24 septembre 2007

Les dix commandements

L’agente de voyage fut d’abord un peu interloquée quand tu lui demandas ce qu’elle avait comme forfaits pour le Mont Sinaï. Elle tenta d’abord férocement de te convaincre qu’à Cuba, avec un forfait tout compris, tu serais beaucoup mieux, et oh! tiens, on offre présentement de gros rabais pour Cayo Largo. Puis, avant qu’elle ne se mette à ronger ses ongles opalins, tu t’éclipsas en douce et pesas le pour et le contre, qui étaient plutôt légers ce jour-là. Peut-être qu’au lieu d’aller faire ouvrir la mer Rouge avec un bâton, tu serais mieux de considérer la possibilité de substituer Rigaud à Sinaï; ça rappellerait même de bons souvenirs à Dieu, avec son fameux coup du champ de patates transformées en roches, car enfin, saint Pierre se tape encore sur les cuisses à chaque fois que c’est évoqué au party de bureau du Club social en haut.

Puis soudain tu t’inquiètas. Et si en rencontrant Dieu comme ça, Il en profitait pour t’en ajouter une dizaine, subrepticement? Il faut dire que dans le judaïsme, les 10 commandements font partie de 613 commandements (mitzvot, si on te le demande dans un quiz) prescrits aux Juifs, et que bon, si entre autres choses tu n’es pas chaud à l’idée de porter le même couvre-chef en tout temps, tu tiens surtout à préserver le couvre-chef naturel de chacun de tes organes. Et puis, d’un autre côté, tu aurais peur aussi d’avoir à vivre avec une sorte de code de vie hérouxvillois mal rédigé et particulièrement difficile à défendre. Dans ces circonstances, aussi bien garder l’ancien décalogue. Surtout que Dieu l’a fait écrire deux fois dans le Pentateuque, Il devait y tenir un peu; tu sais bien qu’on n’écrit pas un Pentateuque pour le simple plaisir de la chose. Qui a déjà écrit un Pentateuque juste pour le plaisir? Qui?

Donc, sur les tablettes granitaires (ou marmoréennes, au diable les dépenses divines), le doigt de Dieu inscrivit les règles du jeu. Puis, comme Il utilisait parfois des hébraïsmes sémantiques et une rhétorique alambiquée, saint Augustin d’Hippone ramena le tout à ceci:

1 – Je suis le Seigneur ton Dieu;
2 – Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain;
3 – Tu te souviendras de sanctifier les jours festifs;
4 – Honore ton père et ta mère;
5 – Tu ne commettras pas d’assassinat;
6 – Tu ne commettras pas d’adultère;
7 – Tu ne voleras pas;
8 – Tu ne feras pas de faux témoignages;
9 – Tu ne désireras pas la femme de ton prochain;
10 – Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain.

Dieu tenait particulièrement au ton paternaliste, à ses «Fais pas ci! Fais pas ça!», ce qui démontre évidemment un blocage freudien à la phase du non, un attachement aux théories cognitivistes rétrogrades, une soif irascible d’autorité, mais une bonne maîtrise de la négation dans les phrases de base en utilisant un langage soutenu, ce qui en fait un Dieu transversalement compétent.

Par ailleurs, tu considères probable que Moïse a contribué à ramener les paroles à une dizaine bien nette sur deux tablettes par endossement hâtif du système international. Mais bon, peut-être aussi est-ce parce que Dieu avait créé des hommes à deux bras et que 613 commandements gravés, ça aurait fait lourd à transporter (et les sandales de Moïse étaient usées, c’eût été dommage qu’il se fracture le tibia). Mais surtout, avec 613 commandement, les médias en bas de la colline auraient seulement sauté sur les trois commandements un peu plus baroques pour tout décrier et occulter le débat.

Tu t’en doutais, en fait: Dieu écoutait parfois TVA.

Enfin, tu as entendu dire que c’est toujours comme ça aux Saisons de Clodine.

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