10 janvier 2006

Les matins difficiles

Le réveille-matin et moi, nous éprouvons un différend qui ne peut pas s’atténuer. Le dialogue est devenu pénible, irréconciliable. Au début, nous avons fait certains efforts. Maintes fois, je l’ai laissé ruminer ignoblement. Mais ensuite, j’ai dû lui faire comprendre qu’il se méprenait totalement sur le sens de notre relation s’il croyait qu’il lui suffisait de crier pour que j’obtempère aussitôt. Peu à peu, je le crains, la mauvaise foi s’est installée…

Au début, je lui en tins rigueur. Je le négligeais même, parfois. Ça arrive dans les meilleures familles. Nous en avons parlé ensemble. Il me provoquait avec ses aiguilles qui arrivaient trop tôt sur certains chiffres fatidiques. Le matin, il me narguait, je le sentais bien. Je résistais à la tentation de le mutiler, de lui arracher la pile proéminente qui se détachait dans son dos, tel un talon d’Achille mal dissimulé. Il aurait été si facile de le déposséder de son énergie vitale! Pour le bien commun, je me retenais et me répétais combien il était vile de s’en prendre à plus petit que soit.

Notre relation ne pouvait plus continuer. Un jour, impunément, je l’ai remplacé par un plus gros, plus performant, plurifonctionnel et tout… J’attisai sa jalousie et envoyai finalement paître son mince attirail de plastique jaune, translucide, aux oubliettes des cadrans mal-aimés. Une nouvelle relation pouvait naître, sur de bonnes bases solides.

Néanmoins, je refusai de le laisser siffloter doucement au réveil. C’était le cri guttural, la manière forte qu’il me fallait! Lorsque ma blonde et moi emménageâmes ensemble, elle prit soin de souligner que, pour les matins où les horaires coïncidaient, elle serait responsable du réveil, elle qui (à l’aide de son cadran à elle) maîtrisait avec doigté l’art du lever au petit jour, et qui abhorrait la rustre charge émotive de mon radio.

Les horaires s’étant stabilisés, j’ai redéfini mon appréciation du sommeil matinal, ma vision du déjeuner rapide, puis j’ai de nouveau eu recours au réveille-matin. Le cri guttural fit lentement place au bourdonnement d’une radio aux ondes plus ou moins claires.

Hier soir, c’était la fin d’une époque. J’ai cédé : j’allais opter pour le CD. Or, la tâche est ingrate; elle ne peut être confiée à n’importe qui. Quel disque pourrait convenir, sans que ne lui soient associées les représailles de ma mémoire pour ces dérangements matinaux malaisés, mais obligatoires? J’ai cherché rapidement, à la dernière minute. J’ai ouvert un boîtier des Beatles, mais les disques avaient pris la fuite, avec tant d’autres, dans un étui que le froid séparait de moi. Le choix était donc limité. Sur le bureau, j’en pris un au hasard, acheté sans trop de discernement, et le mis dans le gosier du réveil. Je ne poussai même pas la curiosité jusqu’à regarder le titre de la première piste, trouble-fête à venir…

Ce matin, à l’heure convenue, tonitrua la première piste de l’album : « Shut up! »

Incroyable, c’était justement la pensée qui me traversait l’esprit, exaspérant mais nécessaire réveille-matin...

4 commentaires:

Mamathilde a dit...

Pffffff, les gens se moquent de moi parce que j'ai une relation très particulière avec mon hibiscus, que j'appelle Roger, que je fais parler et qui me prend pour sa mère. C'est rien comparativement à ta relation avec ce cadran!

François a dit...

Eh bien... c'est plutôt réjouissant!
Je suis moi-même le père adoptif d'Henri (2e du nom), une plante verte. Probablement par orgueil, il essaie de le nier et déteste lorsqu'on l'affirme; pourtant, il s'agit bel et bien d'une plante verte.
Mais un hibiscus appelé Roger, ça doit être fascinant...

Mamathilde a dit...

Sans doute, si ça t'intéresse, tu peux aller lire les "Chroniques dans un pot de fleurs" qui sont dans la colone de droite sur mon blogue. Commence par "Roger au mois de mai" et remonte

François a dit...

C'est intéressant, en effet!
Hum... Ton hibiscus, c'est "Roger" Maria Rilke?
:)