28 mai 2012

Vieille nouvelle

Au secondaire, on nous avait fait écrire une nouvelle pour le cours de français. Ça avait donné ce qu’on attendait vraisemblablement: une chute un peu calculée, juste assez retorse pour l’évaluation de l’originalité, un texte académique respectueux des règles où j’allais chercher une bonne note en restant grammaticalement toujours très sage (quoi, une anacoluthe, ciel, que le grand cric me croque), en conjuguant bien mes verbes et en parsemant çà et là ce qu’il fallait pour que l’enseignante puisse cocher la case «l’élève utilise un vocabulaire riche et précis». Dans cette nouvelle, je m’en souviens, j’avais misé là où il le fallait sur pusillanimité, diaphane, marmoréen et rococo.

Bref, au risque de gâcher l’effet de surprise, le personnage principal (pusillanime) se rendait finalement à l’aéroport (marmoréen), mais ne se résolvait pas à prendre son avion. Au même moment, coup de théâtre mi-convenu, sa copine, qui lui faisait la surprise de revenir ce jour-là dans un avion de Swissair parti de Zurich au préalable (bien sûr que c’est arrangé avec le gars de la nouvelle), s’écrasait sur le littoral terre-neuvien. Plan fixe sur l’horloge, voyez bien qu’elle est en train de ne pas arriver.

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J’ai un peu hésité, en réservant le billet d’avion, lorsque j’ai vu le retour Paris-Montréal avec une escale à Zurich à bord de Swissair. Et le lendemain, quand je me suis dit que je pouvais bien choisir ce vol, que tant pis, et que bah, et qu’enfin c’est pas parce que, et que ça doit être joli Zurich, et que trêve d’anacoluthe comme preuve de désobéissance grammaticale (pff, même pas peur), comme ce vol était momentanément ou définitivement indisponible, ça ne m’a pas particulièrement dérangé de prendre le vol avec l’escale à l’aller et au retour à Amsterdam.

Ça me semblait soudain une bonne chose de ne pas avoir écrit de nouvelle où un avion néerlandais s’écrasait à Terre-Neuve.

Ça permettait surtout de faire une visite expéditive pendant que mon bagage se faisait rudoyer entre deux fonds de soutes.

Je confirme, tout ce qu’on dit sur Amsterdam est vrai: vélos partout, jolis canaux sous de vieux ponts de pierre, tulipes en fleur, parfum de marie-jeanne jusque dans le cœur des frites, sollicitation dans les portes-fenêtres à 9 h du matin des demoiselles peu vêtues qui donnent leur vertu pour une pièce en or, camions de Heineken partout pour ravitailler les bars plein de bières et de drames où on boit et reboit et reboit encore. Enfin, tout est vrai, presque tout: pas vu qu’y a des marins qui chantent les rêves qui les hantent ou qui dorment comme des oriflammes le long des berges mornes.

Mais il faisait un peu gris, et ça je suppose que c’est à cause des marins qui se mouchent dans les étoiles.

07 mai 2012

La mort (avec vue côté hublot)

Je pense rarement autant à la mort que lorsque je suis sur le point de prendre l’avion. Ça va quand même, je connais relativement les statistiques, et ce n’est pas si tortueux, j’enclenche le processus de ratiocination. Je m’en sors bien, et je suis même heureux d’avoir un siège côté hublot. C’est que je trouve ça joli l’aube au-dessus des nuages cotonneux. Un peu quétaine, peut-être. Un monde de Calinours avec une épée de Damoclès biturbopropulsée, ça reste joli. Et j’aime passer des tests de géographie et projeter des frontières de pays. Et regarder les petits ponts au-dessus des rivières linéaires où passent des humains dépersonnalisés dans des petites autos sur la maquette de ma planète. Et je me dis que je pourrais corriger les voisins inconnus qui identifient mal l’étendue d’eau qu’on voit présentement sous l’aile. La maquette est pourtant claire

Je me dis donc que si on est sur le point de s’écraser, ça aura au moins fait joli juste avant. Mais mes voisins mourront avec des lacunes évidentes en géographie

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D’accord, Morts imaginaires de Michel Schneider n’était peut-être pas le meilleur choix de lecture d’avion. Chapitre après chapitre, c’était comme un catalogue d’illustres fins de vie. Je cornais quelques pages (ah, une comme ça me plairait; celle-là n’est pas si mal non plus). Ça soulignait à quel point je pourrais ne pas avoir de bon mot de la fin, de flèche du Parthe funèbre, de Rosebud accompagné d’un râle évanescent. Juste une vie achevée n’importe où. Une version de la vision de Lamartine à l’improviste: On voudrait revenir à la page où l'on aime/ Et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts. Une trajectoire pas très originale, manquant sans doute de romanesque. Et horreur, une fin en forme de fait divers, avec mon voisin qui dirait en faux direct à Denis Lévesque que j’étais un bon voisin.