26 juin 2007

1 - De l'avarice

Jeune Nord-américain de bonne famille typique (mais sans chien), la personnification la plus facilement identifiable de l’avarice que tu as connue fut Picsou, à moins d’avoir eu une grand-mère particulièrement détestable.

Pour ce premier péché, tu t’en sors bien: tu es loin d’avoir une pièce remplie d’or, jalousement gardée, dans laquelle tu plongerais avec une baudruche et un justaucorps rayé blanc et rouge. Car enfin, des pièces de monnaie comme ça, tout le monde le sait, ça bouche le filtre et ça donne un pH trop acide. Et essaie de passer l’aspirateur dans le fond, après ça!

Mais sans être le Séraphin du village, ordinaire fesse-mathieu parmi les pingres, tu n’es pas toujours un exemple de don de soi, pécuniairement parlant. Le mois passé, lorsque tu vis dans la boîte postale la lettre paroissiale qui quémande la dîme, tu la mis à la récupération sans trop attendre (l’évêque devra garder son calice usagé un an de plus). Ton réfrigérateur est vierge des enfants que tu pourrais parrainer en Afrique. Et quand les enfants de la troisième année primaire passent vendre du chocolat et du café pour leur voyage éducatif à Las Vegas, tu vas même jusqu’à dire un «non merci» poli mais ferme.

Par contre, la rationalité des uns est toutefois l’avarice des autres. Ainsi, tu admettras choisir souvent des produits génériques à la pharmacie et aussi à l’épicerie, puis tu paies dettes et cartes de crédit au lieu d’acheter 72 paires de chaussures, du Beaujolais millésimé de l'entre-deux-guerres, deux Borduas et deux manoirs pour les y accrocher. Et parfois, tu pratiques l’avarice à petite dose, celle qui pousse les gens à manger la dernière pointe de pizza sans la partager en deux.

Mais bon, la morale est que l’avarice, ce n’est pas beau. (La varice non plus, mais ce n’est pas vraiment considéré comme un péché.)

20 juin 2007

Des péchés capitaux

Par une étrange pensée qui traversa furtivement ton esprit, tu réalisas que si tu peux retrouver chaque ligne du Notre Père correctement (soit sans trop trébucher), tu ne saurais réciter le Je vous salue Marie avec exactitude, puis que pour Le credo, c’est peine perdue, les bribes sont bien pâles et tout emmêlées (mais furent-elles déjà claires et ordonnées?).

Tu les appris jadis sans trop y penser, sinon tu aurais été bien embêté de dire si Dieu était finalement aux cieux ou à la boulangerie. Puis bon, la plupart du temps, tu prenais des céréales, alors le pain quotidien, ce ne sera pas nécessaire, merci. Quant au fruit des entrailles, tu te rappelles avec flou les efforts du professeur pour s’en sortir élégamment devant une classe incompréhensive. Enfin, tu trouves encore qu’il y avait quelque chose de curieux pour un bonhomme de sept ans de demander à un étranger qui a un condominium infini dans les nuages, des cathédrales dorées partout sur la planète, et qui en plus s’offre le don d’ubiquité, de ne pas le soumettre à la tentation, et pas seulement ça, mais de le délivrer du mal par-dessus le marché… Disons simplement que tu te questionnais alors bien peu sur le modus operandi du Seigneur et de Ses trésoriers terrestres.

Puis un jour, toute la classe traversa la grande cour de récréation jusqu’à l’église de stuc qui arborait l’affreux style presque moderne des années 1960. Ton opinion sur Dieu n’était peut-être pas très précise, mais sur sa maison, elle était particulièrement tranchée: tu la trouvais bien laide. Et les vitraux dans le plus pur style Dollarama n’aidaient en rien (sans vouloir minorer le talent des artisans chinois). Tu allais pourtant négliger ces détails quelques instants plus tard, après que l’enseignante eut annoncé que le moment était venu de penser à ses péchés, d’écouter monsieur le curé, d’écrire ses péchés sur une petite feuille et d’aller en parler à monsieur le curé tour à tour. L’euphorie, bien sûr. Péché? Et toi qui n’aimais même pas le poisson.

Puis le curé, fin pédagogue, enchaîna possiblement avec deux paraboles et une petite explication digne de l’Évangile en papier sans les lions de carton. Tu te rappelles pourtant l’effroi qui te prit en fixant le petit papier blanc pur sans péché. Il te fallait le souiller d’un péché d’enfant, ridicule par définition bien sûr, mais tu n’avais pas tout à fait le goût de jouer à Vérité ou Conséquence avec le curé et son patron d’en haut. T’étais-tu chicané avec ta sœur pour avoir le verre bleu? Avais-tu mangé un morceau de chocolat en cachette? Avais-tu dit un gros mot à table? Tu regrettas presque de ne pas t’être battu plus tôt, ça t’aurait évité de chercher ainsi.

Tu misas sur la chicane avec ta sœur, possiblement à l’instar de vingt-cinq autres élèves, en plaignant le plus sérieusement du monde les quatre ou cinq qui avaient eu le malheur de naître sans prédécesseurs ou successeurs.

En vieillissant, tu réalisas que les péchés d’adultes ont l’avantage d’être beaucoup plus intéressants et diversifiés, et qu’ils viennent en plusieurs belles catégories avec de délicieuses possibilités d’agencement.

Avarice. Colère. Envie. Gourmandise. Luxure. Orgueil. Paresse.

Le compte des péchés usuels réunis en un forfait sept services; tu as goûté à tout. (Et parfois plusieurs en même temps, sale pécheur.)

17 juin 2007

Le pêcheur de plâtre

Il était peut-être dans la boîte d’un vieux camion Ford, bleu ciel et rouille. Le conducteur, un ancien gars de l’usine à l’arrière de la ville, que ton père connaissait peut-être, un Georges ou un Normand, aurait plissé les yeux parce que le soleil aurait trop fait sécher les nuages.

Venait-il de l’acheter? Était-ce le petit roi du balcon de sa sœur, une veuve éplorée qui déménageait au foyer? L’avait-il cueilli dans les poubelles du nouveau propriétaire, en diagonale de chez lui? Allait-il l’amener dans son parterre, entre un nain de jardin et une brouette renversée où s’éparpillaient des géraniums bien dorlotés?

Le conducteur aurait accéléré un peu en arrivant au pont, le soleil dans les yeux, et le vent dans le toupet d’albâtre du pêcheur.

Et là, aurait-ce été à cause de la vue du ruisseau avec ses gros bouillons pleins de poissons ou à cause de l’ornière dans la chaussée?

Le pêcheur se serait renversé, aurait culbuté par-dessus bord pour s’écraser au milieu des voies. Georges ou Normand aurait poursuivi sa route vers le soleil, les yeux plissés.

Lorsque tu passas dans l’autre sens, sa tête était déjà émiettée et ses bras arrachés. Il ballottait sur son séant entre les voitures, brave Vénus de Milo de patio qui n’arriverait jamais au bout du voyage. Et qui ne pourrait plus pêcher.