Au secondaire, on nous avait fait écrire une nouvelle pour le cours de français. Ça avait donné ce qu’on attendait vraisemblablement: une chute un peu calculée, juste assez retorse pour l’évaluation de l’originalité, un texte académique respectueux des règles où j’allais chercher une bonne note en restant grammaticalement toujours très sage (quoi, une anacoluthe, ciel, que le grand cric me croque), en conjuguant bien mes verbes et en parsemant çà et là ce qu’il fallait pour que l’enseignante puisse cocher la case «l’élève utilise un vocabulaire riche et précis». Dans cette nouvelle, je m’en souviens, j’avais misé là où il le fallait sur pusillanimité, diaphane, marmoréen et rococo.
Bref, au risque de gâcher l’effet de surprise, le personnage principal (pusillanime) se rendait finalement à l’aéroport (marmoréen), mais ne se résolvait pas à prendre son avion. Au même moment, coup de théâtre mi-convenu, sa copine, qui lui faisait la surprise de revenir ce jour-là dans un avion de Swissair parti de Zurich au préalable (bien sûr que c’est arrangé avec le gars de la nouvelle), s’écrasait sur le littoral terre-neuvien. Plan fixe sur l’horloge, voyez bien qu’elle est en train de ne pas arriver.
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J’ai un peu hésité, en réservant le billet d’avion, lorsque j’ai vu le retour Paris-Montréal avec une escale à Zurich à bord de Swissair. Et le lendemain, quand je me suis dit que je pouvais bien choisir ce vol, que tant pis, et que bah, et qu’enfin c’est pas parce que, et que ça doit être joli Zurich, et que trêve d’anacoluthe comme preuve de désobéissance grammaticale (pff, même pas peur), comme ce vol était momentanément ou définitivement indisponible, ça ne m’a pas particulièrement dérangé de prendre le vol avec l’escale à l’aller et au retour à Amsterdam.
Ça me semblait soudain une bonne chose de ne pas avoir écrit de nouvelle où un avion néerlandais s’écrasait à Terre-Neuve.
Ça permettait surtout de faire une visite expéditive pendant que mon bagage se faisait rudoyer entre deux fonds de soutes.
Je confirme, tout ce qu’on dit sur Amsterdam est vrai: vélos partout, jolis canaux sous de vieux ponts de pierre, tulipes en fleur, parfum de marie-jeanne jusque dans le cœur des frites, sollicitation dans les portes-fenêtres à 9 h du matin des demoiselles peu vêtues qui donnent leur vertu pour une pièce en or, camions de Heineken partout pour ravitailler les bars plein de bières et de drames où on boit et reboit et reboit encore. Enfin, tout est vrai, presque tout: pas vu qu’y a des marins qui chantent les rêves qui les hantent ou qui dorment comme des oriflammes le long des berges mornes.
Mais il faisait un peu gris, et ça je suppose que c’est à cause des marins qui se mouchent dans les étoiles.