Cher récipiendaire de chromosomes XY,
Encore pour couper court, même si on ne me croira plus: l’exercice initial date d’avant la chronique de Stéphane Baillargeon sur la madamisation et tout ce qui s’ensuivit, un très joli dérapage où la mauvaise foi m’a à la foi affligé et amusé. Succinctement, mais en plus de 140 caractères, j’aurais eu tendance à dire que j’adhérais au propos initial, que le choix du mot aurait eu avantage à être mieux explicité, cette madame-là en particulier n’étant assurément pas la femme en général, et que ça n’empêchait effectivement pas le pendant masculin d’exister. En tout cas, c’eût été dans mes suggestions de base dans la catégorie «Comment s’éviter un lynchage public pour misogynie et une contre-offensive biaise de Nathalie Petrowski». Ça a figé mon texte, j’ai résisté, j’ai laissé retomber la poussière.
Ainsi, tu n’as peut-être pas pu te faire une juste idée du sujet, parce que tu étais facilement occupé à te faire ta propre sélection pour jouer à Des chiffres et des lettres en enlevant à l’envi les carrés de mousse de polypropylène (ou autre matériau au nom scientifico-exotique) par terre, avec une prédilection pour le 8 et le B, alors voilà: les émissions télédiffusées le jour, eh bien, je ne suis pas du tout dans leur public cible.
Étude sociologique maison de la télévision de jour, de basse définition avec câble analogique de base: des hommes et des kiwis qui végètent en humant des courges, des lionnes qui rugissent mollement, beaucoup de filles le matin qui parlent à d’autres filles le matin, de la cuisine engluée de trop d’onomatopées et d’autosatisfaction quand on sort le spécimen précuit du four, des émissions qui vasouillent sur le sujet épineux du midi, d’autres qui dissertent rhumatisme et ostéoporose, pendant qu’ailleurs on reconstitue des attaques d’animaux dangereux avec voix en français décalée sur l’originale et qu’on filme des gens qui font des gâteaux ou qui se pâment en disant yes to the dress. Et à travers tout ça, vraiment, qui sélectionne les films qui passent en journée?
Ces émissions, je les ai rapidement escamotées, puis j’ai trié sur le volet, repéré quelques émissions que j’aimais bien parce qu’elles s’écoutaient comme des émissions de radio (être devant la télé était un luxe), mais sans la paris-matchisation matinale ou les conseils qu’apporte supposément l’après-midi dans le choix d’un bon presse-ail ou de la meilleure paire de mitaines pour le four (sujets fictifs?).
En fait, j’avais découvert qu’écouter Visite libre se conjuguait mal à la préparation de purées. Lorsque l’animateur précisait qu’on voyait ici la magnifique porte cochère d’origine, splendidement mise en valeur par… j’étais piqué au jeu, je lâchais la cuillère de bois dans les pommes, il fallait que je la voie cette porte cochère, vite, je n’avais jamais eu autant le goût de voir une porte cochère, et j’accourais devant la télé, souvent pour découvrir qu’on était maintenant passé dans une nouvelle pièce de gypse blanc avec une grande fenêtre et vue sur le lac, alors qu’on m’invitait à m’extasier sur la luminosité et la sérénité de la pièce. Non, désolé, moi c’est la porte cochère que je voulais voir.
De la même façon, j’ai écouté des films (enregistrés)( j’ai découvert que Radio-Canada programme souvent des films que je veux voir durant la nuit, le samedi et le dimanche; je présume donc que nous sommes seulement 32 à vouloir les voir)(et que Marc Cassivi les a déjà vus, donc 31) que j’ai à peine regardés, ce qui ne rend certainement pas hommage aux cinéastes, mais qui permet à tout coup de découvrir la pauvreté d’un dialogue ou l’utilisation surabondante de scènes muettes enveloppées de musique générique. Ça souligne aussi quelques codes du cinéma, jeu qui se fait pareillement sans bébé et que je recommande concomitamment à la peinture d’une salle de bains. Tant que l’holographie cinématographique n’aura pas été perfectionnée, du moins.
Sur le tard, j’ai même découvert qu’en se rendant au poste 47 (alors même que c’est un accident de télécommande qui m’avait fait découvrir que ça montait jusqu’au 39 il y a quelques mois, même s’il n’y a rien entre 20 et 39), le Canal Savoir présentait des reprises d’Apostrophes et de Contact le jeudi matin. C’est un concept très étonnant qui disparaîtra probablement bientôt: deux personnes qui se parlent, longtemps. C’est comme ça, je trouve amusant d’écouter Stéphan Bureau prendre son ton emphatique: «En utilisant des mots que je souhaite très précis et évocateurs à la fois, je vais m’appliquer à formuler une phrase interrogative grammaticalement parfaite en y glissant quelques inflexions un peu compassées, et tout cela donnera lieu à des moments d’échanges célestes dont nous nous sustenterons intellectuellement.» C’est un style.
Apostrophes, c’est encore plus particulier, puisque Marguerite Yourcenar, par exemple, se fait autrement plutôt rare à la télé dernièrement (et pas seulement parce qu’elle est décédée). Ayant lu L’Œuvre au noir cet automne après qu’on me l’eut recommandé, preuve que je ne suis pas craintif et que j’ai une endurance certaine pour le style empesé (j’imagine que Yourcenar considère que Grevisse fait parfois preuve d’un laxisme grammatical déplorable)(elle détesterait assurément ces parenthèses impromptues)(tant pis, je suis un fildefériste de la grammaire, j’assume, oh, je sens que je perds pied, mais non), j’avais remarqué un passage qui me semblait un peu plaqué, où elle expliquait avec des incises bien virgulées que Zénon respectait les animaux et mangeait des plantes. Zénon, si je peux te résumer le livre rapidement, c’est une sorte de Joël Legendre avec une surdose de libre-arbitre au Moyen-Âge, qui ferait de l’alchimie plutôt que d’animer un jeu-questionnaire tiédasse, puis qui ne ferait pas de claquettes et qui n’imiterait jamais Céline Dion. Donc, Bernard Pivot, l’homme des dictées, lui lit exactement le passage que j’avais remarqué (j’imagine que Marguerite l’écrit alors sans fautes) et il lui dit qu’il a bien l’impression que ce mode de vie de Zénon, ce pourrait être celui de Marguerite Yourcenar. Elle fait un petit sourire malicieux avec les yeux qui brillent, puis elle acquiesce; mais oui, mais oui, cela est bien vrai. Et Bernard de sourire, de faire ha! ha! vous voyez, je m’en doutais! J’étais content, moi aussi monsieur Pivot, moi aussi je m’en doutais, on l’a bien débusquée, hein! Puis Marguerite Yourcenar lui confie qu’elle aime bien, de temps en temps, un bon sandwich au jambon, si je me rappelle bien. Mais ça va, je ne suis pas Christiane Charette, ça n’aurait pas été mon point de départ si je m’étais entretenu avec Yourcenar. «Alors, Marguerite Yourcenar, célèbre écrivain-pas-de-e, première femme à l’Académie française, oh, j’ai appris ici que vous aimez les sandwichs au jambon, pouvez-vous nous en parler?»
Puis dernièrement, si on veut bien revenir à la substantifique mélasse de la madamisation, il y avait une citation accablante dans une chronique d’Hugo Dumas, qui annonçait l’arrivée de la chaîne Mademoiselle: «Mademoiselle aime la vie. C'est une chaîne positive, une chaîne un peu bubbly qui célèbre la femme contemporaine d'ici», précise Denis Dubois.
Misère, et on la célèbrera avec des émissions bubbly sur le gloss en vogue? Gloss qu’il faudra probablement assortir, pour le meilleur effet, à la beauté intérieure de la madame (qui rayonne madame, qui rayonne).
Encore pour couper court, même si on ne me croira plus: l’exercice initial date d’avant la chronique de Stéphane Baillargeon sur la madamisation et tout ce qui s’ensuivit, un très joli dérapage où la mauvaise foi m’a à la foi affligé et amusé. Succinctement, mais en plus de 140 caractères, j’aurais eu tendance à dire que j’adhérais au propos initial, que le choix du mot aurait eu avantage à être mieux explicité, cette madame-là en particulier n’étant assurément pas la femme en général, et que ça n’empêchait effectivement pas le pendant masculin d’exister. En tout cas, c’eût été dans mes suggestions de base dans la catégorie «Comment s’éviter un lynchage public pour misogynie et une contre-offensive biaise de Nathalie Petrowski». Ça a figé mon texte, j’ai résisté, j’ai laissé retomber la poussière.
Ainsi, tu n’as peut-être pas pu te faire une juste idée du sujet, parce que tu étais facilement occupé à te faire ta propre sélection pour jouer à Des chiffres et des lettres en enlevant à l’envi les carrés de mousse de polypropylène (ou autre matériau au nom scientifico-exotique) par terre, avec une prédilection pour le 8 et le B, alors voilà: les émissions télédiffusées le jour, eh bien, je ne suis pas du tout dans leur public cible.
Étude sociologique maison de la télévision de jour, de basse définition avec câble analogique de base: des hommes et des kiwis qui végètent en humant des courges, des lionnes qui rugissent mollement, beaucoup de filles le matin qui parlent à d’autres filles le matin, de la cuisine engluée de trop d’onomatopées et d’autosatisfaction quand on sort le spécimen précuit du four, des émissions qui vasouillent sur le sujet épineux du midi, d’autres qui dissertent rhumatisme et ostéoporose, pendant qu’ailleurs on reconstitue des attaques d’animaux dangereux avec voix en français décalée sur l’originale et qu’on filme des gens qui font des gâteaux ou qui se pâment en disant yes to the dress. Et à travers tout ça, vraiment, qui sélectionne les films qui passent en journée?
Ces émissions, je les ai rapidement escamotées, puis j’ai trié sur le volet, repéré quelques émissions que j’aimais bien parce qu’elles s’écoutaient comme des émissions de radio (être devant la télé était un luxe), mais sans la paris-matchisation matinale ou les conseils qu’apporte supposément l’après-midi dans le choix d’un bon presse-ail ou de la meilleure paire de mitaines pour le four (sujets fictifs?).
En fait, j’avais découvert qu’écouter Visite libre se conjuguait mal à la préparation de purées. Lorsque l’animateur précisait qu’on voyait ici la magnifique porte cochère d’origine, splendidement mise en valeur par… j’étais piqué au jeu, je lâchais la cuillère de bois dans les pommes, il fallait que je la voie cette porte cochère, vite, je n’avais jamais eu autant le goût de voir une porte cochère, et j’accourais devant la télé, souvent pour découvrir qu’on était maintenant passé dans une nouvelle pièce de gypse blanc avec une grande fenêtre et vue sur le lac, alors qu’on m’invitait à m’extasier sur la luminosité et la sérénité de la pièce. Non, désolé, moi c’est la porte cochère que je voulais voir.
De la même façon, j’ai écouté des films (enregistrés)( j’ai découvert que Radio-Canada programme souvent des films que je veux voir durant la nuit, le samedi et le dimanche; je présume donc que nous sommes seulement 32 à vouloir les voir)(et que Marc Cassivi les a déjà vus, donc 31) que j’ai à peine regardés, ce qui ne rend certainement pas hommage aux cinéastes, mais qui permet à tout coup de découvrir la pauvreté d’un dialogue ou l’utilisation surabondante de scènes muettes enveloppées de musique générique. Ça souligne aussi quelques codes du cinéma, jeu qui se fait pareillement sans bébé et que je recommande concomitamment à la peinture d’une salle de bains. Tant que l’holographie cinématographique n’aura pas été perfectionnée, du moins.
Sur le tard, j’ai même découvert qu’en se rendant au poste 47 (alors même que c’est un accident de télécommande qui m’avait fait découvrir que ça montait jusqu’au 39 il y a quelques mois, même s’il n’y a rien entre 20 et 39), le Canal Savoir présentait des reprises d’Apostrophes et de Contact le jeudi matin. C’est un concept très étonnant qui disparaîtra probablement bientôt: deux personnes qui se parlent, longtemps. C’est comme ça, je trouve amusant d’écouter Stéphan Bureau prendre son ton emphatique: «En utilisant des mots que je souhaite très précis et évocateurs à la fois, je vais m’appliquer à formuler une phrase interrogative grammaticalement parfaite en y glissant quelques inflexions un peu compassées, et tout cela donnera lieu à des moments d’échanges célestes dont nous nous sustenterons intellectuellement.» C’est un style.
Apostrophes, c’est encore plus particulier, puisque Marguerite Yourcenar, par exemple, se fait autrement plutôt rare à la télé dernièrement (et pas seulement parce qu’elle est décédée). Ayant lu L’Œuvre au noir cet automne après qu’on me l’eut recommandé, preuve que je ne suis pas craintif et que j’ai une endurance certaine pour le style empesé (j’imagine que Yourcenar considère que Grevisse fait parfois preuve d’un laxisme grammatical déplorable)(elle détesterait assurément ces parenthèses impromptues)(tant pis, je suis un fildefériste de la grammaire, j’assume, oh, je sens que je perds pied, mais non), j’avais remarqué un passage qui me semblait un peu plaqué, où elle expliquait avec des incises bien virgulées que Zénon respectait les animaux et mangeait des plantes. Zénon, si je peux te résumer le livre rapidement, c’est une sorte de Joël Legendre avec une surdose de libre-arbitre au Moyen-Âge, qui ferait de l’alchimie plutôt que d’animer un jeu-questionnaire tiédasse, puis qui ne ferait pas de claquettes et qui n’imiterait jamais Céline Dion. Donc, Bernard Pivot, l’homme des dictées, lui lit exactement le passage que j’avais remarqué (j’imagine que Marguerite l’écrit alors sans fautes) et il lui dit qu’il a bien l’impression que ce mode de vie de Zénon, ce pourrait être celui de Marguerite Yourcenar. Elle fait un petit sourire malicieux avec les yeux qui brillent, puis elle acquiesce; mais oui, mais oui, cela est bien vrai. Et Bernard de sourire, de faire ha! ha! vous voyez, je m’en doutais! J’étais content, moi aussi monsieur Pivot, moi aussi je m’en doutais, on l’a bien débusquée, hein! Puis Marguerite Yourcenar lui confie qu’elle aime bien, de temps en temps, un bon sandwich au jambon, si je me rappelle bien. Mais ça va, je ne suis pas Christiane Charette, ça n’aurait pas été mon point de départ si je m’étais entretenu avec Yourcenar. «Alors, Marguerite Yourcenar, célèbre écrivain-pas-de-e, première femme à l’Académie française, oh, j’ai appris ici que vous aimez les sandwichs au jambon, pouvez-vous nous en parler?»
Puis dernièrement, si on veut bien revenir à la substantifique mélasse de la madamisation, il y avait une citation accablante dans une chronique d’Hugo Dumas, qui annonçait l’arrivée de la chaîne Mademoiselle: «Mademoiselle aime la vie. C'est une chaîne positive, une chaîne un peu bubbly qui célèbre la femme contemporaine d'ici», précise Denis Dubois.
Misère, et on la célèbrera avec des émissions bubbly sur le gloss en vogue? Gloss qu’il faudra probablement assortir, pour le meilleur effet, à la beauté intérieure de la madame (qui rayonne madame, qui rayonne).
Aucun commentaire:
Publier un commentaire