12 décembre 2008

Le silence et l'apaisement

C’était mercredi sur une belle route à trois chiffres où la voie et demie déneigée devenait trois quarts de voie déneigée. Il y avait le soleil qui regardait dans la même direction que moi, des feuillus défeuillés chargés de neige d’un côté, un canal de l’autre, des grands fossés de part et d’autre, un point de fuite bien dessiné à l’avant et personne trop près à l’arrière. Du beau travail pour le décor. De la sobriété, beaucoup de blanc, peut-être un peu surexposé à la limite.

Idéalement par contre, il aurait fallu que le remblai de la charrue ne soit pas à cet emplacement dans la voie. C’est d’ailleurs l’opinion identique et simultanée qu’ont eue les deux roues de droite de mon auto à ce moment lorsqu’elles l’ont rencontré. J’aurais volontiers acheté une voyelle, disons un I, quelque chose de droit qui aurait pu rester entre des lignes jaunes et blanches, mais je me suis retrouvé avec un S comme figure à exécuter lorsque mes roues se sont barrées de là. J’avoue que je n’aurais pas aimé attraper un K ou un B, ça m’aurait décontenancé comme chorégraphie.

Puis j’ai pivoté. Au moins, des deux axes de rotation que les lois de la physique ont élaborés pour la rotation d’un véhicule en situation de perte de contrôle, j’ai eu l’occasion d’expérimenter celui qui aurait été mon premier choix. Je suis comme ça, j’aime que le ciel demeure au-dessus de ma tête et de mon toit dans une voiture.

Je me suis payé un film de ma vie sans rétrospective, en cinéma muet et avec un char qui s’en venait sur moi. Poteau, fossé, auto dans la voie où je ne devrais pas être, tiens, le canal, les points qui me suivaient tantôt qui sont devenus des voitures entre-temps. Trois cent soixante degrés d’émotion prenante. Avec quinze degrés en boni. Le temps, insensible aux clichés, s’était arrêté. Le temps, ma respiration ou l’auto, il y a peut-être eu confusion pendant un instant.

J’ai su que le temps était reparti au moment où j’ai entendu Bono chanter qu’il ne savait pas de quel côté le vent allait souffler. Je ne le savais pas trop moi non plus d’ailleurs.

En replaçant l’auto dans un sens plus adapté à la circulation routière, j’ai croisé le regard de la conductrice qui était en sens inverse, la femme avec laquelle je ne suis pas mort ce jour-là. C’est prodigieux à quel point deux personnes qui ne se connaissent pas qui passent à ça de se tuer mutuellement, inclusivement et involontairement en voiture peuvent se dire tant de choses muettement et en si peu de temps à travers du verre feuilleté demeuré intact.

C’est comme ça, c’était la première fois que je l’expérimentais ainsi et je juge peut-être un peu vite, mais j’adore les gens avec qui je ne fais pas de face-à-face en voiture.

06 octobre 2008

Les tulipes de la colère

Les Pays-Bas se sont depuis longtemps spécialisés dans la légalisation et dans l’acceptation de choses qui demeurent interdites ou dangereuses ailleurs. La marijuana, l’euthanasie, la prostitution, oui d’accord, mais pire encore, les sabots de bois. Ce qui est d’ailleurs un peu bête: tu construis des digues pour gagner des terres arables, ce qui implique notamment que tu n’as pas des forêts immenses, mais tu décides d’utiliser le bois pour en faire des souliers qui font mal aux pieds. Ça ne me semble pas sain du tout comme attitude. Voyons, est-ce qu’on utiliserait nos denrées alimentaires pour faire avancer des autos, ici?

Peu importe, parce qu’ils sont aussi un peu déraisonnable dans leur amour des tulipes, ils se sont payé la première bulle spéculative de l’histoire, une retentissante rupture d’anévrisme logique dans les artères cérébrales du marché boursier. C’est le moment où les experts économiques disent: «Euh, ça ne vaut pas ça du tout, calmez-vous, vous êtes tous fous» mais où beaucoup trop de gens croient: «Je sens que ça vaudra encore plus demain, j’investis, j’ai ma patte de lapin chanceuse». On est en pleine tulipomanie. D’ailleurs, par extension, ce serait maintenant une bonne chose de cesser d’utiliser le terme manie à tout venant, ça perd son sens et ça me désole. Moi, quand on me parle d’anniebrocomanie, je décroche.

Donc utilise ton imagination, te voilà hollandais en 1623. Tu n’es pas un marin qui chante les douleurs qui le hante dans le port d’Amsterdam, oh que non, tu es plutôt un passionné de tulipes. Tu aimes beaucoup une variété rare, le Semper Augustus (tu parles latin en plus, chanceux) qui s’affiche à 1000 florins le bulbe. C’est un peu dispendieux, mais toi tu l’aimes, c’est pas de ta faute. Ajoute à ça le fait que le nom de ta monnaie ressemble à fleur, c’est l’ivresse. Deux ans plus tard, c’est rendu 2000. En 1637, ça grimpe à 5500, tu peux même désormais acheter des parts de bulbe. Visiblement, tu n’y penses pas souvent, mais le revenu annuel moyen à ton époque, c’est à peu près 150 florins. Tiens, en février, ça atteint les 6700 florins pour une autre variété. Comme le dit un de tes voisins de palier, Wikipédia, c’est «la valeur de deux maisons, huit fois celle d’un veau gras et quinze fois le salaire annuel d’un artisan». La lumière néerlandaise t'éclaire, la vérité te frappe en plein front:
a) un artisan gagne 2,98 fois le salaire annuel moyen (tu es fort en calcul, t’as tout pour toi);
b) c’est insensé et tu vas être dans le trouble à court terme (tu aurais pu cliquer plus vite).

Donc, en février 1637, la bulle spéculative éclate: les cours s’écroulent, les spéculateurs chancellent et les tulipes se fanent. Oui, ça va probablement gâcher ta Saint-Valentin.

Tu es mort d’inquiétude, je le sens, mais tu peux peut-être encore t’en sortir. Vois-tu, les députés d’Amsterdam annulent alors les contrats déjà signés. Les juges soutiennent qu’il s’agit d’un jeu de hasard. Tu n’as donc plus à honorer ce contrat ridicule qui t’obligeait à hypothéquer pour acheter ton bulbe de tulipe

Mais bon, tu peux quand même imaginer qu’avec tout le vent qui a été semé, les récoltes de tempête ont été très fructueuses cette année-là. Par contre, comme c'était une première expérience solide, des choses comme ça ne risquent pas d'arriver de nouveau.

Le lecteur qui n’a pas encore tout perdu ses REER et qui est avide de connaissances supplémentaires sur le sujet s’en ira joyeusement errer sur Wikipédia en passant par cette porte secrète.

24 septembre 2008

Vente de truismes à la criée du lot 49b

Bon, moi aussi, moi aussi. Thèmes: politique, coupes en culture, clivages et autres actualités.

Je soigne généralement mon cynisme pour le ramener à un dosage admissible, mais mon surmoi a flanché, tu me permettras donc de souligner combien ces coupes sont admirablement efficaces pour le Parti chinook*. Enfin, imagine un peu tous ces artistes protéiformes qui rayonnaient à l’étranger (avec ou sans banane céleste), qui votaient probablement toujours conservateurs avant, et qui changeront probablement leur vote pour les prochaines élections. Ouf, que ça va faire mal au parti de perdre tous ces votes cruciaux sur lesquels il comptait. Car bon, c’est ça la tristesse des choses, tout est affaire de clientélisme, de statistique et de stratégie. Savoir viser, est-ce déjà une compétence transversale?

Mais surtout, je m’étonne de l’étonnement par rapport au clivage que plusieurs semblent découvrir entre les artistes et le bon peuple ordinaire, pour reprendre cette charmante expression séduisante au plus au point («Maman, maman, quand je serai grand, je veux être ordinaire. Dis oui, dis oui.»). C’était si invisible que ça? Pas d’objection à ce que je laisse traîner sur la table ma thèse selon laquelle il y a un clivage entre à peu près tout le monde? Différentes personnes, différents intérêts, différents milieux, différentes positions. Bien sûr aussi que tous les milieux ne sont pas des blocs monolithiques de gens identiques classés par belles strates d’âge et de revenus dans un joli graphique Excel à pointes de tartes. Oui, tu connais un avocat et un mécanicien qui sont amis, qui jouent à la balle ensemble et qui ont même déjà été au théâtre une fois. Oui, excellent, ça me réjouit aussi, vraiment. Je ne le range pas au rang d’exception non plus, je dis juste que le contre-exemple n’empêche pas l’exemple d’exister largement; sans être réducteur, je suis de ceux qui ne tombent pas des nues en apprenant qu’il y a des notaires qui ne fréquentent pas beaucoup les mimes, des chirurgiens qui ne font pas souvent de garden-partys avec des coiffeuses et, tiens donc, des gens ordinaires qui trouvent que les artistes finalement, ils reçoivent trop de subventions. Comme je ne suis pas tombé des nues en apprenant qu’il y avait quelque part deux (ou peut-être même jusqu’à cinq) Québécois qui avaient des préjugés contre certains étrangers. Bien sûr qu’au long des grands fossés qui séparent tout le monde, il y a des sujets qui rassemblent, des liens possibles qui existent, des points où on finit par réussir une connexion. Tout le monde ne peut pas toujours être dans les zones mutuellement exclusives des diagrammes de Venn. Mais ce n’est pas parce qu’on a été témoin d’une entrée charretière que le fossé n’existe plus. Les entrées charretières existent, d’accord. Les fossés aussi, de part et d’autre. (Tu désires peut-être maintenant saboter ma métaphore champêtre en parlant de conduites pluviales enfouies, mais tu n’es pas sans savoir que la conduite pluviale aplanit peut-être un peu les différences, mais que l’esprit du fossé demeure: la conduite pluviale est un fossé dissimulé. Puis si on remblaie simplement à la va-vite, d’autres fossés vont se créer naturellement, et ça pourra être pire encore avec toutes sortes de choses qui risquent de fissurer de partout.)

Désolé pour le pragmatisme (et peut-être pour la métaphore aussi, finalement), mais je crois que c’est trop flatter l’espoir dans le sens du poil que de croire qu’en organisant une tombola avec un chirurgien, un étranger et une coiffeuse, tout va être réglé (les notaires ne viennent jamais aux tombolas et les mimes, non merci, ça te gâche toujours une célébration). Voilà, ce qui me laisse toujours un peu amer avec la découverte médiatique de clivages très visibles, ce sont les dérapages qui ne manquent pas de survenir, puis les appels maladroits au remplissage de fossé qui devient ravin. Un malaise un peu comme lorsque dans une certaine émission qui a pour thème le manque ou la culture, je ne sais pas trop, l’animateur se penche en avant, prend un air attentif prononcé et demande à ses invités: «Pour ceux qui ne sont jamais allés au théâtre, dis, c’est comment? On dit qu’il y a des sièges pour s’asseoir, c’est vrai? Pour ceux qui n’ont jamais vu ça, un livre, dis, ça ressemble à quoi et qu’est-ce qu’on doit en faire? C’est vrai la rumeur qui dit qu’il y a des pages avec des mots là-dedans et qu’il y a un sens dans lequel il faut le tenir?» Oui, mais un malaise en pire que ça.

Comme là, quand ça commence lourdement à déborder de partout, de tous côtés. Et c’est ça finalement qui m’attriste toujours, la sensation que ce sont ces débordements qui finissent par justifier en eux-mêmes la présence des fossés.

*Vent sec soufflant depuis l’Ouest canadien, du côté est des Rocheuses.

18 septembre 2008

Inaptitude

Dans un élan rationnel particulièrement désagréable en dépit de ma rationalité générale usuelle qui pourrait pour certains déjà paraître particulièrement désagréable, je me suis dernièrement livré avec une fougue mitigée à remplir un mandat d’inaptitude. Oui, ce genre de document où tu décides en pleine possession de tes moyens qui possédera tes moyens lorsque tu n’auras plus les moyens de les posséder. Bref, déjà assez sujet à me questionner sur ce que je veux faire maintenant et ce soir après souper, moi pour qui les plans quinquennaux personnels relèvent de l’acrobatie intellectuelle avec points d’ancrage mal assurés, j’ai décidé qui allait s’occuper de m’arroser et de couper mes feuilles jaunes si j’accédais au statut de plante verte. J’ai cru bon par contre d’attendre un peu avant de décider qui allait s’occuper de mes enfants immatérialisés dont la date de mise en circulation projetée n’est pas encore disponible.

Mon déplaisir et moi étions donc rendus inséparable à peu près à la moitié du formulaire lorsqu’il nous fallut décider du genre d’environnement auquel nous aspirerions lorsque aspirer et plein d’autres verbes d’action plus ou moins active allaient devenir des tâches particulièrement laborieuses.

J’ai réprimé mon besoin d’écrire de façon formelle que je refusais d’office toute chambre pastel.

10 septembre 2008

Des tours qui tombent

Le matin où des tours sont tombées (on devrait pouvoir retrouver la date en fouillant un peu), j’étais dans un local un peu froid en train d’écouter un prof un peu ennuyeux. Sans télévision, sans radio, sans cellulaire, les tours sont donc restées debout un peu plus longtemps pour moi que pour plein de gens pour qui elles ont tombé vingt fois en boucle entre le baguel et le deuxième café. Pendant l’après-midi, j’en ai plus ou moins senti poindre la rumeur autour de moi, mais il aurait tout aussi bien pu s’agir de discussions sur un nouveau jeu vidéo ou sur une bande-annonce spectaculaire, ce qui aurait d’ailleurs été parfaitement dans les normes usuelles.

Ce soir-là, j’avais un souper prévu avec une amie, une fille-d’Ottawa-presque-grandie-à-Sainte-Foy. Si je me rappelle bien, je feignais encore un intérêt opportun pour le patin à roulettes et je démontrais assez d’agilité sur les bords bien asphaltés (et propres, à Ottawa, tout ce qui concerne l’urbanisme est toujours propre; le reste…) du canal Rideau pour qu’elle daignât y croire. Ça avait été un excellent moment pour dire: «Ah, tiens, viens donc manger du spaghetti mardi». Le seul problème, c’est qu’à peu près au même moment, un type quelque part disait à d’autres: «Ah, tiens, allez donc faire s’écraser des avions dans des tours new-yorkaises mardi». Voilà, elle a dit oui et eux aussi.

Parmi tout ce que mes parents m’ont légué de mieux, la sauce à spaghetti occupe une place de choix. J’en avais alors un pot plein et je pouvais bonnement croire que le bonheur était dans le spaghetti. Bien entendu, depuis cette époque lointaine, je me suis affranchi dans le domaine de la sauce à spaghetti et ai développé une expertise très concurrentielle. De plus, ma sauce ne fait tomber aucune tour. Je le considère comme un avantage.

Ce soir-là fut un de ces soirs qui confirment plein de choses. La sauce à spaghetti de mes parents est excellente. Les tours étaient bel et bien tombées. Nous avions plusieurs spéculations là-dessus. Et sur plein d’autres choses aussi.

Quelque part entre le 11 septembre et la fin du mois, ça fera donc officiellement sept ans qu’on est ensemble. C’est un truc mnémotechnique très réussi.

26 juin 2008

Des odeurs de bureau

Je n’ai pas mon bureau au haut d’une tour, à Singapore ou à Rio, mais il y a quand même un petit restaurant asiatique à côté (t’essaieras le poulet au gingembre) et une baie pas loin (mais n’essaie pas les algues, elles sont coriaces).

Le secteur offre des odeurs de choix. Ça sent le canal sans traitement, la patate frite curieusement assaisonnée à la thaïe par juxtaposition olfactive et, selon le sens du vent et le moment du mois, les vapeurs de fermentation d’alcool fort (non, ce n’est pas un gros préjugé réducteur, regarde un peu, il y a une distillerie là-bas).

Les bureaux principaux sont aménagés sur deux étages et quelques pièces de rez-de-chaussée dans de vieux immeubles d’appartements raboutés, au-dessus d’autres commerces qui séparent la comptabilité à un bout et les installations informatiques à l’autre. Je suis dans une des pièces du deuxième à l’arrière, au bout du corridor de gauche, un peu à droite après le bout du monde, probablement dans ce qui était jadis une pièce où il faisait bon écouter le gramophone et râler contre la conscription. (J’éviterai toutefois d’écrire Le bureau mode d’emploi, il y aurait probablement des plaintes, sinon des ayant droits de Perec, du moins de certains collègues.)

Il flotte pas loin d’ici une senteur cyclique de bruine fruitée pour latrines que j’ai appris à accepter, à défaut de l’aimer, pour ce qu’elle camoufle. Par contre, l’odeur de thioglycolate d’ammonium (ne laisse surtout pas cette maîtrise du jargon acquise très rapidement sur Internet te laisser croire que je suis coiffeur ou pire, permanenté), lorsqu’elle monte ponctuellement (je suis certain que les vieilles dames sont toujours à l’heure) l’escalier et qu’elle réussit facilement à tourner à gauche une fois arrivée à l’étage pour ensuite se battre contre un relent de bruine fruitée et le supplanter fatalement, eh bien, c’est une calamité. Oui, une calamité, si tu me permets de peser mes mots en tonnes métriques avec cette balance pour camions lourds qui est juste là.

En fait, d’une manière totalement dépourvue d’objectivité scientifique, je prévois commencer à suspecter gravement les vieilles dames aux cheveux trop bouclés d’être responsables de tout ce qui arrive à la couche d’ozone.

15 mai 2008

La vie des chiffres riches et célèbres

Je me demande si les chiffres des grands bilans financiers et des calculs de moteurs à fission nucléaire méprisent ceux qui se retrouvent dans les grilles de sudokus.

J’imagine que oui, mais j'espère qu'ils se parlent quand même dans leur réunion de famille.

07 mai 2008

Le Groenland invité au gala

En fait, je ne m’en étais pas aperçu sur le coup, car les douanes groenlandaises n’étaient pas vraiment surveillées, mais j’ai eu la surprise de constater que j’étais en nomination dans un gala de blogues. Oui, un gala Blogu’Or avec animations 3D et tout. Ce n’est pas dans les années 1980 que ça serait arrivé, non monsieur. Mais bon, c'est à se demander si les organisateurs se cherchaient des raisons pour ne pas dormir la nuit... Ou sinon, je serais curieux de savoir quelle était la nature du pari qu'ils ont perdu.

Une personne m’a donc mis en nomination (et un jour je trouverai de qui il s’agit) parce qu’elle me trouvait tout particulièrement rigoureux avec ma langue, ce qui n’est pas rien, sérieusement. Donc, en prenant une catégorie en exemple au hasard, les gens peuvent aller voter avant le 16 mai pour décider qui est le plus rigoureux avec sa langue. Je le dis comme ça, gentiment, pas pour embêter qui que ce soit, mais l’isoloir pour les votes est juste là. Je crois même que les plantes et les animaux domestiques peuvent voter sans carte de membre (mais ça leur prendra une adresse IP distincte). Ce serait gentil pour la personne qui m’a mis en nomination, vous comprenez bien que ce serait gênant pour celle-ci que je finisse dernier. J’aurais aimé ajouter que vous courez la chance de gagner un grille-pain gratuit, mais ce n’est pas le cas.

N’empêche, mon smoking n’est pas acheté et je ne vends pas d’avance la peau de l’ours que je n’ai pas l’intention de tuer (si tu veux en déduire que je me cherche un smoking en peau d’ours, tu peux, mais je trouve que tu extrapoles beaucoup). Bref, j’ai vu contre qui je devais jouer et bon, je ne suis pas un blogbuster (bon, ça y est, je sabote la rigueur). J’imagine que je ressens assez bien comment se sent une comédienne de Virginie mise en nomination contre Guylaine Tremblay. Mais bon, si je gagne, je surveillerai mes pataquès.

Je sais qu’il serait de bon ton de dire que je n’ai jamais rien gagné, que je n’ai jamais été en nomination nulle part. Or, c’est malheureusement faux. J’ai même gagné un taille-crayon en cinquième année, alors c’est dire si j’ai été choyé par la vie de ce côté. Je crains donc que ça me porte malchance; les gens n’aiment pas ceux qui l’ont trop facile. Je crois même que, au-dessus de mes affaires, je n’ai pas gardé le taille-crayon.

Alors voilà, merci à tous ceux qui viennent par ici parce qu’ils aiment ma manière d’accorder les participes passés, et même les pronominaux lorsqu'ils sont dans le besoin.

05 mai 2008

Acériculture musicale

Je ne l’avais pas fait depuis longtemps, et ça ne me manquait pas tant que ça. J’avais presque oublié comment c’était en fait, à quel point l’odeur était particulière, ce que ça pouvait goûter, les sons bizarres qu’on y entendait.

Ce n’est pas moi qui ai décidé qu’on allait le faire, c’est elle. En groupe et avec sa famille, pour tout avouer.

Nous sommes donc allés dans une de ces cabanes à sucre en tôle d’acier où on va se servir des oreilles de Christ trop dures, à faire ramollir dans des fèves au lard trop salées, avant d’aller s’asseoir sur ces chaise dépareillées que l’on retrouve aussi dans les classes, les cafétérias scolaires et les sous-sols d’église. Ça allait encore, j’avais pris la sage décision de ne pas prendre d’oreilles de Christ.

Mais voilà: à six pieds devant moi se dressaient une plateforme, deux amplificateurs, des micros, beaucoup de fils et un ordinateur. Lorsque le chanteur est revenu enfourcher sa guitare, j’ai vraiment pressenti (oui voilà, ça m’arrive, j’ai des pressentiments, mais rassure-toi, je ne vois pas souvent d’auras) que mon jambon au sirop d’érable allait être noyé dans le déplaisir musical.

Ce chanteur donc, accompagné de ses fichiers midi et de ses enregistrements de percussions parasitées, avait la prodigieuse volonté de transformer les succès populaires et traditionnels en succès country. Je ne suis pas nécessairement conquis d’avance par «Embarque ma belle/On va bûcher du bois/On va aller gueuler avec les loups/Qu’est-ce qu’on fait en fin de semaine?/On pourrait se construire un cabanon en 2 par 4/Oui, avec les loups-ou-ou», mais je certifie que le trémolo country n’y apporte aucune amélioration. Le traitement n’est pas plus heureux pour Dégénérations ou n’importe quelle chanson d’Elvis. Je le sais, on l’a testé sur moi, et je n’étais pas entièrement consentant. Mon jambon non plus.

Puis il a appelé Caro, acclamée à grands tintements de bouteilles de Labatt plus ou moins vides par son groupe. «Est où ma belle Caro? – Est dehors en train de fumer.» Alors sa belle Caro est arrivée, elle a monté sur la scène, puis je n’ai pas pu m’empêcher de confier à mes voisins immédiats et à mon jambon: «Ça va être du Marjo. Je le sens. Ou du Marie-Chantal Toupin.» J’étais plein de préjugés puisque j’ai eu tort. Caro s’est dit que l’ambiance de la cabane à sucre siérait à merveille pour une ballade d’Isabelle Boulay. Jamais assez loin, qu’elle disait. Moi aussi. Surtout lorsqu’elle répétait «Je vais-eux laisser mon coeu-eurrr», c’est-à-dire environ douze fois. En faussant sur cœur à chaque fois.

La chanson achevait, je croyais être au bout de mes peines, mais son groupe ne l’entendait pas ainsi. «Caro, Maudit bo-ârrr-d-èèèè-l, Caro!»

Voilà, je le savais. C’est alors que Caro a commencé à roucouler: «J’m’ouvrrre les yeux/Je rrr’garde tout autourr/J’ai juste envie d’les rrr’fermer»

Je le savais, oui, mais je dois dire qu’il y eut quand même un certain élément de surprise lorsque la mère de Barbie est montée sur sa chaise pour danser en se flattant les seins à travers son espèce de coton ouaté moulant.

Puis aussi quelques instants plus tard lorsqu'elle m’a regardé dans les yeux en le faisant.

24 avril 2008

De la défensive

J’ai attrapé la grippe espagnole. Ou le SRAS, je ne sais pas trop. Bref, ma voix aurait été parfaite pour chanter du Louis Armstrong ou même remplacer Micheline Lanctôt en post-synchro, qui sait. C’est déjà mieux là, je pourrais peut-être faire le Parrain, mais pas Micheline Lanctôt.

J’ai commencé avec les vieux conseils, en enfilant les grogs. De Kuyper et moi n’avions jamais été si proches. J’ai pris plus de miel que ne le recommanderaient les diététistes. Ma consommation d’eau chaude concurrençait férocement celle d’une Anglaise de Westmount. J’ai même essayé le calvados, pour surprendre l’ennemi après l’avoir amadoué avec des pastilles. On a trinqué, il est resté tard. Les carottes n’étaient pas cuites; il m’a assommé bien avant que je réussisse à débarquer où que ce soit. Et les alliés, on oublie ça quand on sent trop le Vicks.

J’ai mangé du pamplemousse, croqué de la vitamine C. Je suis allé seul comme un grand dans une pharmacie, vulnérable. Ça s’applique à chaque rayon, je sais, mais c’est fou comme il y en a des trucs en boîte pour soigner quelques bouts de tuyaux qui s’entrecroisent au larynx. J’ai décidé de prendre la bouteille de la marque en solde, à saveur de cerises, qui se concentrait sur la région concernée, la bouteille qui ne réglait pas à la fois les troubles gastriques, les pellicules, les verrues plantaires et les crampes menstruelles. Ça semble aller. Je crains toutefois que la bouteille provienne d’un laboratoire où on ne connaît pas le goût des cerises. «Hé, ça goûte quoi, les cerises? – Bah, rouge et un peu sucré, d’après cette fiche signalétique. – Ah! ça devrait aller comme ça.»

Je croyais finalement retrouver du confort au creux de mon oreiller, mais j’ai laissé sortir trop de toussotements alignés, il y avait moratoire. «Tu sais, si tu veux aller dormir sur le futon pour être plus à l’aise pour tousser, tu peux, hein…» C’est bon, j’ai su.

On s'entend bien, le futon et moi. Il me soutient et me laisse tousser, toute la nuit si je veux.

21 avril 2008

Comment sont impartis les pourriels

En fait, qui s’occupe de la répartition des messages non sollicités? Qui décide si notre profil type mérite qu’on lui propose l’élongation du membre viril, le faux diplôme, la croisière bidon, l’attrape-nigaud bancaire ou l’héritage de la fortune d’un roi trucidé. Parce que ça suit certainement une logique, quand bien même faudrait-il qu’elle soit basée sur l’alignement des planètes, ce que j’accepterais en dernier recours.

Ainsi, j’ai découvert que je sous-estimais énormément le nombre d’amis très chers qui voulaient me voir endosser la fortune personnelle de leurs feus rois africains. Non, ne vous inquiétez pas, je serai rétribué pour ce petit service, ils me l’ont dit. Qu’est-ce que ça représente un endossement de 6 millions de dollars? Banalités et peccadilles, bien sûr avec un compte bancaire étranger, un passeport valide et un puits sans fond de naïveté. Quelqu’un a curieusement décidé quelque part que c’était mon créneau. On laisse mon membre masculin en paix, on juge mes diplômes suffisants, on ne cherche pas à me voler mon NIP, on croit que je ne mérite pas de fausse croisière, mais tous les soi-disant secrétaires d’État ou directeurs de banque sont formels: je suis le gars à contacter pour sauver la fortune du roi, et ce, même si je ne mettrais pas toujours le Bénin à la bonne place sur une carte muette (mais le Malawi, ça irait mieux, j’aime davantage la forme, je serais même susceptible de l’identifier dans un test de Rorschach entre deux taches ressemblant à des papillons).

Peut-être est-ce une sorte de rétribution pour avoir retenu la capitale de l’Ouganda avec un des trucs mnémotechniques les plus ridicules que j’aie fomentés, avec un apprentissage pavlovien qui me fait maintenant toujours associer l’Ouganda avec le camping. Ça va comme suit : Ouganda (où qui en a) un camping? Ah, Kampala (campe pas là). Mais bon, je ne jugeais pas que ça valait nécessairement tous les héritages des rois des pays circonvoisins.

Dommage que ma bizarre éducation occidentale m’empêche d’accepter les bonbons offerts par des inconnus.

10 avril 2008

Rouge comme le bonheur

Cher Groenland,

Eussé-je été ailleurs que sur mon séant, peut-être serais-je tombé simultanément sur lui et sur cette carte. Je me suis contenté de tomber sur cette carte, la Carte mondiale du bonheur.



Alors, dis-moi, avant que je te braque ma lampe torchère impertinemment dans les galets, es-tu heureux?

C’est important, le bonheur, tu sais, ça pourrait permettre qu’un universitaire anglais, Adrian White, te peigne en rouge sur la Carte mondiale du bonheur. Ça te rappellerait peut-être ce type, Marco Evaristti, l’artiste là, qui t’avait teint un glacier en rouge. Je sais que ça te gêne terriblement (faut pas, t’as de belles courbes, tu sais), mais tiens, je vais joindre une photo à la fin.

Donc pour te résumer la chose, ce fieffé Britannique, il a établi un grand plan visant à évaluer le bonheur en se basant sur cinq critères: santé, richesse, éducation, identité nationale et beauté des paysages. Car c’est bien connu, vivre dans un bidonville, pourvu qu’on te le place dans les montagnes sur le bord d’un lac et que tu aies un drapeau aux couleurs attrayantes, c’est peut-être pas le pays de la joie de vivre, mais ça devient à tout le moins une région limitrophe.

Mais là, j’ai été intrigué, parce que bon, tu fais partie d’un groupe très restreint d’endroits qui demeurent gris sur la Carte mondiale du bonheur (oui, j'ai encore insisté). Dans ton équipe des gris, il y a aussi l’Afghanistan, l’Iraq, le Sahara, la Somalie et des îles que j’aurais associées à la Russie, mais ça ne semble pas si clair pour Adrian, peut-être Poutine a-t-il cédé un archipel à un vieil ami dernièrement. Tu peux quand même comprendre que je m’inquiète un peu, non? Je ne peux pas instantanément y voir une coalition des pays réjouis.

Puis au fait, tu sais qui arrive au premier rang? Bon, je ne te ferai pas languir, je te le donne en mille: le Danemark. Faut dire que toi, tu le connais bien, vous avez eu une aventure ensemble. N’empêche, ça m’étonne un peu, je n’étais pas au fait de la félicité danoise; ça a bien changé depuis le temps où on disait qu’il y avait quelque chose de pourri dans ce royaume-là. Étrangement, je ne voyais pas Andersen, Kierkegaard et Lars von Trier comme des ambassadeurs du bonheur. Et tu sais ce qu’on dit sur les danoises: qu’elles donnent le diabète et qu’elles gomment les doigts. Voilà, mais bon, je sous-estimais peut-être la beauté des paysages danois. En fait, je dis ça, mais il est aussi possible que le départ d’Alfonso Gagliano ait suffi à insuffler ce vent d’euphorie sur le Danemark.

Je pourrais continuer à te parler du bonheur des uns comme ça, notamment du Bhoutan et du Bruneï qui sont très bien classés (je peux comprendre pour le Bhoutan, ils ont un joli drapeau, mais pour le Bruneï, avec une capitale qui s’appelle Bandar Seri Begawan, je comprends moins), mais on se lasse du bonheur des autres et on ne peut pas trop se réjouir du fait que le Burundi a fini dernier.

Mais bon, ici, les critères ne sont pas exactement les mêmes: tout va bien car Montréal a fini premier dans l’Est et Toronto ne fait pas les séries.

Salutations,


(Photo Reuters)
P.-S. – Vraiment, ne laisse plus cet étrange Marco t’approcher, je préfère ta banquise sans rouge à lèvre. Et il est danois en plus. Si c'est ça le bonheur, je me désabonne.

31 mars 2008

Rencontre du troisième temps

Bien sûr, c’est beaucoup moins chantant, mais on va se dire les vraies affaires (encore, oui). On va se parler dans le blanc des yeux en mettant nos cartes sur la table en gardant les coudées franches. On va se parler entre pronoms personnels distinctifs.

Jadis, j’ai caressé l’idée de changer de pronom principal de narration à chaque année sur ce site. J’ai trouvé l’idée douce et soyeuse, je n’ai pas développé d’allergie, je l’ai donc adoptée. Mais là, il me semble que l’idée est moins douce qu’avant.

Tu sais, cette manie qu’ont certains de te demander des nouvelles de toi en utilisant la troisième personne, hé bien, je ne suis pas certain du tout que je veux m’embarquer là-dedans. Tu sais comment ça se passe: on te téléphone puis la première chose que tu sais, c’est qu’on te demande «comment il va?» ou plutôt «comment s’qu’i va?». Pendant un bref instant, tu évalues toujours la possibilité de répondre «qui?» (ah! petit impertinent va!) plutôt que «bien». Mais évidemment tu réponds toujours «bien», parce qu’il y a des normes à respecter pour vivre en société.

D’un autre côté, on pourrait débattre de l’avantage de la distanciation pour répondre à ce genre de question générale qui implique l’évaluation de soi dans une perspective globale détachée, d’où l’utilisation de la troisième personne, mais ça dériverait en théorie spirituelle et on finirait par se retrouver avec pleins d’admiratrices de Paulo Coelho sur le site et on s’échangerait des trucs d’acupuncture. On s’abstiendra donc.

On peut l’avouer aussi, l’emploi du il, ce n’est pas très seyant sur un blogue. «François se lève le matin et se fait du café», c’est non seulement banal et souvent faux (il ne se fait du café que parfois les matins de fins de semaine, pour tout avouer), c’est aussi agaçant, froid (sans parler du café, on est rendu au lundi soir) et un peu histrionique.

Donc, aux orties l’idée du carnet aux six pronoms successifs.

Et qu’on vide la mémoire cache des orties.

Et je l’avouerai enfin, l’utilisation du ils commençait à me tourmenter.

24 mars 2008

Sealand - Une nation à la mer

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Royal Navy décide, parce que la guerre, ce n’est pas une raison pour se faire mal, de construire le Fort Roughs. Ils optent donc pour une jolie plate-forme militaire dans les eaux internationales au large du Royaume-Uni (51°53’40’’N 1°28’57’’E, tu peux l’enregistrer dans tes favoris sur ton GPS) avec la mer du Nord comme dernier terrain vague, et dieu sait s’ils trouvent de vagues rochers qui ont à jamais le cœur à marée basse. Tout va bien, aucun chien ne meurt et Nathalie Simard ne chante pas.

Le 25 décembre 1966, comme c’est le jour de Noël en Grande-Bretagne cette année-là, l’ancien major Roy Bates s’offre pour cadeau d’aborder la plate-forme avec son bateau de pêche (et quelques amis, il est jovial), de lui lancer à brûle-pourpoint une phrase aguichante et d’en prendre tout bonnement possession sur-le-champ, cavalièrement et sans façon. Il a l’air d’un rustre comme ça, mais le tribunal de l’Essex lui donne raison contre le gouvernement britannique. Comme quoi les rustres parlent parfois à des avocats spécialisés en droit maritime au préalable. Mais comme les rustres manquent un peu d’imagination, il appelle la plate-forme Sealand.

Donc, le roi Bates (soulignons le jeu de mots, il aurait pu passer inaperçu), souverain autoproclamé, s’installe sur sa plate-forme, rénove probablement la cuisine ou le boudoir avec du Formica en faux fini de bois, se cale dans son fauteuil Charles of London avec son journal et ses pantoufles quadrillées (mais bien sûr qu’on extrapole, il faut laisser le personnage s’imposer), puis paf! en août 1968 le Sealand tombe sous l’occupation de pirates néerlandais et d’un Allemand, et le prince Michael est kidnappé (une tendance tombée en désuétude depuis quelques années). Bates monte donc au front et met fin à la guerre sans effusion de sang, donc probablement avec de la guinness. L’Allemand, ce traître détenteur d’un passeport sealandais, amateur de bière blonde, est arrêté, détenu pour trahison, puis relâché.

En juin 2006, le feu ravage le pays, mais il est permis de croire qu’aucun arbre n’est brûlé, on ne s'y attardera pas. En janvier 2007, puisque tout le monde finit par se fatiguer d’être roi d’une micronation, l’héritier Michael décide de vendre la plate-forme de 550 mètres carrés (mais un peu arrondis sur les côtés quand même) pour 10 millions de livres (mais pas ceux de Danielle Steele, merci), ce qui revient à 27000 dollars par mètre carré. Alors bien sûr, à ce prix unitaire, c’est mieux de songer à acheter le Sealand que la Russie, l’hypothèque est moins accablante et le ménage s’y fait plus vite. Il n’y a pas de frais de condos non plus, alors qu’en Russie, il faut refaire la façade.

Mais ça va, ne t’inquiète pas pour tes principes étatiques: sous prétexte que du béton et de l’acier, ce n’est pas considéré comme de la terre ou un territoire, les autres états ne le reconnaissent pas comme tel. Sauf peut-être la poste française à l’époque de Georges Pompidou, mais Georges est un sacré farceur. Il s’est même fait construire un bâtiment à Paris avec toutes les conduites de ventilation et un escalier à l’extérieur, c’est dire à quel point il ne se prend pas au sérieux.

Le lecteur incrédule peut maintenant se diriger vers Wikipédia, mais il est difficile d'imaginer quelle information supplémentaire il pourrait bien vouloir y trouver.

25 février 2008

Scène de la vie conjugale

Un jour, en faisant du ménage dans le fouillis papetier empilé sur le coin de son bureau à la maison (bon, une fois n’est pas coutume), on découvre un petit bout de papier. Sur ce papier, une écriture de fille qu’on reconnaît facilement, même si on ne la déchiffre pas toujours aisément (on se contentera de parler de l’écriture dans ce cas-ci). Mais là, c’est assez clair…

Henri-Paul F*******
819 479-****
(Les coordonnées de l’improbable cocufiant resteront confidentielles pour conserver son anonymat.)

Enfin, on rigole, on aurait beau essayé d’être jaloux, on ne se méfie jamais vraiment d’un Henri-Paul. On continue.

7 5/8 po de longueur

Bon, ça va. On n’évite pas tout à fait le froncement de sourcils. Mais on ne songe pas immédiatement à la séparation des biens meubles non plus. Tout va bien, on n’a pas non plus de complexe d’infériorité sis à l’équateur anatomique. On reste rationnel.

7 ¼ po de largeur
Pas excéder 2 livres 8 onces

Là, les deux sourcils sont partis dans des directions opposés. C’est quoi ça, enfin? Ce qui suit n’aide pas du tout.

Python ou M&M spécial

Non, quand même. Les scènes auxquelles on pense lorsqu’on tente d’y inclure des serpents et des bonbons chocolatés, elles sont légèrement absurdes. Il faut donc montrer le papier, qu’on présente comme un badge de la CIA , ou un mandat d’arrêt incriminant, ou comme un carton de lait vide laissé au frigo. Air impassible, gants blancs, ton conciliant. Le suspense monte.

- Qui est Henri-Paul?

Rougeur, stupeur et tremblement… non, elle n’en laisse rien paraître. Peut-être y a-t-il eu un léger moment d’incertitude avant de répondre, mais percée à jour, elle avouera tout :

- Ah oui… c’était pour les fers à cheval.

C’est avec un certain étonnement qu’on assemble alors les pièces du puzzle.

13 février 2008

À demain qui vient toujours un peu trop vite

Hier, la batterie du char ne chantait plus sa chanson douce.

Aujourd’hui, Henri Salvador quittait sa chambre avec vue.

Bon, ça y est, demain m’effraie.

23 janvier 2008

J'ai un Groenland qui ne veut pas mourir

Cher Groenland,

J’imagine que tu sais, que tu l’as vu passé, le moment; tu as une excellente mémoire binaire.

Je te l’écris quand même en toutes lettres : ça a fait deux ans, c’était à l’automne, en novembre gris, une saison qui n’existe probablement pas qu’au nord de l’Amérique, entre deux commandements. Hum. Ouf. Enfin, deux ans que c’est officiel et qu’on le vit publiquement à la face du monde sur les toits de la grande toile (mais c’est bon, on ne le crie pas si fort). Des noces de quoi au fait? de papier mâché, de terre cuite, de polyester? Mais c’est sûr, entre nous, ça fait un peu plus longtemps. Hé! c’est quoi cette plage de galets tristounets que tu me fais là? On ne tombera pas dans la nostalgie arctique quand même.

Notre anniversaire épistolaire, tu me diras peut-être qu’on s’en fout un peu, et je ne suis certainement pas le type qui va trop te contredire là-dessus. N’empêche, j’ai été élevé comme ça, vois-tu. Ma mère, elle retient toutes les dates de toutes les occasions de tout le monde. Elle est un peu comptable de relations humaines, si tu veux. Donc le matin, ma sœur et moi, on hésitait devant les céréales, on se demandait s’il fallait commencer à aimer le beurre d’arachide ou bien on regardait les toasts brûler vives, et là, la plupart du temps, on apprenait quel jour c’était. «C’est la fête de Liette», «Ça fait 11 ans que Robert est décédé», «C’est la date du mariage de Guy et Renée». C’était bien, ça changeait les perspectives. Moi, j’avais plutôt tendance à croire que c’était le jour du cours d’éducation physique (ne pas oublier d’apporter le sac de sport) ou du test de maths (retenir que le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des cathètes). Mais on ne change pas tant que ça, en fait. Tout le monde a ses petites épiphanies. On vieillit et on finit par mémoriser si c’est aujourd’hui ou demain le jour des vidanges (c’était aujourd’hui), mais on ne sait plus trop si c’est le 29 ou le 30 qui est la date importante. Et importante pour quelle raison, déjà?

On ne fera pas de bilan sur ça, d’accord. Disons qu’on continuera une sorte de tradition de racontars groenlandais, mais sans trop d’ours polaires et de morses. Mais qui sait, on pourra quand même parler d’ours polaires et de morses occasionnellement. Il ne faut pas se limiter.

Et en passant, fais attention à toi. T’as encore maigri de la calotte.

Et méfie-toi des Russes, ce serait désagréable qu’ils te plantent un drapeau dans les flancs.