06 octobre 2010

Le bloc (ou La bohème, ce n’est plus ce que c’était)

J’ai jadis logé à Hull dans un vieux bloc laid, appartement 4 de 6.

Je sais qu’on devrait éviter de dire un bloc à appartements: ce serait un immeuble. Dans ce cas-ci, l’Office de la langue française devra me passer sur le corps, je maintiens que c’était un bloc; une vraie masse lourde et compacte. Même les balcons semblaient tout faire pour se corroder au plus vite, se détacher enfin de la bâtisse et lui laisser son aspect de bloc. D’ailleurs, la mission secondaire des balcons était probablement de transmettre le tétanos à quiconque eût osé s’en approcher.

C’était un vieux bloc laid, harmonisé au quartier, situé à l’endroit exact où l’urbanisme rencontrait le chaos; l’urbanisme finissant grosso modo dans la cour du dépanneur, du McDonald’s et de la station-service, de l’autre côté de la rue, ce qui constituait la vue si l’idée nous prenait de laisser ouverts les stores de la porte patio déglinguée.

À quelques coins de rue, un grand talus fortement pentu avait nécessité un peu de stabilisation: du béton y avait été giclé sans cérémonie sur la base. Ça allait, ça tenait. C’était un quartier noyé dans le vieil asphalte craquelé. Même les fleurs en plastique n’y survivaient pas. Un arbre de temps en temps faisait ce qu’il pouvait, mais ne pouvait pas grand-chose. Surtout l’hiver. Coup de chance, nous en avions pourtant deux sur le terrain; un feuillu en avant du salon, un conifère sur le côté de la cuisine. Hiver, été, toujours, même au plein soleil: il faisait toujours gris.

C’était le royaume du char monté, du néon bleuté sous la jupette de polymère, de l’aileron qui donne l’illusion de soulever le devant de l’auto, du hoquet des basses qui se répandent pour camoufler de temps à autre le bruit de l’autoroute voisine.

Un jour on ouvre la télé. Hé, c’est le bloc voisin, qu’on se dit mutuellement. Le reporter résume: un type a tué sa femme et commençait à la découper à la scie circulaire quand les policiers sont arrivés. En regardant par la fenêtre de la cuisine, on voyait encore le ruban jaune.

C’était un quartier laid où les voisins avaient des passe-temps non recommandables.

Dire que j’aurais pu être le voisin revenu de tout interrogé par le journaliste: «Ah, vous savez monsieur, moi je l’ai toujours trouvé louche, me suis toujours douté de quelque chose; tenez, je parie qu’il ne mangeait pas de légumes verts et qu’en plus c’est un type qui disait toujours si j’aurais…»

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