21 septembre 2010

La Tague littéraire (2/3)

Et là, monsieur le psy, comme je disais avant que vous vous assoupissiez en émettant des bruits avec votre bouche…

8. Rencontrer ou ne pas rencontrer les auteurs de livres qu’on a aimés?
Je ne crois pas qu’on ait fréquemment croisé Agatha Christie dernièrement. Mais sinon, rencontrer ou ne pas rencontrer l’éleveur du cochon qui a fini dans ton sandwich au jambon? Rencontrer ou pas le gars qui a fabriqué le sofa sur lequel tu aimes t’étendre le soir dans ton salon? Je l’admets, c’est une échappée pour faire diversion.
Je ne sais pas finalement, je ne suis pas contre, sauf que ça n’arrive pas vraiment, et c’est correct comme ça aussi. J’ai déjà croisé Stéphane Bourguignon sur le trottoir, rue Saint-Denis, et je ne me suis pas dépêché de changer de côté, mais je ne me suis pas arrêté pour le féliciter pour le ragoût de bœuf qui porte son nom et tout… J’ai aussi rencontré Georges Perec dans une station-service de Sept-Îles, mais bon, je me suis dit qu’il ne savait probablement pas qui il était.
Ça, et le fait que je suis un peu sauvage de nature. Vous refermerez la porte en sortant, d’accord?

9. Aimes-tu parler de tes lectures?
Bah, pas tout le temps, pas avec n’importe qui, mais j’y prends souvent plaisir, peut-être parce que ce n’est pas si fréquent après tout; on trouve autour de la machine à café beaucoup moins de gens qui ont lu un même livre que de gens qui ont regardé un même match ou une même émission de télé. Et comme souvent lorsqu’ils ont lu un même livre, ce n’est pas nécessairement un livre que je tiens à lire, on ne s’en sort pas (bon…et quand je serai mort, j’veux un suaire de chez Dior).
J’aime être en désaccord, j’aime quand ça s’enflamme, comme d’autres s’invectivent pour déclamer que le but d’Alain Côté était bon ou non. Je tolère les énormités, j’en ai entendu, j’en ai souvent proféré, c’est le jeu; c’est un des seuls moments où je tolère et même apprécie la mauvaise foi, je veux que ça revole.
J’admets aussi que j’ai le spectre mince; je déteste autant les joviales chroniqueuses qui suggèrent des livres remplis d’émotions dans lesquels on se reconnaît que les pointues entrevues à la radio où des animateurs et des auteurs parlent du constructivisme (s’ils prononcent -iiizzzmmmeeuh, ça m’accable encore plus) cognitif liminaire sous-jacent à… et comme je change de poste à ce moment, je ne sais pas sous-jacent à quoi. Et comme je tombe alors sur une annonce ridicule de magasin de meubles, c’est d’autant plus énervant.

10. Comment choisis-tu tes livres?
Étonnamment, en bout de ligne, souvent à la couleur et à l’odeur.
Tant pis pour les prochains patients, je serai exhaustif.
J’ai un fichier plus ou moins ordonnancé des livres que j’aimerais lire, que j’essaie d’entretenir au fur et à mesure que se pointent critiques, suggestions d’amis, références d’un livre dans un autre. Le système est bien huilé. Les livres que je veux le plus ardemment sont listés en gras; il y a même du surligneur jaune pour ceux que je veux le plus-plus ardemment; et il y a du gris pâle pour ceux que je veux encore, mais moins que je les ai auparavant voulus. Je n’ai pas peur de remanier, d’exclure, de recruter. Le taux de roulement est majeur.
J’enchaîne avec ma stochastique maison: je me calcule mentalement une sorte d’indice de probabilité de trouver chaque titre dans les boutiques de livres usagés que je fréquente le plus. Indice élevé, je n’achèterai pas le livre neuf, j’attendrai de le croiser. Indice faible, je n’hésiterai pas à sortir la carte de plastique pour du frais relié.
Dans la boutique de livres usagés, je ne sors pas ma liste, ce serait d’un mauvais goût. Je vais aux A et je prospecte chaque rangée. Dans l’algorithme général, je m’arrête si je trouve quelque chose qui brille dans le sable, je prends l’oripeau et je jauge. Au début, j’étais inexpérimenté, indiscipliné: ah, ce n’est pas ce livre-là de cet auteur que je voulais, ce livre est tout jaune, la couverture est laide, la reliure craque, il pue l’humidité et la cigarette… d’accord, je le prends. C’était avant. Maintenant, je suis un modèle critique de la raison sereine (non disséquée par Kant). Je fais davantage confiance aux futures occasions, je me permets d’attendre. À l’heure des choix difficiles, je peux donc aller jusqu’à inspirer un peu pour savoir si un livre convoité est propre de son objet; je choisirai préférablement un livre sans champignons, qui ne donne pas le cancer du poumon. Et je continue jusqu’à Z, puis analyse la récolte.
Dans les librairies de livres neufs, autre stratégie, ça dépend du temps disponible, et de la patience d’autrui si je ne suis pas seul. Je négocie avec ma copine: je suis entré tantôt dans tel et tel magasins, j’ai droit à 15 minutes ici (le ton affirmatif, assuré, est de mise). Quand je sens que mes revendications passeraient mal, je joue prudemment: je vais juste regarder s’ils ont (j’insère un titre, pas un trop facile, pas un livre avec lequel on fait des pyramides visibles à trois magasins de distance), c’est tout, s’ils l’ont je le prends, sinon basta!
Mais je sais qu’à tout moment un livre peut court-circuiter la liste, un titre peut me faire de l’œil. Je me laisse séduire par la quatrième de couverture, je regarde un peu sous la jaquette, zyeute l’incipit, et pourquoi pas, une page en plein milieu (elle ne se déplie pas); j’ose à peine l’avouer, mais je peux alors être un gars très facile.

11. Une lecture inavouable?
Un peu, oui. Prise individuellement, ça peut arriver. En bloc, non, j’assume très bien, ça va. Ma bibliothèque ne cache rien, pas de double-fond ou de pan de mur qui pivote. Mais bon, il y a des milieux où il semble que la lecture elle-même soit une petite tare. Enfin, c’est ce que je déduis quand on me demande pourquoi je ne fais pas juste attendre que ça sorte en film.

12. Des endroits préférés pour lire?
Quoi, il y a des endroits autour quand on lit? Généralement: dans les salles d’attente, dans les parcs, sur le bord de l’eau, dans toutes les positions assises et couchées des fauteuils et des lits, sur le patio, dans la salle de bains, au restaurant si j’y suis seul, en auto et dans n’importe quel mode de transport que je ne conduis pas, puis parfois en marchant si le parcours ne comporte pas trop d’obstacles (je m’abstiendrais par exemple dans le Grand Canyon, pour éviter notamment de me faire foncer dessus par Thelma et Louise, ou dans quelque autre endroit périlleux, comme sur un passage piéton à Montréal).

13. Un livre idéal pour toi serait ?
Un livre avec des mots, des pages, le truc habituel, mais qui sache éviter le moule. Le livre générique québécois de la femme forte québécoise d’antan, jolie sans le crier, avec un charme tranquille, qui a la force et la détermination et les opinions de la modernité, qui a soif de liberté, d’émancipation et de justice sociale, qui est responsable de famille depuis qu’elle a neuf ans et demi, qui contrôle tout, mais dans l’ombre un peu, dans l’humilité à tout le moins, ou qui tombe en amour de façon immensément lyrique avec un type d’une classe différente de la sienne, que tout sépare et que l’amouuuur réunira, aaaääähhh… eh bien non, ce n’est pas le livre idéal pour moi.

14. Lire par-dessus l’épaule ?
Lire par-dessus mon épaule, non jamais, ça me fait beaucoup trop mal au cou. Question piège, tout le monde sait que tout le monde déteste qu’on lise par-dessus son épaule.
Donc, quand je lis par-dessus l’épaule des gens... car bon, on ne résiste pas toujours, ne pas lire est difficile quand il y a du texte devant soi, la moindre des attentions est de se faire le plus discret possible. Je réussis à bien me tenir, je me concentre ailleurs.
Mais ce que j’aime plus que lire par-dessus l’épaule des gens, c’est tenter de deviner ce qu’ils sont en train de lire et tenter de corroborer. La fille dans le coin, pariez sur un Paulo Coehlo; un Harry Potter par là; lui c’est un Sénécal; et ça sent le Marie Laberge à plein nez pour la madame à droite. Et je juge un peu, j’extrapole, comme si un livre voulait tout dire. Je me congratule: bien vu, Dan Brown dans le coin droit, un autre point. Je me désole parfois: bon, un livre sucré avec un cow-boy et une ingénue en frontispice sur le bureau d’une jolie réceptionniste. Quoi encore? Je l’ai bien stipulé que je pratiquais la mauvaise foi.

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