19 mai 2010

3 – Le temple d’Artémis à Éphèse

Artémis, juste pour que tu puisses la replacer, c’est la jolie demoiselle sauvageonne à l’hymen intact, chasseresse à ses heures, qui aimait se promener avec un arc, un carquois et des flèches. Ah, et elle se tenait avec une biche. Tu l’appelles parfois Diane, mais on te prend pour un Romain quand tu le fais. Au fait, pas sûr que tu l’aies déjà rencontrée.

Il y a à peu près toujours eu un sanctuaire pour Artémis à Éphèse. Au début, c’était vraisemblablement plus un abri de fortune qu’autre chose, une sorte de pavillon de chasse pour jeune fille en fleur où elle aimait à aller dépecer du gibier tranquille. Mais à la longue, on peaufina l’architecture, on agrandit la salle d’attente, on hissa un peu le terrain, et ça finit par avoir de la gueule; surtout la fois où, après une inondation, la reconstruction fut financée par Crésus, le roi de Lydie qui était riche comme lui-même à ce qu’on dit.

Ça avait de la gueule, mais il semblerait que ce n’est pas cette version-là qui fut enregistrée au service du patrimoine de l’Unesco de l’époque. Mais bon, si tu as fait l’erreur de confondre cette version avec celle listée, la merveilleuse, reconstruite vers -340 à la suite de l’incendie volontaire orchestré par Érostrate qui voulait ainsi se rendre célèbre sans devoir passer des heures à se pratiquer à la lyre, hé bien, ne te morfonds pas trop. Pline l’Ancien, un gars assez rigoureux habituellement, a fait la même erreur lorsqu’il écrivit son guide touristique sur les merveilles.

Sinon, je ne sais pas trop quand c’est arrivé, mais il semble que cette indomptée d’Artémis a eu le temps d’aller faire un certificat en gestion des affaires, ou d’en commander un diplôme par messagerie, parce que les gens ont pris l’habitude d’aller porter de l’argent au temple, de le laisser là, puis s’ils attendaient assez longtemps, ils pouvaient retourner le chercher et on leur donnait des intérêts. Artémis serait donc devenue la déesse en charge des régimes d’épargne enregistrés.

Beaucoup plus tard, le temple fut pillé encore, puis finalement ravagé en 401 par des chrétiens pas très contents menés par saint Jean Chrysostome, un gars de la banlieue de Québec. Que voilà de belles colonnes, se disaient-ils. Alors pourquoi ne pas les utiliser pour se construire une cathédrale? Oui, ils jugeaient hâtivement qu’il en était venu le temps.

Nonobstant cette fâcheuse tendance du temple à être détruit à tout bout de champ, si tu veux te construire un cabanon et si tu es un peu bricoleur, je t’ai déniché un plan. Tu n’auras qu’à surveiller les rabais surprises sur les colonnes en marbre de 18 mètres chez ton quincaillier.



Note: Le plan provient de Wikipédia, un architecte d’Éphèse de l’époque, qui mettait ses projets sur Internet. L’entrepreneur devra bien sûr valider les dimensions au chantier.

12 mai 2010

Boileau, le juge et moi

Monsieur le Juge,

On s’est vus dernièrement. Avant de prétendre que c’était la première fois que je voyais un juge, je me ravise, un cousin de mon père est juge. Le titre n’énerve d’ailleurs pas une de leur vieille tante, qui frôle la traversée de son siècle personnel, qui lui a demandé dernièrement s’il ne se teignait pas les cheveux par hasard. Moi, je faisais preuve de retenue, je n’ai pas parlé de teinture avec vous, je ne me sentais pas très à l’aise dans votre boudoir municipal. Sans vouloir vous vexer, on vous aurait dit fâché de manquer vos téléromans.

Juridiquement, vous m’avez donné raison. Une histoire d’arrêt qui n’aurait pas été fait sur la ligne. Tout ça à un endroit où il n’y a pas de ligne d’arrêt et où la présence d’un panneau d’arrêt contrevient aux normes. Bref, une victoire dans un sens, une situation néanmoins particulièrement désagréable. Je ne le recommande pas à mes amis.

Le plus dur, à vrai dire, ce fut de gommer toute répartie, de rester toujours calme et courtois, de répondre le plus efficacement et rapidement possible aux questions que vous et votre procureur posiez, comme si toute question obligeait un oui ou un non et que vous seuls étiez maîtres ès nuances.

J’avais écrit un texte et apporté des photos pour illustrer la situation. Lorsque j’ai commencé à lire la description de l’intersection, le nombre de voies, les feux, les voies d’accès protégées par îlot déviateur du côté nord, vous m’avez dit que je n’avais pas droit au texte. Je trouvais ça un peu étonnant, mais j’aurais compris. J’ai moins aimé que vous décidiez alors de citer Boileau. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. Cette phrase que vous devez utiliser comme un passe-partout, estampée d’un «J’ai fait le cours classique, moi, jeune homme», elle m’énerve beaucoup. Si l’envie de mettre mes connaissances à l’épreuve vous était venue et que vous m’eussiez demandé qui vous citiez, j’aurais aimé vous répondre que c’était sûrement un de vos vieux profs, mais ça n’a pas eu lieu. J’aurais bien aimé vous demander si vous connaissiez par contre les vers qui suivaient. Si vous saviez qu’ils s’appliquaient aux écrits? Avec un peu d’à-propos, j’aurais aimé vous les balancer par cœur.

Mais surtout, plus tard, alors que le procureur se gonflait de sa propre prose et s’embourbait dans sa syntaxe à la fin, j’ai vraiment travaillé très fort pour réprimer mon sourire railleur: ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement…

Bon, saluez la greffière de ma part, elle semblait gentille.