12 janvier 2007

Il faut qu'on parle d'Onan

Tu as possiblement passé quelque temps à lécher la vitrine du columbarium, mais c’est finalement contre la paroi de l’aquarium que tu t’es décidé. Un peu secoué, tu t’es rué vers le commis en fixant par imagerie mentale les contours du poisson rouge que tu avais élu parmi tous. Un poisson rouge messianique pour la modique somme de 98 cents: une aubaine comme on en voit peu dans l’Ancien Testament.

- Excusez monsieur, mais j’aurais besoin d’un poisson.

Tu n’aurais pas cru quelques instants plus tôt que ce poisson était un besoin, mais bon… c’est sorti un peu n’importe comment. Sans égard pour les sacs de moulées qui t’entourais, tu as utilisé instinctivement ta phrase préfabriquée pour usage dans toute bonne quincaillerie.

Lorsque le commis est revenu avec son sac transparent rempli d’eau, tu avais 9 ans et suivais ton poisson du regard. Il était vigoureux comme pas un; un excellent choix.

Très vigoureux à vrai dire. Vraiment. Tu te dis donc que ce serait une excellente idée de le nommer Onan. Oh! pas pour faire scandale, mais parce que tu trouvais ça assez drôle pour pouvoir l’assumer. (Supplément d’information: Onan est un personnage biblique, mais les curés en parlent très peu pendant la messe de minuit, qui subit le courroux divin pour avoir «laissé sa semence se perdre dans la terre» et qui fut dénoncé dans la Genèse.) Bref, oui, un poisson qui se vautre dans le stupre. Sa dignité s’en allait à vau-l’eau.

Prêt à assumer, mais pourtant, quelques instants plus tard à la caisse, alors que le petit garçon devant toi fixait le poisson dans un mimétisme qui ne l’avantageait guère, tu renias Onan pour la première fois.

- Comment tu vas l’appeler? s’enquit le garçon.
- (Désobéir au commandement Tu ne mentiras point est préférable pour les oreilles du jeunot, te dis-tu.) Je ne sais pas encore. Je verrai.
- Moi, je l’appellerais P’tit-Renne-au-Nez-Rouge.
- (Rêve encore, petit!) Ah! Peut-être.

Bon, oui, tu l’as laissé dans les ténèbres loin de la vérité, mais ce n’est pas comme si tu avais à bâtir une église sur une pierre pour ton poisson qui ne s’était même pas multiplié. Et tant qu’à y être, tu préfèrerais changer l’eau en vin auparavant.

Toutefois, lors d’un souper du temps des fêtes, la situation que tu appréhendais arriva. Un léger silence se glissa dans la conversation générale. Une voix s’éleva: «Comment t’as appelé ton poisson, au fait?» Et tu l'assumas, après un petit toussotement.

- Onan.
- Hamman? Ohram? Uhnän?
- O-n-a-n. (Tu es fort en épellation. Ta copine, elle, suivait la scène avec amusement.)
- Ah, c’est original en tout cas. C’est arabe?

Et tu posas ton regard torve vers ta copine lorsqu’elle demanda avec un sourire entendu:
- Et ça vient d’où… C’est biblique, non?

Tu éprouvas alors combien on parle en général bien peu de l’onanisme et de l’Ancien Testament lors des repas du jour de l’an en famille.

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