma curiosité, mon intérêt, pas ma volonté de m’y soumettre.