08 avril 2010

Troisième épître à fiston – la naissance

Cher nouveau dictateur du logis,

Le vendredi 12 mars 2010, on s’est présentés en matinée à l’hôpital comme on se présente à la réception de l’hôtel pour prendre les clés. Bonjour, nous avons une réservation pour un forfait accouchement avec deux nuitées. On aimerait avoir le service de chambre, s’il vous plaît. Ils avaient bien la réservation.

Jour de chance, je crois qu’on a hérité de la plus grande chambre. Pas de bible racornie dans la table de chevet, ils l’ont remplacée par une machine qui fait ping. L’infirmière a apporté la jaquette d’hôpital, un grand morceau de tissu vert menthe avec des fines lignes entrecroisées, brunes, orange et vert lime, et de la ficelle un peu partout pour faire des économies d’échelle en ne payant pas pour des coutures. Selon l’assemblage qu’on en fait, on peut s’en servir aussi comme tente ou comme cerf-volant. Ta mère s’est donc déguisée en cerf-volant, et il y avait dans ses yeux un message clair: pas un rire et pas de photos.

Le médecin est entré, elle a dit bonjour à ta mère, m’a regardé (ou a regardé la fenêtre?) en se disant ah tiens, un pare-soleil, et a rapidement fait preuve de persuasion médicale pour te convaincre efficacement de déménager. On avait apporté un jeu de questions, on passait le temps, on tentait d’identifier les bâtiments qu’on voyait par la fenêtre. Les contractions se sont accrues. Je le sais, car ta mère a alors raté une question facile de géographie. Manque de concentration, si tu veux mon avis.

L’épidurale fut alors commandée pour livraison immédiate. Ensuite, tout s’est accéléré. Tout juste le temps de rater les questions de la catégorie Sports, ce qui ne découlait pas exactement d’un manque de concentration, et on s’apprêtait à passer à la partie où il fallait pousser en suivant les directives.

Mais bon, je n’ai évidemment pas eu grand-chose à faire. Ta mère a fait pas mal tout le travail, sans rien déléguer, en forçant jusqu’aux oreilles. J’ai fait mon meneur de claque du mieux que je pouvais à côté, surtout pas trop, quand il fallait, en duo avec l’infirmière; un dialogue qui, maintenant que j’y pense, aurait été indécent dans d’autres circonstances. Le médecin est revenu dans les dernières foulées du marathon sur lit, pour la réception. Investi de mon rôle de meneur de claque, j’ai dit lors d’une des poussées que je croyais que ça y était presque. Je ne sais pas si le médecin s’est dit que le pare-soleil se prenait pour un docteur, mais bon, l’oracle s’est prononcé: quand elle allait le dire, il allait falloir pousser fort, mais pas trop vite, ensuite retenir le souffle un peu, suspendre légèrement, puis pousser encore. Simple de même. Je ne sais pas si ça s’est exactement passé comme ça, mais dans le temps de le dire, tu as glissé, un jet de liquide amniotique est passé par-dessus l’épaule du médecin et on t’a déposé sur ta mère.

Il était 15 h 36.

Tu as gueulé comme un mal élevé, puis tu as découvert que de l’oxygène, ce n’était pas si mal après tout. J’ai coupé ton cordon comme dans les films. On comptait tes orteils, tes doigts. On trouvait que tu avais des grands pieds. On riait de ton manque de coordination. Et si le monde continuait de tourner, dehors, ailleurs, loin, pour les autres, on n’en avait plus que très vaguement connaissance.

C’est comme ça qu’on a raté la sortie du placenta. J’imagine qu’il a bien fait ça lui aussi.

3 commentaires:

Bernard a dit...

À part le coupage de cordon, on aurait juré le récit de la naissance de mes deux fils. Bienvenue dans la gang.

François a dit...

Merci. On commence à se faire à l'idée, qu'on est dans cette gang-là maintenant...

Butterflies in my stomach a dit...

:-)