12 mai 2010

Boileau, le juge et moi

Monsieur le Juge,

On s’est vus dernièrement. Avant de prétendre que c’était la première fois que je voyais un juge, je me ravise, un cousin de mon père est juge. Le titre n’énerve d’ailleurs pas une de leur vieille tante, qui frôle la traversée de son siècle personnel, qui lui a demandé dernièrement s’il ne se teignait pas les cheveux par hasard. Moi, je faisais preuve de retenue, je n’ai pas parlé de teinture avec vous, je ne me sentais pas très à l’aise dans votre boudoir municipal. Sans vouloir vous vexer, on vous aurait dit fâché de manquer vos téléromans.

Juridiquement, vous m’avez donné raison. Une histoire d’arrêt qui n’aurait pas été fait sur la ligne. Tout ça à un endroit où il n’y a pas de ligne d’arrêt et où la présence d’un panneau d’arrêt contrevient aux normes. Bref, une victoire dans un sens, une situation néanmoins particulièrement désagréable. Je ne le recommande pas à mes amis.

Le plus dur, à vrai dire, ce fut de gommer toute répartie, de rester toujours calme et courtois, de répondre le plus efficacement et rapidement possible aux questions que vous et votre procureur posiez, comme si toute question obligeait un oui ou un non et que vous seuls étiez maîtres ès nuances.

J’avais écrit un texte et apporté des photos pour illustrer la situation. Lorsque j’ai commencé à lire la description de l’intersection, le nombre de voies, les feux, les voies d’accès protégées par îlot déviateur du côté nord, vous m’avez dit que je n’avais pas droit au texte. Je trouvais ça un peu étonnant, mais j’aurais compris. J’ai moins aimé que vous décidiez alors de citer Boileau. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. Cette phrase que vous devez utiliser comme un passe-partout, estampée d’un «J’ai fait le cours classique, moi, jeune homme», elle m’énerve beaucoup. Si l’envie de mettre mes connaissances à l’épreuve vous était venue et que vous m’eussiez demandé qui vous citiez, j’aurais aimé vous répondre que c’était sûrement un de vos vieux profs, mais ça n’a pas eu lieu. J’aurais bien aimé vous demander si vous connaissiez par contre les vers qui suivaient. Si vous saviez qu’ils s’appliquaient aux écrits? Avec un peu d’à-propos, j’aurais aimé vous les balancer par cœur.

Mais surtout, plus tard, alors que le procureur se gonflait de sa propre prose et s’embourbait dans sa syntaxe à la fin, j’ai vraiment travaillé très fort pour réprimer mon sourire railleur: ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement…

Bon, saluez la greffière de ma part, elle semblait gentille.

2 commentaires:

Bernard a dit...

C'est comme à la douane : il faut serrer les fesses et attendre que ça passe, en se disant que, peut-être, il y a un dieu, et que ces pourritures crèveront un jour en enfer.
Bloguerais-je encore, je répliquerais à ton billet par un texte sur mon notaire, cette « chose » qui relègue Jean-Marie le Pen au rang d'enfant d'école. Mais je ne blogue pas, et je ne peux qu'imaginer ce macaque en train d'agoniser seul dans son bureau, quand une petite veine éclatera dans son vieux cerveau imbu de sa propre matière grise.

François a dit...

Pour ce juge, je dirais que s’il a une femme qui lui ressemble un tant soit peu, ça va pour l’enfer; dieu ou pas, il aura déjà écopé.

Tu es passé chez le notaire pour un troc de cabane ou pour prévoir la répartition de ta fortune après trépas? Non pas qu’un soit plus palpitant que l’autre, mais le second cas reste une expérience assez extraordinaire. Sans dire que mon spectre de connaissance des notaires est particulièrement grand, ceux que j’ai rencontrés étaient globalement inoffensifs. Un était incroyablement bavard et se donnait en représentation avec ses blagues de notaires qu’on devinait récurrentes, un autre parlait davantage de son voyage en Grèce que du contrat d’achat de la maison, celui de la première rencontre pour le testament ressemblait en tout point à un vieux curé à peine défroqué. Une autre est gentille et tout, mais c’est quasiment ma tante, alors ça ne compte pas.