03 avril 2012

Paris, avant d’y être

C’est ma première fois. J’ai attendu longtemps, pour des raisons qui s’apparentent peut-être au refus de voir une idéalisation déchoir, mais dans près de 48 heures, j’embarquerai dans un avion qui, après une escale, atterrira à Paris (d’une façon que j’espère parfaitement réussie).

Je ne crois pas avoir de propension à l’idéalisation, de penchant pour cette patine qu’elle confère à n’importe quelle vue de l’esprit. Mais pour l’idée que je me fais de Paris, allez savoir pourquoi, la patine est plutôt bien lustrée, même si je ne suis pas dupe au point d’ignorer que j’ai bien consenti à ne pas grattouiller la laque sur la carte postale.

J’ai eu droit à la série de mises en garde, et tous les conseils pratiques qui prennent vaguement la forme de clichés y sont passés: des dangers des toilettes à la turque, du secteur du Moulin Rouge quand tombe la nuit, des pickpockets (j’ai cru que c’était un anglicisme, mais ce serait un parisianisme, ce qui est tout à fait différent), de la perte de repères spatio-temporels à l’aéroport Charles-de-Gaulle, des crottes de chien sur les trottoirs, de l’attitude générale des garçons de café, du café lui-même qui n’est pas du tout comme ici, du poids qui sera pris à cause de tout ce pain, de la prononciation du mot beurre et des difficultés de se faire comprendre en l’employant sans bien placer l’accent tonique, et des commentaires inévitables sur cet accent qui est comme celui de Céline Dion (vous la connaissez?). Qu’importe, il le fallait peut-être pour éviter que je persiste à voir Paris comme Woody Allen.

En même temps, je me surprends à ressentir dernièrement une curieuse impression en décalage, bah, un petit fond, une petite pensée qui chuchote très faiblement, qui m’étonne et me déçoit même un peu en fait; un vague sentiment, que je ne peux justifier et que rationnellement je trouve décidément dépassé, de me retrouver à mi-chemin entre le provincial béotien (de Béotie-sur-l’Autre-Bord-du-Lac) débarquant dans la capitale et le semi-bourgeois bohême allant voir des bien belles bâtisses.

J’en viens à me faire des scénarios tout de même drôles où Paris fourmille d’une foule de concurrents potentiels prêts à jouer à Questions pour un champion aux coins des rues. Comme s’il fallait que je sois prêt, comme s’il allait de soi qu’on me demandera de nommer les rois carolingiens dans l’ordre. Ce qui serait difficile, bien sûr. Je ne sais jamais où intercaler Kim Jong-deux. D’ailleurs, j’ai peu lu les Paris Match de l’époque jusqu'à ajourd'hui; il est probable que je reforme certains couples royaux, que je pourvois des statuts conjugaux à des maîtresses, que j’identifie mal à qui appartenait quel chalet d’été. Et cette maison là? Ah oui, Victor-Hugo qui? Quoi, ce n’est pas Luc Plamondon qui a écrit Notre-Dame de Paris?

Le fait est que je vais à Paris, et je dois reconnaître qu’au fond j’espère que la bohême et les lilas ne sont pas vraiment morts.

Même si j’aurais été prêt à sacrifier quelques lilas au besoin.