27 juillet 2012

Dixième épître – les dinosaures qui chantonnent et gâchent le cinéma

Cher apprenti cinéphile,

On s’en excuse d’office, mais tu développes de drôles de goûts, c’est-à-dire que tu veux parfois écouter quelques minutes éparses de Petit-Pied le dinosaure II (dont j’ignore le lien exact avec Elizabeth et Jean-Paul, les II ayant une filiation mystérieuse difficile à décortiquer), sur une vidéocassette usagée que ta mère a achetée sans avoir pris conscience que le film n’avait pas été primé dans la sélection officielle du festival de Cannes. Quelques minutes, bien sûr, pas trop, car la télé en bas âge rend suicidaire et mythomane et cardiaque et hyperactif et obèse et amblyope. On sait et on te protège. Puis tu fais de toute façon bien d’autres choses en même temps. Les gronosaures ne servent après tout que de tapisserie sonore.

Et cela dit, oui, d’accord, on sait, une vidéocassette; on s’excuse d’avance si tu développes un trouble d’identité générationnelle.

Je ne sais pas si tu l’as noté, mais c’est un film qui jette un nouvel éclairage sur les théories de l’extinction de l’espèce. Vois-tu, les théoriciens ont avancé que c’est une météorite et le changement climatique subséquent qui menèrent à l’extinction des dinosaures, sans même qu’ils élussent un gouvernement jurassique majoritaire. C’est arrivé tout bêtement de même.

Bon, je ne conteste pas leur version. Mais à l’écoute du film, j’y ai adjoint une autre philosophie: la météorite était peut-être une bonne chose. Et elle avait peut-être fait exprès.

Ces casse-pieds reptiliens animés, j’ai bien entendu leurs voix piaillardes et leurs chants insipides, qu’ils chantent en faussant avec une voix qui demeure piaillarde, toujours, tout le temps, à jamais. Moi, je suis civilisé. Alors je peux relativiser. Surtout avec une télécommande qui contrôle le volume. Mais avant l’invention de la télécommande, une météorite sensible qui avait son chalet pas loin de là, qui entendait ça toujours, tout le temps, à jamais? Je comprends qu’elle se soit décielée. Enfin, on se défenestre de l’espace intersidéral comme on peut. (Dans le Nord si possible, tiens.)

Puis ne t’offusque pas, je t’ai vu prendre parti pour Shere Khan sans ambages dans Le Livre de la jungle, alors je parie que tu n’auras pas de problème à accepter la météorite kamikaze.

Et ne t’inquiète pas, on sera quand même là pour les bonne valeurs morales bien soulignées de l’industrie du divertissement de l’enfant éveillé en quête de sens. Faut juste jamais chanter de ritournelles mièvres en piaillant. Jamais. On touche là un point sensible.