01 mars 2010

Première épître à mon futur fils premier-né

Futur coloc,

C’est avec tout plein de solennité que je te l’annonce: épître est bien un nom féminin. Mais bon, c’est peut-être un mot qui aura disparu lorsque tu apprendras à lire (on ne veut pas trop te pousser, mais on vise avant deux ans). Un jour, sans trop t’y attendre, tu tomberas peut-être sur ce mot en faisant tes mots croisés (on vise dans quatre ans). Bien entendu, le genre des mots n’a généralement pas trop d’importance dans les mots croisés. Mais si tu me permets ce conseil, je souhaiterais que tu te mettes aux mots croisés plutôt qu’au skeleton. Ou pire, au curling.

J’ai vérifié dans le bulletin municipal, la municipalité n’offre pas de cours de skeleton cette année (tu vois, tu aurais alors peu de chances pour les Jeux de Sotchi). On préfère aussi songer que tu ne deviendras pas skip pour placer des pierres dans la maison (ça userait les planchers).

D’ailleurs, je te le conte pour l’anecdote et pour la portée philosophique (c’est une épître après tout) même si en fait tu étais là avec ta mère et ta doudou-placenta, on a eu notre dose de curling vendredi.

On est allés voir Avatar en 3D. Ne ris pas de nous, le 3D était tout un argument à cette époque. Franchement, tu crois qu’on y serait allés sinon? Dans le même genre, Pocahontas avait le mérite d’être beaucoup plus court. Je te résume: des créatures bleues virevoltent sur des oiseaux colorés en contournant des rochers antigravitationnels; souffrent longuement des affres de la chicane et d’un mauvais scénario; vainquent l’ennemi de façon totalement imprévisible en lançant des flèches sur des types qui ont des armures et des mitraillettes (mais eux n’ont pas le cœur pur… tous des sauvages, comme dirait Pocahontas ou son chum); et ils font tout ça en 3D en trouvant l’amour, le sens de la fraternité et la paix intérieure, entourés de plantes électroluminescentes et de méduses spirituelles. Point fort du film: jusqu’à maintenant, pas de curling.

Le film finit par finir, on sort du cinéma et on se dirige en 3D mais sans lunettes jusqu’au restaurant le plus près, car la guerre des mondes et la grossesse sont deux choses qui ont pour effet de creuser l’appétit. On arrive au restaurant, on dit bonsoir, on dit qu’on est deux (ce qu’on risque éventuellement de moins dire). La dame nous invite à la follower. Ça nous énerve déjà un peu. On la follow tout de même jusqu’à la table, qui est assez haute. Je m’assois; ta mère entreprend l’ascension du tabouret. Derrière le bar, difficile de ne pas le remarquer, l’homme-bar anglophone est une vraie caricature, cheveux foncés teints blonds, bien lissés, gelés, crémés, graissés vers l’arrière. Il s’affaire en regardant la transmission du match final de curling des femmes, le grand affront Canada-Suède. Bien maquillée et sans sueur, Cheryl Bernard se penche sur la glace et envoie une pierre rouge frapper une pierre jaune. Le barman a une émotion et lâche Cheryl des yeux pour me regarder. Nice shot, isn’t it? Euh, j’ai cherché mon sourire sympathique «oui, oui, toute la Suède doit trembler». J’ai peur de m’être trompé, j’ai peut-être sorti involontairement celui qui disait que je le trouvais vaguement ridicule. Ta mère finit par atteindre le camp de base ou le sommet du tabouret. Sans Sherpas. On savoure sa victoire en mangeant dans la douce ambiance d’une finale de curling avec un barman qui commente tous les coups. Du vrai bonheur sur glace.

Ta date de mise en circulation arrive sous peu. La science moderne et ses roulettes de carton plastifié avancent le 3 mars, ce qui est quand même après-demain. D’ailleurs, la première chose ou presque que j’ai faite en apprenant ta création fut de vérifier que 2010 n’était pas une année bissextile (une année qui est autant attirée intimement par les années paires qu'impaires). L’absence de 29 février m’a réjoui, je me serais mal vu devoir t’expliquer pourquoi tu n’avais pas de fête trois ans sur quatre. Déjà que ma sœur est née le 2 janvier, vous auriez pu faire un palmarès des mauvaises dates d’anniversaire.

Tu n’es pas arrivé trop en avance, on a écouté les cérémonies de clôture des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver. Ah l’hiver… on t’expliquera un jour: les bancs de neige haut de même, comment c’était dans le temps, les raquettes en babiche, ta mère qui vient de Lévis, là où les entrées de l’autoroute 20 sont munies de clôture… Mais sinon, finalement, engourdis par tant de mauvais goût, on a trouvé la cérémonie très désagréable à écouter. Tu aurais pu te présenter en avance, ça ne nous aurait pas fâchés.

Bon, je me disperse, mais arrive quand tu veux, on sera là.

On fera toute l’affaire, la respiration, le comptage des contractions, tout ça. On aura des émotions. On sera humains. On te laissera un coin du salon pour tes jeux aux couleurs criardes, quand ce ne sont pas les jeux eux-mêmes qui sont criards. On se laissera envahir. On acceptera que tout le monde nous demande des nouvelles de toi plutôt que de nous. On mettra de côté notre pyramide de Maslow pour toi. On n’aime pas les pyramides tant que ça de toute façon, ce n’est pas un problème.

Mais ta mère veut qu’on enregistre Lost si tu arrives mardi.

2 commentaires:

Unknown a dit...

Ohh...c'est pour maintenant ce bébé donc! C'est beau ce billet. Ça me chatouille les souvenirs un peu.
Prenez soin de vous trois et profitez-en bien.
J'ai déjà hâte d'en entendre parler.

François a dit...

Oui, c’est presque le moment du saut, le passage à l’autre étape.

Le chatouillement, je le vois dans le sourire des collègues, des amis, le maudit sourire des initiés… ah, l’innocent qui ne sait pas ce qui l’attend. Un sourire évocateur à la «tu verras».

Et je reste assis devant un rapport que je ne sais pas si je vais finir, avec des dossiers que j’ai classés autant que possible de façon ordonnée sur le bureau. À côté d’un téléphone qui m’énerve chaque fois qu’il sonne. Tiens, je vais laver ma tasse au cas où...

Puis ça arrivera. On fera partie des initiés. Bientôt. Tantôt. Ou avant ou juste après.