01 novembre 2007

6 – Tu ne commettras pas d’adultère

Cette fois encore, Dieu va droit au but et ne s’enfarge pas dans les fleurs du grand tapis des relations humaines.

(20.14) Tu ne commettras point d’adultère.

C’est tout simple. Et tu es même le genre d’adulte rétrograde et borné qui croit que ça revêt un certain sens, et qui concède assurément que c’est rationnellement une façon très efficace d’éviter un tas d’emmerdes. En fait, pas au point d’inclure à ce commandement cette vague théorie qui annexe à la notion d’adultère celle exigeant la pureté de tout organe circonvoisin du pancréas avant le mariage. Pas au point d’inclure le besoin de mariage d’ailleurs.

Bon, cela étant dit, maintenant que tu es moralement blindé (mais juste un peu, disons blindé comme une armée canadienne) contre les attaques du clergé, de la commère du coin de la rue et du futur avocat que tu espères que ta copine n’envisage pas d’engager pour vérifier que tu ne jases pas trop et de trop près avec la charmante voisine, tu affirmes qu’il est tout de même bon que certains aient défié et défient encore ce commandement. Car enfin, de la littérature classique au théâtre d’été aliénant, du film d’auteur franco-austro-paraguayen au feuilleton télévisé scénarisé en série, en supposant que ce commandement ait été ou devienne strictement suivi à la lettre, c’est avec une certaine tristesse que tu imagines l’huile même des multiples couches de la culture actuelle désagrégée dans la térébenthine de l’obédience morale. Qui est prêt à vivre dans un monde où les liaisons dangereuses ne l’auraient pas été? Où madame Bovary aurait fait des tartes à la rhubarbe pour passer le temps? Où les personnages d’un soap n’auraient pas la possibilité d’avoir une aventure avec chacun des autres personnages? Où plus une femme n’aurait de raison de dire: «Ciel, mon mari!» lorsqu’un homme chauve cravaté arrive à l’improviste côté jardin? Où les secrétaires dans les films seraient simplement des secrétaires? Où presque toutes les tragédies grecques auraient eu pour cause une mésentente sur la salaison de la féta?

Non, tu n’es pas prêt à ça. Tu revendiques le droit à l’adultère des autres pour une saine éthique du divertissement.

7 commentaires:

Anonyme a dit...

C'est vrai qu'il est un peu casse-couilles, Dieu. Mais on ne l'imagine pas commander à ses ouailles : « Fais ce que tu veux avec la femme de ton voisin, du moment que personne ne s'en rend compte ». Il est un peu coincé dans son personnage de droite réactionnaire. Malheureusement pour lui, 90% de ses ouailles iront rotir en enfer parce qu'il est absolument impossible de respecter tous Ses commandements à la lettre.

Dieu devrait s'abstenir de donner des ordres auxquels personne ne va obéir. C'est mauvais pour l'autorité. C'est Danton qui le dit, alors ça doit être vrai.

Hortensia a dit...

«Tu revendiques le droit à l’adultère des autres pour une saine éthique du divertissement.»

Et comme chacun sait, je est un autre...

François a dit...

Bien vrai, Bernard, ça créerait un certain émoi dans l’assistance. Et parlant Danton et Dieu, ils ne sont pas si éloignés. Ils partagent même leur réputation de gars assez Indulgents…

Ouf! Hortensia, moi-même n’étais pas assez tordu pour le voir comme ça! Mais bon, tu ne sortiras pas de photos compromettantes noir et blanc, grand format, dans une enveloppe Kraft, j’espère…

Mercurius Mendax a dit...

Ce sont en général des questions bêtement sociales qui sont derrière ce genre de commandements. Qu'importe. Dieu est con, il crée le désir, le désirable et les désirants. Et comme ce n'était pas assez explosif, lui vint l'idée de créer des commandements. En fait il n'est pas con, il est pervers. C'est d'ailleurs contre lui que je me suis mis à adultérer.

François a dit...

Mercurius, s’il faut s’en tenir au texte, je ne crois pas qu’on puisse imputer à Dieu toute la sphère du désir, de la désirabilité, etc. Ça tomberait justement sous la juridiction du concurrent rouge avec cornes et autre extrémité fourchue qui fait de sacrées bonnes affaires depuis qu’il a inventé et commercialisé avec succès la tentation.
Puis « ne nous soumets pas à la tentation », c’est un peu mince comme riposte. Dieu a même eu à ajouter à ce commandement celui-là : « Tu ne désireras pas la femme de ton prochain ». Comme quoi Dieu ne craint pas les difficultés techniques.

Mercurius Mendax a dit...

François, ne trouves-tu pas qu'il y a comme un problème dans ce que tu dis ? En effet, si le désir est la juridiction de Satan (ce qui en soi est discutable), comment se fait-il que la prière "ne nous soumets pas à la tentation" soit adressée à Dieu? Cela implique que Dieu décide ou nous de nous soumettre à la tentation, et donc crée les conditions de la faute. J'ai peine à ne pas trouver cela pervers.

Ceci dit, je pense qu'on peut interpréter ce commandement de plusieurs façon selon le cadre de réflexion qu'on se donne.
1. Il s'agit d'un commandement qui reflète le fonctionnement d'une collectivité archaïque, dans laquelle la divinité patriarcale s'assure du bon fonctionnement de la société en se portant garant de la propriété de chacun et de la perpétuation d
2. si on considère cela d'un point de vue théologique, c'est plus compliqué, car cela touche au problème du mal et de son origine. La loi sanctionne un comportement naturel de l'homme à commettre le mal, mais sans jamais traiter la question de la responsabilité ultime de cette mauvaise action. Dieu créateur sanctionnant sa propre créature par une loi qu'il a créée: les motivations de ce Dieu-là méritent d'être interrogées.
3. Si on évacue Dieu, le commandement devient caduc. Nous sommes des êtres désirants, c'est une évidence. Notre société vénère le désir (pour des raisons mercantiles avant tout) et se hâte de multiplier les raisons de les satisfaire et d'en créer d'autres. La plupart des règles restrictives sont avant tout hypocrites et destinées précisément aux couches sociales qui ne contribuent pas beaucoup à la rentabilisation de cette économie du désir. Comme par hasard, les humbles sont les plus moraux.

François a dit...

Bon, je vais me faire un peu l’avocat du diable, c’est-à-dire que je vais défendre Dieu. Je pense qu’en restant dans l’optique du Pentateuque et du restant du best-seller, on peut associer la tentation à Satan, mais Dieu aime bien se faire interpeller pour justement contrecarrer cet esprit de tentation. Donc, le fameux « ne nous soumets pas à la tentation » vient demander à Dieu de contrecarrer cette tentation, d’empêcher d’y succomber, sans que ça implique que Dieu crée lui-même la tentation. Évidemment, je ne dis pas que c’est toujours très efficace, et bon, je suis plutôt du côté de Gide (j’y vais de mémoire) là-dessus, un mantra comme un autre : la tentation à laquelle on résiste n’était pas bien forte.
Puis si on évacue Dieu, foncièrement oui, le commandement devient plutôt celui d’Oscar Wilde : Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder.