Il y a quelques mois, alors que nous étions au-dessus du fleuve pour aller parcourir l’autoroute 20 presque au complet, j’ai proposé le jeu d’auto suivant à ma copine (avant que le jeu ne devienne une question récurrente de soupers de groupe): que devrait-on faire avec le pont Champlain existant?
Ce n’était pas une question technique, pas un appel à recracher toute connaissance acquise à Découverte, sur l’univers fascinant de la dégradation de la précontrainte du béton, du renforcement des poutres de rive avec torons extérieurs et des effets pervers de ces raidissements tout frais sur la répartition des charges sur les chevêtres. Pas le moment pour préciser que ça prendrait vraiment un nouveau pont pour Montréal, attendu qu’après tout, il sera là, un peu plus loin en aval. Non, les règles du jeu sont simples: on fait quoi avec celui-là, le mal-aimé, l’éconduit sur lequel on ne veut plus conduire.
La question est tendancieuse exprès. Parce que plusieurs l’ont métaphoriquement déjà jeté à l’eau. On le détruit. On rase tout ça. Kapout. Pour certains, je parie qu’il n’existe déjà plus.
Sur le coup, les idées reçues sont surtout amusantes, vaguement cyniques; on s’en moque, on le voue aux gémonies, on le met au musée, on le vend en pièces détachées sur Internet, on en fait des ex-voto si le vœu de nouveau pont est exaucé.
Je dois alors avoir un esprit retors, parce que j’avais quand même une pensée en forme de double-fond, avec une sorte d’idéalisme rêvasseur bien entassé et un brin chiffonné tout au fond.
J’ose croire qu’il y a plein de choses à faire avec un vieux pont Champlain laissé-pour-compte. Qu’il ait atteint sa fin de vie utile selon la norme canadienne sur le calcul des ponts routiers, c’est une chose. Mais rien n’oblige à démolir la structure parce que ce cas de chargement là devient excessif. La structure existe, et elle devra assurément être entretenue jusqu’à ce qu’un nouveau pont soit inauguré, alors nous pourrions aussi bien en profiter après pour l’utiliser autrement.
Au risque de passer pour un rêvasseur convenu doublé d’un gérant d’estrade, le High Line Park de New York est un cas de figure notable. La promenade plantée de Paris, avec un départ sur le viaduc des Arts, est un autre bon exemple antérieur. La multitude de ponts habités qui ont été construits au fil des siècles peuvent également être listés. Toutes ces options engendrent des surcharges bien inférieures à celles prévues pour la circulation autoroutière alors éliminée.
Si Montréal est la ville de design qu’elle prétend être, celle qu’elle a convaincu l’UNESCO qu’elle était (peut-être en partie grâce à ses rues texturées arborant de jolis bas-reliefs inversés), y aurait-il moyen d’en profiter là particulièrement? Si même Lego s’y intéresse, pourquoi ne pas recycler l’idée d’Habitat 67 en version moins bétonnée, modernisée et allégée, avec des commerces, des logements et des bureaux, aux approches du pont, sur les travées près des extrémités et peut-être même au-delà sur le pont. La structure même du bâtiment pourrait peut-être servir de renfort en exosquelette du pont au besoin. Il ne reste qu’à imaginer le passage pour un espace public, une large bande cyclable et piétonnière, quelques lots verdis à souhait (et notons bien que personne n’insiste pour qu’on y plante une forêt de baobabs). Agrémentez de terrasses, d’un restaurant ou deux, d’un bar, comme vous voudrez. Parlez de signature architecturale si vous êtes assez hardi pour laisser glisser ça dans la conversation. Vous oseriez encore plus? Peut-être pourrait-on y caser une sorte de navette simplifiée, un moyen de transport léger sur monorail vers des arrêts d’autobus de part et d’autres.
Soit dit en passant, ça va, je ne suis pas en train de proposer tout bonnement d’y construire le CHUM et un amphithéâtre tant qu’à y être (même s’il paraît que ça marche à tout coup, un amphithéâtre). Je sais bien que tout ça doit se frotter à toutes sortes de vérifications comptables et techniques, selon les capacités résiduelles des divers éléments structuraux, selon les contraintes d’accès à respecter, selon les coûts qui peuvent être prohibitifs pour un paquet de renforcements qui pourraient s’avérer requis le cas échéant. Je sais qu’il s’agit d’une vision fragmentaire, méliorative même, d’un projet qui comporterait son lot de contraintes. Je sais que certaines travées seraient forcément à remplacer, soit. En fait, je crois qu’il serait possible d’utiliser dans ces cas-là des passerelles légères en acier là où c’est requis, bien moins larges que les travées existantes, en remplacement de la structure de béton condamnée. Cela dit, la démolition totale a également un coût qui ne relève pas de la pensée magique; et ça le dit clairement, après il ne subsiste rien.
Je sais aussi que sans les jolis montages financiers et quelques graphiques colorés en pointes de tarte, ça revêt une forte impression de grand déblayage de nuages. Alors je pressens déjà la tautologie qui ne justifie pourtant aucunement le refus d’envisager quoi que ce soit d’autre qu’une démolition totale dès que possible: Montréal n’est pas New York, Montréal n’est pas Paris ou autres classiques selon lesquels il y a pleins d’autres besoins urgents au Québec. Somme toute, je trouverais surtout dommage que toute la structure soit sacrifiée bêtement en raison d’un simple manque d’imagination. Dans cet esprit, il y aurait également lieu de lorgner l’estacade sous-utilisée un peu en amont.
Je ne prétends pas qu’il faille maintenir le pont Champlain à tout prix sur le respirateur artificiel, je n’ai pas ses radiographies affichées dans les fenêtres du salon, or il me semble être un excellent candidat au don d’organes. Alors je me demande simplement pourquoi nous n’en profiterions pas, ne serait-ce que pour en conserver deux bras bien revigorés, des quais regarnis, s’avançant vers le fleuve sur quelques portées à partir de chaque rive.
2 commentaires:
Tu vois, moi, J'ADORE les ruines urbaines. Les silos du vieux port, Maltage Limitée au coin St-Ambroise-St-Rémi, ou d'une manière générale les reliquats du passé industriel du Canal Lachine. Je n'avais jamais pensé au destin de l'honni Pont Champlain, mais maintenant que tu en parles, si on me laissait choisir, je choisirais une solution écologique de destruction. On coupe ou on bloque un passage des deux côtés, on supprime toutes les voies d'approche et la structure métallique qui enjambe la voie maritime, mais on épargne le grand faux-plat. On laisse les plantes et les oiseaux l'envahir et on attend qu'il tombe tout seul. Imagine : le festival quasi-perpétuel de la destruction du pont Champlain. On branche quelques webcam, et on attend tout simplement qu'il tombe.
Concept écologique un peu tordu je dois dire, mais sinon il y aurait sûrement là une industrie du pari intéressante à développer. Des nouvelles pour des années à venir.
En fait, on pourrait carrément en faire une citadelle de Kowloon aussi.
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