05 juillet 2010

Cinquième épître – les animaux d’Afrique

Cher Mowgli du salon,

Sur ton tapis de jeu tout breveté pour contribuer à l’éveil optimal du poupon, tu mâchonnais farouchement Francine (ou Francesca, si on porte attention à ses origines italiennes), une girafe de caoutchouc jaune aux grands yeux bleus que tu trouves particulièrement de ton goût, et je me suis dit que nous entretenions tout de même un drôle de rapport avec les animaux d’Afrique. Tu étais étendu sur une tête de lion de quatre textures différentes de tissus, un zèbre tournoyait à ta gauche, un singe (le truc orange) recevait gifle sur gifle de ta part droit devant, un éléphant et un deuxième lion s’apprêtaient à prendre la relève en deuxième plan. Évidemment, ils sourient tous; évidemment, tous les animaux d’Afrique veulent ton bien.

Bref, tous les messages concourent à t’indiquer que les animaux d’Afrique sont un peu mous, font du bruit lorsqu’on les brasse et sont destinés à être mordillés et tapotés à volonté.

Il serait bon et sage qu’on songe à te donner un second avis sur le sujet; ce serait désagréable que tu te prennes pour Steve Irwin la fois où tu rencontreras un lion en allant à bicyclette dans le quartier.

D’ailleurs, ça soulève une autre question: les orignaux, harfangs des neige, castors canadensis, caribous, rats musqués et autres ouaouarons pas plus fins sont-ils utilisés pour les tapis de jeu des enfants asiatiques ou australiens?

2 commentaires:

Bernard a dit...

Tu le fais à la blague, mais tu as mis le doigt sur quelque chose. POURQUOI imposons-nous à nos enfants des bestioles africaines?

Hypothèse 1) par la perpétuation routinière d'anciens mythes remontant à l'origine de l'humanité (un peu comme les travaux d'Hercule sont la transcription de légendes préhistoriques relatant, par exemple, la domestication du cheval -- authentique)

Hypothèse 2) il s'agit d'un héritage de pratiques culturelles plus récentes. Au choix : les jardins d'acclimatation des cours européennes, les grandes expositions universelles du début du XXe siècle ou un autre héritage colonial

François a dit...

Hypothèse 3) La disneyfication de nos rapport avec les animaux : les animaux, mêmes les dangereux, ont aussi des émotions. Bon, Bambi n’arrête pas de chigner; les souris, on a fait le tour; les poissons, ça fait un temps... Puis comme il faut faire attention pour que les jeunes nord-américains ne s’attachent pas aux animaux au point de ne plus vouloir manger de poulet, les animaux africains offrent un créneau de choix; pas de danger qu'on ne veuille plus de steaks de girafes.

Hypothèse 4) (dite l’hypothèse plate) Les animaux africains sont tout bêtement, d’une façon générale, des animaux qui ont un séduisant avantage en fait de design animalier : cou élancé, rayures et motifs, crinière orbiculaire. Rares sont les autres animaux qui se démarquent ainsi. Les conventions en la matière admettent le kangourou, le panda, le koala à la rigueur, l’ours polaire, le pingouin… rien pour donner l’avantage à un autre continent et permettre l’équilibre des couleurs.

Hypothèse 5) On peut faire un hippopotame rose, on le reconnaît. Faisons un chevreuil vert, euh, mais qu’est-ce que c’est?

Hypothèse 6) La déculpabilisation du désintérêt général vis-à-vis de l’Afrique : mais si, mais si, on s’y intéresse à l’Afrique, mes enfants ont tous adoré jouer avec la girafe… (à jumeler à l’hypothèse 7)

Hypothèse 7) La méconnaissance des animaux africains se traduit par le fait qu’on amalgame facilement girafes, lions, singes, éléphants, crocodiles et autres en un tout jugé cohérent : l’Afrique est un grand pays où tous les animaux jouent ensemble dans la savane. On ferait la même chose avec lynx, lapins, chevreuils, orignaux, renards, loups, on se demanderait qui est l’intrus, pourquoi avoir mis un lapin, et surtout, mais comment a-t-on pu oublier d’inclure le tamia rayé, je vous jure, c’est un affront aux tamias.

Hypothèse 8) Les animaux d’Afrique ne sont pas syndiqués et sont libres de droits, ils doivent se taper tous les boulots… alors que pour engager un renne ou deux, ah, il faut faire la file; ils travaillent une nuit par année, mais on ne peut rien leur demander le reste de l’année.

Cela dit, j'aime bien les principes sous-tendus par l'hypothèse 2.