31 octobre 2006

À la table d'à côté

La table était pleine de petites et de grosses (reposez cet objet contondant, je parle de billard) qui hésitaient à chacun de mes coups. Elles ignoraient si elles allaient aller nulle part ou n’importe où. À vrai dire, je l’ignorais également. Je donnais mon coup, la blanche allait se cogner contre quelques surfaces, et la vie allait de l’avant.

Au comptoir, une femme s’agitait frénétiquement. L’objet de ses récriminations (et de ses désirs tout à la fois) siégeait non loin de là: une belle, grosse et rutilante machine de vidéo poker. Elle insistait, la madame. Elle voulait son argent; elle voulait voir le gérant; elle ne voulait pas perdre sa place. Elle s’énervait, la madame. Elle pataugeait dans le pathétisme et surnageait avec lourdeur. «Si c’était (imaginez une autre conjugaison à l’oral) Unetelle la serveuse, elle me le donnerait, elle. Elle me connaît, je te le dis.»

Son désespoir était bien assez dense pour expliquer les déviations étranges dans la trajectoire de mes coups.

Moi, par contre, je n’ai perdu qu’une partie de billard.

11 octobre 2006

Juxtaposons...

En arrivant au Lion d’Or (la Chauve-souris de Latex, l’Ornithorynque de Plastique et le Tigre de Polyvinyle auraient été des choix moins heureux, j’en conviens), ma perspicacité (et un peu aussi ma vue) m’ont clairement fait comprendre que les quatre caméras gigantesques qui se pavanaient à l’arrière et sur le côté de la salle allaient probablement être mises à contribution au cours du spectacle. Ce fut donc le cas et, à moins que le DVD des Zapartistes (vous préférez disque numérique universel?) soit annulé, mon rire sera gravé avec celui du restant du public. Heureusement pour les autres spectateurs, je n’ai pas hérité du rire de ma mère et de sa portée hautement enrichie de décibels.

En fait, de toute ma vie, je n’ai essuyé qu’une seule réprimande pour avoir ri au théâtre, ce qui, je le crois, n’est pas loin de la moyenne nationale. Il y a environ cinq ans, un homme assis derrière moi, que je qualifierai de trouble-fête ingrat pour les besoins de l’explication, avait usé de son meilleur sourcil de reproche pour me faire comprendre que mon rire le dérangeait grandement. Je précise à ce moment qu’il s’agissait d’une parodie de Tchekhov (la pièce, pas l’homme) et non pas d’un grand drame lancinant. Parce que c’est bien connu, dans ce cas-là, il est bien mieux vu de sommeiller que de rire. Donc, bien que j’aie hautement tendance à excuser tout le monde et à chercher une explication rationnelle en superposant trois couches de conjectures contextuelles, j’ai été heureux à ce moment-là de faire une belle exception et de le trouver plutôt ignoble. J’avais après tout déjà connu les craintes de développer le rire matriarcal (un oncle possède aussi la version masculine), et j’avais alors atteint la conviction que le destin avait été clément à mon endroit. Certes, peut-être possèdé-je le gène récessif? Seul l’avenir me le rira.

Ainsi, par espace disponible et par choix, nous avons pris place à une table en périphérie (disons que si la scène est Repentigny et que Montréal est l’allée centrale, ma place est entre Châteauguay et Brossard, les caméras étant dispersées à Laval et à Vaudreuil), alors si ce DVD passe un jour à Canal D (et pendant quelque vingt années), je ne serai pas celui qui illustre en gros plan la mode de 2006. (À moins d’avoir sous-estimé la propension des caméramans à filmer vers Châteauguay.)

Étonnamment (du moins, je fus étonné de le constater), une semaine plus tard, j’étais sur l’autoroute 400 en banlieue de Toronto. J’avais fait ma provision de Fine-Thank-you-And-you? et m’apprêtais à manger de la dinde farcie pour la Thanksgiving (on s’entend pour dire que ce n’était pas une action de grâce). La situation familiale nécessiterait un schéma pour les explications, mais disons simplement qu’un oncle plutôt âgé de ma blonde utilise dorénavant la prononciation anglophone de son nom et que ses enfants quadragénaires n’ont qu’une vague idée de ce qu’est le français. Donc, une semaine après le spectacle des Zapartistes, je dormais dans une chambre quasi-torontoise où j’ai cru développer une allergie au pollen en raison de la multitude de fleurs qui ornaient les murs et les draps. En décoration, c’était un cas flagrant d’abdication masculine. Mais, nonobstant cet accroissement de ma volonté de ne jamais laisser qui que ce soit recouvrir mes murs d’une tapisserie fleurie lilas, j’ai tout de même passé une belle fin de semaine.

Ce qui me fait dire que Michaëlle Jean doit être bien heureuse tout d’un coup…

03 octobre 2006

Problème de physique 436

Didascalie (parce qu’il faut faire attention) : Je suis un peu sous le choc.

Lui et elle sont en voiture. Ils s’apprêtent à passer sous un viaduc. En supposant que le viaduc possède trois voies de 3,7 mètres chacune, que leur vitesse est de 100 kilomètres à l’heure, et que leur probabilité de malchance est atrocement près de 1, quel laps de temps la structure a-t-elle pour leur tomber sur la tête?

(3)(3,7) = 11,1 mètres de largeur
Ajustons en fonction de la longueur du véhicule; utilisons 15 mètres.
15 m / (1000 m/km) / (100 km/h) = 0,00015 heure, soit près de 0,54 seconde.

La fatalité a de ses précisions qui inquiètent fortement.