24 avril 2008

De la défensive

J’ai attrapé la grippe espagnole. Ou le SRAS, je ne sais pas trop. Bref, ma voix aurait été parfaite pour chanter du Louis Armstrong ou même remplacer Micheline Lanctôt en post-synchro, qui sait. C’est déjà mieux là, je pourrais peut-être faire le Parrain, mais pas Micheline Lanctôt.

J’ai commencé avec les vieux conseils, en enfilant les grogs. De Kuyper et moi n’avions jamais été si proches. J’ai pris plus de miel que ne le recommanderaient les diététistes. Ma consommation d’eau chaude concurrençait férocement celle d’une Anglaise de Westmount. J’ai même essayé le calvados, pour surprendre l’ennemi après l’avoir amadoué avec des pastilles. On a trinqué, il est resté tard. Les carottes n’étaient pas cuites; il m’a assommé bien avant que je réussisse à débarquer où que ce soit. Et les alliés, on oublie ça quand on sent trop le Vicks.

J’ai mangé du pamplemousse, croqué de la vitamine C. Je suis allé seul comme un grand dans une pharmacie, vulnérable. Ça s’applique à chaque rayon, je sais, mais c’est fou comme il y en a des trucs en boîte pour soigner quelques bouts de tuyaux qui s’entrecroisent au larynx. J’ai décidé de prendre la bouteille de la marque en solde, à saveur de cerises, qui se concentrait sur la région concernée, la bouteille qui ne réglait pas à la fois les troubles gastriques, les pellicules, les verrues plantaires et les crampes menstruelles. Ça semble aller. Je crains toutefois que la bouteille provienne d’un laboratoire où on ne connaît pas le goût des cerises. «Hé, ça goûte quoi, les cerises? – Bah, rouge et un peu sucré, d’après cette fiche signalétique. – Ah! ça devrait aller comme ça.»

Je croyais finalement retrouver du confort au creux de mon oreiller, mais j’ai laissé sortir trop de toussotements alignés, il y avait moratoire. «Tu sais, si tu veux aller dormir sur le futon pour être plus à l’aise pour tousser, tu peux, hein…» C’est bon, j’ai su.

On s'entend bien, le futon et moi. Il me soutient et me laisse tousser, toute la nuit si je veux.

21 avril 2008

Comment sont impartis les pourriels

En fait, qui s’occupe de la répartition des messages non sollicités? Qui décide si notre profil type mérite qu’on lui propose l’élongation du membre viril, le faux diplôme, la croisière bidon, l’attrape-nigaud bancaire ou l’héritage de la fortune d’un roi trucidé. Parce que ça suit certainement une logique, quand bien même faudrait-il qu’elle soit basée sur l’alignement des planètes, ce que j’accepterais en dernier recours.

Ainsi, j’ai découvert que je sous-estimais énormément le nombre d’amis très chers qui voulaient me voir endosser la fortune personnelle de leurs feus rois africains. Non, ne vous inquiétez pas, je serai rétribué pour ce petit service, ils me l’ont dit. Qu’est-ce que ça représente un endossement de 6 millions de dollars? Banalités et peccadilles, bien sûr avec un compte bancaire étranger, un passeport valide et un puits sans fond de naïveté. Quelqu’un a curieusement décidé quelque part que c’était mon créneau. On laisse mon membre masculin en paix, on juge mes diplômes suffisants, on ne cherche pas à me voler mon NIP, on croit que je ne mérite pas de fausse croisière, mais tous les soi-disant secrétaires d’État ou directeurs de banque sont formels: je suis le gars à contacter pour sauver la fortune du roi, et ce, même si je ne mettrais pas toujours le Bénin à la bonne place sur une carte muette (mais le Malawi, ça irait mieux, j’aime davantage la forme, je serais même susceptible de l’identifier dans un test de Rorschach entre deux taches ressemblant à des papillons).

Peut-être est-ce une sorte de rétribution pour avoir retenu la capitale de l’Ouganda avec un des trucs mnémotechniques les plus ridicules que j’aie fomentés, avec un apprentissage pavlovien qui me fait maintenant toujours associer l’Ouganda avec le camping. Ça va comme suit : Ouganda (où qui en a) un camping? Ah, Kampala (campe pas là). Mais bon, je ne jugeais pas que ça valait nécessairement tous les héritages des rois des pays circonvoisins.

Dommage que ma bizarre éducation occidentale m’empêche d’accepter les bonbons offerts par des inconnus.

10 avril 2008

Rouge comme le bonheur

Cher Groenland,

Eussé-je été ailleurs que sur mon séant, peut-être serais-je tombé simultanément sur lui et sur cette carte. Je me suis contenté de tomber sur cette carte, la Carte mondiale du bonheur.



Alors, dis-moi, avant que je te braque ma lampe torchère impertinemment dans les galets, es-tu heureux?

C’est important, le bonheur, tu sais, ça pourrait permettre qu’un universitaire anglais, Adrian White, te peigne en rouge sur la Carte mondiale du bonheur. Ça te rappellerait peut-être ce type, Marco Evaristti, l’artiste là, qui t’avait teint un glacier en rouge. Je sais que ça te gêne terriblement (faut pas, t’as de belles courbes, tu sais), mais tiens, je vais joindre une photo à la fin.

Donc pour te résumer la chose, ce fieffé Britannique, il a établi un grand plan visant à évaluer le bonheur en se basant sur cinq critères: santé, richesse, éducation, identité nationale et beauté des paysages. Car c’est bien connu, vivre dans un bidonville, pourvu qu’on te le place dans les montagnes sur le bord d’un lac et que tu aies un drapeau aux couleurs attrayantes, c’est peut-être pas le pays de la joie de vivre, mais ça devient à tout le moins une région limitrophe.

Mais là, j’ai été intrigué, parce que bon, tu fais partie d’un groupe très restreint d’endroits qui demeurent gris sur la Carte mondiale du bonheur (oui, j'ai encore insisté). Dans ton équipe des gris, il y a aussi l’Afghanistan, l’Iraq, le Sahara, la Somalie et des îles que j’aurais associées à la Russie, mais ça ne semble pas si clair pour Adrian, peut-être Poutine a-t-il cédé un archipel à un vieil ami dernièrement. Tu peux quand même comprendre que je m’inquiète un peu, non? Je ne peux pas instantanément y voir une coalition des pays réjouis.

Puis au fait, tu sais qui arrive au premier rang? Bon, je ne te ferai pas languir, je te le donne en mille: le Danemark. Faut dire que toi, tu le connais bien, vous avez eu une aventure ensemble. N’empêche, ça m’étonne un peu, je n’étais pas au fait de la félicité danoise; ça a bien changé depuis le temps où on disait qu’il y avait quelque chose de pourri dans ce royaume-là. Étrangement, je ne voyais pas Andersen, Kierkegaard et Lars von Trier comme des ambassadeurs du bonheur. Et tu sais ce qu’on dit sur les danoises: qu’elles donnent le diabète et qu’elles gomment les doigts. Voilà, mais bon, je sous-estimais peut-être la beauté des paysages danois. En fait, je dis ça, mais il est aussi possible que le départ d’Alfonso Gagliano ait suffi à insuffler ce vent d’euphorie sur le Danemark.

Je pourrais continuer à te parler du bonheur des uns comme ça, notamment du Bhoutan et du Bruneï qui sont très bien classés (je peux comprendre pour le Bhoutan, ils ont un joli drapeau, mais pour le Bruneï, avec une capitale qui s’appelle Bandar Seri Begawan, je comprends moins), mais on se lasse du bonheur des autres et on ne peut pas trop se réjouir du fait que le Burundi a fini dernier.

Mais bon, ici, les critères ne sont pas exactement les mêmes: tout va bien car Montréal a fini premier dans l’Est et Toronto ne fait pas les séries.

Salutations,


(Photo Reuters)
P.-S. – Vraiment, ne laisse plus cet étrange Marco t’approcher, je préfère ta banquise sans rouge à lèvre. Et il est danois en plus. Si c'est ça le bonheur, je me désabonne.