01 mars 2007

Les abandonnés (lauréats)

Didascalie: Pendant qu’une blonde sulfureuse dans une robe à paillettes se tient à tes côtés avec une statuette polie dans les mains, tu ouvres l’enveloppe, retiens ton souffle, puis déclares: «Voici les lauréats. Puis je sais, vous les avez déjà trouvés.»

J.K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers
(Oui, bon, ça ne marche plus pour le jeu de lettres: qu’on te pardonne cette mauvaise préparation qui bousille un peu les choses pour ce titre-ci. Cette idée de traduire n’importe comment, aussi! Et puis, ce sont des livres abandonnés, alors tu as droit à l’erreur; ce n’est pas comme se tromper en cherchant le nom de sa mère.)
Tu as lu la moitié du premier tome, que ta sœur en pâmoison recommandait depuis quelques mois déjà. Peu réjoui, tu le mis de côté sans jamais y revenir. Tu en voulus même un peu à ta sœur. Tu serais (ou aurais) un enfant de dix ans, ton intérêt pour le livre pourrait être différent (dans le sens d’existant). Ce n’est pas le cas, tu peux donc opter pour l’abstinence, mais peut-être tenteras-tu de finir ce tome pour soulager ta conscience gnostique (pour ne pas dire ta gnostique de conscience), et pour ne pas risquer de perdre une partie de n’importe quel jeu qui demanderait d’expliquer comment finit (bien, sans doute) le premier tome d’Harry Potter (alors que simplement te remémorer le titre en français a été ardu). Mais, (tu sors le surligneur) hors de question d’embarquer dans la croisière pour sept tomes d’aventures que tu juges déjà fort similaires.

Marc Fisher, Le Millionnaire
Horreur et damnation! Tu l’as pris (et non pas acheté) par hasard, il y eut une robuste méprise, et tu ne t’aventuras pas bien loin. Ce que tu retins de ce livre fut l’histoire d’un auteur qui cherchait trop un style à tout prix, pour appuyer sa belle morale bien grasse. Un style vif, rapide, qui force le lecteur à lire très vite afin de transformer la vacuité du roman en pseudo-révélation sur les choses de la vie. Un style qui permettrait à son auteur de déclarer qu’il sait comment écrire des livres accrocheurs et que tous peuvent l’écouter pour qu’il délie sa sage langue et leur donne la bonne recette du succès. Un jour, peut-être te fouailleras-tu pour le lire au complet, mais ce sera avec toute la mauvaise foi que tu seras capable de contenir, comme certains s’adonnent à l’automutilation ou s’affligent en écoutant Stéphane Gendron à la radio. Ah! non, tu ne peux pas croire que tu feras ça.

Stendhal, Le rouge et le noir
Objectivement, tu te convainquis que cet abandon était temporaire. Entamé lors d’un creux de lecture, tu savais que ce n’était pas le genre de livre que tu avais le goût de lire à ce moment-là. Ce qui devait arriver arriva: Julien de Sorel eut seulement le temps de traverser une quarantaine de pages avant que tu ne fisses de lui un laissé-pour-compte, dans un endroit décrit avec moult détails (tu as encore les pierres du mur de soutènement en tête), au moment où un autre livre te fut prêté. Tu replias donc ton vieil exemplaire jauni aux encoignures usées, lecture forcée de ton père pensionnaire pendant son cours classique. À l’intérieur de la page de garde, sa signature adolescente y est inscrite, toutes lettres bien calligraphiées (graphologie que tu n’aurais pas cru possible de sa part avant de tomber sur le livre dans le sous-sol parental). Ne serait-ce que pour cette raison, un jour tu permettras à Julien de continuer son existence à présent figée au haut de ta bibliothèque, juste au nord d’À l’est d’Éden de Steinbeck.

La blonde sulfureuse fit alors un faux pas, son talon cassa, et le trophée poli alla s’effondrer sur le plancher.

7 commentaires:

Anonyme a dit...

Je suis affligé de la même tare que toi et ne puis me résoudre à abandonner un livre. Mais qu'importe, il y a des folies moins douces que celle-là. Mes abandons se comptent sur les doigts d'une seule main, et je vous les offre ici en quizz.

S. K. – S. (ou P. S.)
G. G. – Le T.
J. J. – U.
J.-J. R – É.

Butterflies in my stomach a dit...

Y a du Stephen King et du Jean-Jacques Rousseau j'ai l'impression...

Anonyme a dit...

Hum, allons-y...

J. J. – U.
James Joyce – Ulysse (Hum! Audacieux.)
J.-J. R – É.
Jean-Jacques Rousseau – Émile ou De l’éducation (Pauvre Sophie...)

Les autres, je devrai chercher...

Bernard a dit...

Le malheur de Joyce c'est d'avoir été publié en deux tomes chez Folio. Quand, épuisé, on referme le premier livre, et qu'on n'est pas certain d'avoir compris quoi que ce soit aux cent dernières pages (et qu'on ne se rappelle plus de rien des précédentes), on n'a pas le courage d'entamer le second tome. C'était quand même il y a dix ans. Faudrait que je ressaie pour voir.

François a dit...

Alors, Bernard, après un peu de cogitation…
Stephen King – Simetierre (Pet Sematary)
(Je me suis fié à ton instinct, Pascale.)

Mais pour G. G., je bloque un peu plus…
Guide Gallimard – Le Tennessee
Germaine Guèvremont a-t-elle écrit Le Tupperware?
Enfin, moi aussi je les laisserais tomber ceux-là.

Mais, plus probablement, Günter Grass – Le Tambour ?

À propos de Joyce en deux tomes, c’est excellent, Folio peut en porter le blâme alors… Mais bon, si tu fais un choix éclairé en entamant la suite, je te souhaite bonne chance… Moi, dans ma morale empreinte de souplesse à ce propos, je juge que si un livre est en plusieurs tomes, on n’est pas contraint de lire plus qu’un tome. (Enfin, contraint prend ici un sens très large.)

Bernard a dit...

Gunther Grass, le Tambour. Oui monsieur. Aussi en deux tomes, une vieille et affreuse édition du livre de poche. Le premier tome était pourtant très bon, je ne sais absolument pas pourquoi je n'ai jamais lu le second.

Évidemment, je n'ai jamais terminé la Tennesse dans la collection des guides Gallimard, mais ne l'aurai-je pas commencé un jour sans m'en rendre compte ?

(C'EST LA TROISIÈME FOIS QUE J'ESSAIE DE PUBLIER CE MAUDIT COMMENTAIRE, GRRR)

François a dit...

Désolé pour Blogger, c'est un animal mal dompté...

Pour ce qui est des deuxièmes tomes, je saisis bien le danger; de cette façon, la suite de Don Quichotte m’attendra quand même un certain temps!